Prologue

800 Words
PROLOGUEBordeaux, 4 juin 1998 Candice Virtupin leva les yeux sur la femme d’entre deux âges qui venait de toquer à la vitre de la pouponnière avant d’y pénétrer. Son sourire radieux inspira toute confiance à l’infirmière puéricultrice. Celle-ci donnait un minuscule biberon à un nouveau-né dont on apercevait le visage rouge sous un bonnet de laine blanc, le corps emmitouflé à la façon d’un alpiniste et ce, malgré la chaleur ambiante. — Je suis la grand-mère de Paul, déclara-t-elle, d’un ton pas plus fier qu’une caniche toy présentant sa portée de bergers malinois aux chiens du quartier. Si Candice fut amusée par cette remarque d’une touchante candeur, elle prit néanmoins un ton pète-sec pour répondre à la visiteuse : — Vous seriez la Queen Elisabeth, Madame, que le règlement s’appliquerait aussi pour vous. Seules les mamans sont autorisées à venir chercher ou déposer leur bébé ici. Vous comprendrez facilement que nous ne pouvons recevoir toutes les mamies, sœurs, filles ou cousines de nos accouchées. Les chambres individuelles sont faites pour recevoir les familles ! — Oh ! Je suis désolée, Madame. Ne m’en veuillez pas. C’est Marie-Claire qui m’a donné le droit de venir chercher mon petit-fils pour l’amener à ma fille. Charlotte Benoît, chambre 107. L’infirmière jeta un rapide coup d’œil sur le planning des chambres, affiché au mur. — Certes, Madame… Marie-Claire ? — Chambier, Marie-Claire Chambier. Elle travaille ici et c’est ma meilleure amie. Pendant que l’on fait les soins à ma fille, elle parle avec mon mari, dans le couloir. Oh ! Je peux voir mon trésor, dites, s’il vous plaît ! Mon petit Paul ! Non seulement Marie-Claire Chambier travaillait là mais elle était la surveillante du service. Candice Virtupin travaillait sous ses ordres. — Le deuxième berceau, à partir de votre gauche, Madame. C’est l’heure creuse en ce moment. Mais ramenez vite votre chérubin à sa maman ! Je ne voudrais pas que cela crée un précédent. Le règlement est le règlement ! La femme prit pourtant le temps de bêtifier et de faire partager son émotion à la puéricultrice avant de pousser le berceau vers la sortie. — Ô, mon chéri ! C’est Grand-mère ! Comme tu es beau ! Le plus joli de tous les bébés ! Et cette petite fossette-là, sur le menton… Que tu es ravissant, mon cœur ! Tu as le front de grand-père Georges ! Et tes petits cheveux, mon chéri ? Ils sont où, tes petits cheveux ? Candice Virtupin leva les yeux au ciel quand la dame fut partie et se concentra sur son travail. Un quart d’heure plus tard, Marie-Claire Chambier regagnait la pouponnière tout en lisant attentivement un rapport médical. — Madame Masson, du 115, a de la fièvre. C’est un peu inquiétant. Le docteur Louvois n’est pas encore arrivé, Candice ? — Non, voulez-vous que je l’appelle ? — Oui, je préfère. Il me semble qu’elle fait une infection urinaire. Ah, il faudra aussi surveiller madame Da Silva, au 102. Baby-blues, je pense. Quand je suis entrée dans sa chambre, elle a aussitôt pris sa fille dans les bras mais paraissait embarrassée et contrainte. Pas une seule fois, elle n’a eu un regard pour son enfant. Je préviens une sage-femme pour qu’elle aille discuter avec la maman. Ah ! Dites aussi à Adeline d’amener le bébé à la 107. Candice Virtupin vérifia le planning et regarda la surveillante d’un air étonné. — Excusez-moi, mais vous devez vous tromper de chambre. La 107 est occupée par madame Benoît, la fille de votre meilleure amie. La grand-mère du petit Paul, selon votre directive, est venue chercher son petit-fils pour l’amener à sa maman. Le visage de la surveillante s’était figé. Candice eut alors la très désagréable intuition qu’elle allait au-devant de graves ennuis. Livide, les yeux hagards, Marie-Claire Chambier, sans prendre le temps de lui répondre, sortit précipitamment de la pouponnière. À travers la baie vitrée, l’infirmière la vit courir dans le couloir. Deux minutes plus tard, elle revenait, affolée, et composa un numéro interne. — Alerte enlèvement ! Un petit garçon de deux jours. Paul Benoît… Je ne sais pas. Une seconde… — Il y a combien de temps ? aboya-t-elle à l’adresse de Candice, tétanisée. Décrivez-moi cette bonne femme et grouillez-vous ! Vingt minutes auparavant, elle avait poussé le berceau dans les vestiaires et déposé le bébé endormi dans le sac de sport matelassé qu’elle avait laissé sur une étagère. Elle avait pris l’escalier et, sans se presser, était sortie de la clinique. Comme convenu, elle s’était dirigée sur le parking, derrière le bouquet d’arbres. Il l’attendait. Elle lui avait remis le sac. Il était resté lui parler une minute ou deux. Elle n’avait pas répondu. Puis, l’homme avait mis le sac de sport dans le coffre de sa voiture et était parti. Il avait pris la direction de Bordeaux-Mérignac et, une fois arrivé sans encombre à l’aéroport, s’était garé près de la piste réservée aux petits avions de tourisme. Le couple suisse l’attendait devant leur Diamond DA20 ; le biplace était prêt à décoller. Le pilote avait vérifié le contenu du sac de sport, avait souri à sa femme et avait sorti de l’appareil une mallette qu’il avait remise à l’homme. Lui aussi avait compté les liasses de billets. Au moment où, contents de leur échange, les deux hommes se serraient la main, l’alerte enlèvement venait tout juste d’être donnée. Avant de quitter l’aéroport, il était resté dans sa voiture à regarder le petit avion s’envoler dans les airs.
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