Nous veillons les uns sur les autres

1051 Words
Mon réveil se fait sans hurlement, au grand soulagement de Victoria.  Elle attendait visiblement que j’ouvre un œil, assise au pied de mon lit, téléphone à la main.    -          Je vous rassure, Professeure Jacobs.  Rébecca va bien, dit-elle en souriant.  Je vous rejoins plus tard au Munitum.  Merci encore de nous avoir envoyée Constance.  Elle a déjà commencé à faire le ménage du Presbytère.  Elle est une vraie perle.  Douce nuit à vous.   Elle raccroche.  Elle m’annonce ensuite que j’ai une réunion de Coterie à l’agenda cette nuit.  C’est le Roi qui l’a expressément demandée.  Elle me presse de me lever, précisant que j’ai suffisamment fait la marmotte.    -          Souviens-toi que son Éminence dort sur ton divan.  Ne te promène pas nue dans ta chambre, rigole-t-elle.  Ça pourrait être gênant.    Elle quitte la pièce juste à temps pour ne pas recevoir l’oreiller que je lui lance.  J’ai réussi à convaincre Viktor de ne pas dormir sur le pas de la porte comme il l’a visiblement fait la journée précédente.  Je lui ai dit que je me sentirais plus en confiance de ne pas replonger dans mon cauchemar si je le savais près de moi.  Ce n’était pas la pure vérité sans être totalement un mensonge.  Je craignais réellement de dormir seule mais je désirais surtout qu’il ne veille pas sur un plancher par orgueil, sachant que j’ai un divan confortable à lui offrir.  Je prépare ma robe pour la soirée, lui laissant ainsi le temps de se réveiller.  J’envoie un message texte à Julian qui m’a déjà fermé son esprit.  Lui qui met habituellement plusieurs minutes à émerger, il n’a pas perdu de temps.  Je l’ai vraiment blessé hier.  « Je comprends ta déception.  Je regrette sincèrement de ne pas avoir été à la hauteur.  J’espère que tu sauras me pardonner.  Ta moitié qui t’aime. Xx » J’entends Viktor bouger dans la pièce voisine.  J’enfile ma robe de chambre avant de traverser.  Je lui offre mes respects avant de l’informer que je suis convoquée par Monseigneur pour une réunion avec l’ASARA.  Je précise que je serai habillée en civile car je dois sortir chasser.  Il acquiesce en me disant que je devais tout faire pour rester le plus optimale possible.  Je prends ensuite mon courage à deux mains pour lui demander s’il souhaite que je lui prépare une coupe de sang.  Je lui rappelle qu’il doit lui aussi toujours être au mieux de sa forme.  Il plisse les yeux en fronçant les sourcils.  Il n’aime visiblement pas que je m’inquiète pour lui.   -          Laissez-moi vous montrer quelque chose, dis-je en créant un lien télépathique avec lui.   Je lui fais vivre ce que j’ai ressenti lorsque j’ai vu Jörg et Ethan sortir son corps inerte du véhicule : la panique, la peur de me retrouver seule à nouveau, sans repère pour me guider.  Il est incapable de retenir le frisson qui le traverse en vivant ce souvenir avec moi.  Son visage se durcit.  Je me déplace vers ma desserte et en sort une coupe.  Je m’entaille le poignet et laisse couler mon sang dans le récipient avant de le lui tendre.    -          Je sais que vous détestez gérer des émotions.  Je sais aussi que mes émotions sont beaucoup plus vives que les vôtres.  C’est malheureusement mon sang qui veut ça.  Mais j’ai failli vous perdre cette nuit-là parce que vous êtes parti au combat sans être dans une forme optimale.  Vous le savez, continué-je, tenant toujours la coupe devant moi.  Buvez, s’il-vous-plaît.    -          Et tu trouves que ton Père était effronté de tenir tête à Reiner, se plaint le Nyama en prenant le verre.    -          Vous avez dit vous-même que son culot faisait partie de son héritage, rétorqué-je, triomphante.   -          Je ramollis en vieillissant.  Ton attitude n’aurait jamais passé avant.   -          Nous veillons les uns sur les autres à Montréal.  Je prends soin de vous.  Il n’y a rien de mal à ça.   Il grogne quelques mots en hongrois, signe que j’ai presque raison et que ça le dérange.  Il se dirige ensuite vers la porte, puis se retourne vers moi.   -          Si tu veilles tant sur les autres, pourquoi avoir laissé Julian quitter la Congrégation ?  Il était un excellent Prêtre et c’était parfait pour votre lien.  Apprendre qu’il deviendra un Fils de Gaya, ça m’inquiète.  C’est complètement irresponsable.  Tu ne peux pas le laisser faire.    -          Je ne peux pas aller à l’encontre de ses besoins non plus, votre Éminence.  Julian restera toujours un Immortel à l’écoute des autres.  Les qualités qui ont fait de lui un bon Prêtre parmi nos rangs feront de lui un excellent Augure dans la Smala.  Il saura guider et soutenir les Enfants de Gaya comme il a su aider nos disciples.  Il a perdu foi en Loudas, mais pas en ses semblables.  Nos cérémonies ne l’apaisaient plus alors qu’il trouve la paix lors des rencontres spirituelles au Temple.  Pour moi, c’est le plus important.    Viktor marmonne une phrase en latin.  Il me la traduit : « Le sage a toujours raison. »  Je l’observe, incertaine de comprendre où il veut en venir.   -          Ton Père m’a écrit que tu trouverais les arguments qui faciliteraient ma compréhension concernant la décision de Julian.  J’ignore comment il savait, mais il le savait.    -          Il m’a écrit que je devais soutenir Julian dans son choix car il le fait pour lui comme pour nous.  Je pense que ça pourrait avoir un lien avec le rituel Terrafee.  Il faut avouer que pour étudier un tel rituel, il vaut mieux le faire dans le plus grand des secrets.  Notre lien le permettra aisément.   -          Je n’aime pas l’idée que tu t’amuses à étudier un rituel de cette secte maudite.  Mais je comprends ce qui te pousse à vouloir le faire et la Déesse semble penser que c’est une bonne chose puisqu’elle t’a remis une des parties manquantes.  Je le répète, je ramollis en vieillissant, se plaint-il en sortant.    Je souris, sourire qui s’efface en voyant que Julian ne m’a toujours pas répondu.  J’ai une étrange impression de déjà-vu.  J’appelle sur son cellulaire qui, heureusement, sonne.  Immédiatement rassurée, je raccroche sans laisser de message, me sentant idiote d’avoir paniqué comme ça.  Je sais qu’il a une excellente raison de me bouder.  Je vais donc le laisser venir à moi et patienter.
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