Les jours se succédaient, et malgré la douleur qui hantait le cœur d’Alexandre, il s’était résigné à assumer ce nouveau rôle auprès de Sophie. Chaque matin, il se levait avec un poids sur la poitrine, une blessure invisible qui le suivait partout, mais qu’il s’efforçait d’ignorer pour le bien de cet enfant à naître. Son amour pour Éléa lui manquait comme une partie de lui-même qu’on lui aurait arrachée, mais il s’était convaincu que cet amour, aussi profond fût-il, devait rester en sommeil. À présent, son seul objectif était de soutenir Sophie et de préparer la venue de leur enfant.
Alexandre s’était investi pleinement dans la grossesse de Sophie. Il l’accompagnait à tous les rendez-vous médicaux, posait des questions aux médecins, veillait à ce qu’elle suive un régime équilibré et qu’elle se repose suffisamment. Il lui préparait des repas nutritifs, remplissait les placards de vitamines et de compléments alimentaires pour s’assurer qu’elle avait tout ce dont elle avait besoin. Il était attentif à chaque signe, chaque changement, prêt à réagir au moindre besoin. Il se montrait patient face aux sautes d’humeur de Sophie, comprenant que ses hormones la rendaient plus sensible et irritable. Il avait même pris l’habitude de faire preuve d’humour pour alléger l’atmosphère lorsque les tensions devenaient trop lourdes.
Pourtant, malgré tous ses efforts, rien ne semblait suffire à apaiser Sophie. La grossesse ne lui apportait aucune joie, aucun bonheur. Elle voyait son corps changer, se transformer, et cela la remplissait d’une amertume grandissante. Elle regrettait ses anciennes habitudes, ses sorties interminables avec ses amies, les soirées où elle pouvait boire, danser, et profiter d’une liberté sans contraintes. À présent, elle se sentait prisonnière de son propre corps, alourdie par cette responsabilité qu’elle n’avait jamais réellement désirée.
Chaque jour, les plaintes de Sophie se faisaient plus fréquentes, plus acerbes. Elle se plaignait de son apparence, du poids qu’elle prenait, de la fatigue qui l’empêchait de vivre comme avant. Son visage, autrefois rayonnant de confiance en elle, semblait maintenant empreint de frustration et de colère. Parfois, elle tournait cette colère contre Alexandre, l’accusant à demi-mots d’être responsable de cette situation.
« Tu vois ce que je suis devenue ? » lui lançait-elle souvent, la voix remplie de rancœur. « Je n’aurais jamais dû me retrouver dans cet état. C’est toi qui m’as poussée à me compromettre ainsi. Pour te garder, j’ai dû en arriver là, à m’engrosser, comme tu dis. »
Alexandre sentait chaque mot comme une piqûre, une morsure amère. Il restait silencieux, encaissant les reproches sans protester, espérant que la situation s’améliorerait avec le temps. Il savait qu’elle avait fait ce choix en partie pour garder leur couple à flot, pour maintenir une illusion de bonheur familial, mais entendre ces accusations le laissait profondément blessé. Il se demandait parfois si, en choisissant de rester avec Sophie pour cet enfant, il n’avait pas condamné leurs vies à tous les deux. Pourtant, chaque fois qu’il se laissait aller à cette pensée, il repensait à l’enfant, cet être innocent qui n’avait rien demandé, et cela lui donnait la force de continuer.
Au fond de lui, Alexandre éprouvait une tristesse immense. Il avait espéré, peut-être naïvement, que cette grossesse leur permettrait de retrouver une forme de complicité, une union qu’ils avaient perdue depuis longtemps. Il avait cru qu’en devenant parents, ils pourraient se rapprocher, trouver un nouveau souffle dans leur couple. Mais chaque jour qui passait semblait éloigner un peu plus cette possibilité.
Les reproches de Sophie devenaient plus fréquents, plus violents. Elle lui rappelait sans cesse à quel point elle se sentait piégée dans cette grossesse, à quel point elle regrettait de s’être laissée convaincre de devenir mère. Elle lui lançait des regards de mépris, des paroles acides qui laissaient Alexandre désemparé. Il ne savait plus comment la rassurer, comment alléger ce poids qui pesait sur elle. Il se sentait impuissant, coincé entre le devoir de rester à ses côtés et le désir d’échapper à cette ambiance suffocante.
Parfois, il se surprenait à se demander comment aurait été sa vie avec Éléa. Elle avait toujours su comprendre ses silences, deviner ses pensées, et apaiser ses angoisses. Avec elle, chaque instant avait été doux, serein, sans l’ombre de ces conflits incessants. En pensant à elle, il ressentait un mélange de nostalgie et de regret, un manque qui ne s’effaçait jamais vraiment. Mais il s’efforçait de refouler ces pensées, de les reléguer dans un coin de son esprit. Il ne pouvait plus se permettre de rêver à cet amour perdu. Sa vie était ici, avec Sophie et leur enfant.
Pourtant, chaque nouvelle crise de Sophie, chaque nouvelle parole blessante réveillait cette douleur en lui. Elle le rendait responsable de tout, de chaque inconfort, de chaque difficulté. Elle lui reprochait de ne plus pouvoir vivre comme avant, de ne plus pouvoir se perdre dans les nuits sans fin, de ne plus pouvoir boire et s’amuser.
« Tout ça, c’est à cause de toi, Alexandre. Je n’aurais jamais dû en arriver là », lui répétait-elle souvent. Ces mots le blessaient plus qu’il ne voulait l’admettre, car il savait qu’il avait lui-même contribué à cette situation. Il s’en voulait pour les choix qu’il avait faits, pour les promesses qu’il n’avait pas tenues avec Éléa, pour cet avenir incertain dans lequel il s’était engagé.
Et malgré tout, Alexandre persistait. Il continuait de faire preuve de patience, de lui apporter tout ce dont elle avait besoin. Il savait qu’il était trop tard pour revenir en arrière, que cet enfant méritait une chance de grandir dans un foyer stable, même si ce foyer était construit sur des fondations fragiles. Il se raccrochait à cet espoir, à l’idée que, peut-être, avec le temps, les choses s’amélioreraient.
Mais l’amertume de Sophie ne semblait pas diminuer, bien au contraire. Plus les semaines passaient, plus elle se renfermait dans ses regrets, dans son ressentiment, et Alexandre voyait peu à peu disparaître la femme qu’il avait épousée. Cette grossesse, qui devait être une source de joie, devenait une épreuve, un fardeau pour elle, et elle ne cessait de lui en rappeler la responsabilité.
Un soir, alors qu’ils dînaient en silence, Sophie explosa soudainement, brisant le calme oppressant de la pièce. « Tu sais, parfois je me dis que j’ai fait une erreur en gardant cet enfant », lança-t-elle, les yeux fixant intensément son assiette.
Alexandre sentit son cœur se serrer. Il posa sa fourchette, la regardant avec une douleur visible dans les yeux. « Sophie, cet enfant est là… et il a besoin de nous. »
Elle le toisa avec mépris, un sourire amer aux lèvres. « Toi, peut-être. Moi, je me demande chaque jour pourquoi j’ai accepté cette folie. »
Ce soir-là, Alexandre alla se coucher le cœur encore plus lourd, en se demandant comment ils allaient pouvoir élever cet enfant dans une telle atmosphère. Il savait qu’il avait pris une décision, qu’il s’y était engagé, mais cette situation le rongeait de l’intérieur. Il se demandait s’il aurait la force de supporter cette vie, s’il pourrait tenir face à tant de ressentiment. Mais, en repensant à cet enfant, à cette petite vie qui dépendait de lui, il trouvait un nouveau souffle, une raison de continuer malgré tout.
Ainsi, jour après jour, Alexandre continuait à faire preuve de patience, de compréhension, espérant que la naissance de cet enfant pourrait apaiser Sophie, ramener un peu de lumière dans leurs vies.