Le soleil se levait doucement sur Beaucourt-sur-Mer, et les premiers rayons filtraient à travers les rideaux de la chambre d’Éléa, baignant la pièce d’une lumière douce et apaisante. Elle ouvrit les yeux, mais la sensation de vide qui l’habitait depuis son départ de Paris demeurait, presque étouffante. Elle s’était réveillée en sentant un poids lourd sur sa poitrine, un rappel silencieux de tout ce qu’elle venait de perdre. Les souvenirs de sa vie parisienne la submergeaient : son appartement, son travail qu’elle avait tant aimé, et surtout, Alexandre, l’homme pour lequel elle avait tout risqué.
Éléa repensa à lui avec une douleur sourde. Combien de promesses avait-il murmurées, combien de fois lui avait-il assuré que leur amour valait chaque sacrifice ? Elle avait cru en lui, en cet homme qu’elle voyait comme une âme perdue cherchant la stabilité, tout comme elle. Elle s’était abandonnée à ses promesses, s’était accrochée à l’idée qu’un jour, il la choisirait vraiment, la mettrait au premier plan. Mais, une fois encore, il avait choisi de rester auprès de Sophie, sa femme, et désormais la future mère de son enfant. Cette décision avait frappé Éléa comme un coup de poignard, et la trahison de cet abandon brûlait encore.
Elle savait qu’il avait été déstabilisé en apprenant la grossesse de Sophie, mais elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi il n’avait pas eu le courage de franchir cette limite, de la choisir, elle, de prendre le risque d’être heureux. Toutes ces promesses semblaient désormais n’être que des mots creux, emportés par le vent. Elle se sentait trahie, brisée, comme si tout l’amour qu’elle lui avait donné avait été jeté de côté sans la moindre hésitation.
Alors qu’elle luttait pour retenir ses larmes, une odeur familière et réconfortante monta jusqu’à sa chambre : celle du café fraîchement préparé. Ce parfum chaud et enveloppant éveilla quelque chose en elle, un fragment de bonheur perdu. Ses parents avaient toujours préparé un petit déjeuner copieux le dimanche matin quand elle était petite, et cette tradition semblait perdurer malgré les années. Elle se leva doucement, essuya les traces de tristesse sur son visage et descendit les escaliers.
En arrivant dans la cuisine, elle fut accueillie par un spectacle rassurant : une table garnie de pains frais, de confitures maison, de fruits, et, bien sûr, d’une grande cafetière remplie. Marc et Hélène la saluèrent avec un sourire bienveillant, respectant son silence, mais leur présence seule suffisait à lui réchauffer le cœur.
Assise à table, Éléa se perdit un moment dans ses pensées, remuant son café sans vraiment y prêter attention. La tendresse de cet accueil lui rappelait les matins insouciants de son enfance, quand tout semblait plus simple, quand le plus grand de ses soucis était de savoir si elle avait fait tous ses devoirs pour le lendemain. Elle se demandait ce que la jeune fille qu’elle avait été aurait pensé de la femme qu’elle était devenue, marquée par une relation secrète et un amour impossible. Ses parents la regardaient avec compréhension, percevant la tristesse qui la tenaillait.
Après quelques échanges sur des sujets légers, Marc lui proposa une balade. « Viens, Éléa, tu as besoin de prendre l’air, de respirer un peu. Cela te fera du bien. »
Elle accepta avec gratitude. Hélène et Marc l’accompagnèrent dans un champ voisin, un vaste espace recouvert d’herbes hautes, de coquelicots et de marguerites, qui dansaient doucement sous la brise légère. Ce champ, elle s’en souvenait si bien. C’était là où elle passait des après-midi entiers à courir, rire, et cueillir des fleurs qu’elle rapportait à sa mère pour les mettre dans des vases. Elle ferma les yeux, se laissant envahir par la nostalgie de ces moments d’enfance.
Elle se revit, petite fille, couronnée de fleurs, riant aux éclats sous le regard attendri de ses parents. Elle se rappelait comment Marc lui courait après en simulant d’être un monstre pour la faire rire. Et Hélène, toujours prête à cueillir les plus belles marguerites pour en faire des bouquets qu’Éléa ramenait fièrement à la maison. Ces souvenirs lui réchauffaient le cœur, la ramenant à un temps où tout était plus simple, où l’amour de ses parents suffisait à remplir son monde.
Alors qu’ils marchaient en silence, profitant de la beauté du paysage, ils croisèrent un couple de voisins, **M. et Mme Lemoine**, qui habitaient dans le quartier depuis toujours. Ils avaient vu Éléa grandir et la regardaient avec un sourire chaleureux.
« Eh bien, Éléa ! Quelle surprise de te revoir par ici ! Comment ça va, ma chère ? » demanda Mme Lemoine, une femme rondelette aux joues roses et au sourire éclatant.
Éléa força un sourire, se sentant un peu gênée d’être ainsi interrogée, mais elle répondit poliment : « Bonjour, M. et Mme Lemoine. Je vais bien, merci… Je suis de retour pour quelque temps. »
Les Lemoine, sentant la réserve dans sa voix, ne posèrent pas davantage de questions. Ils échangèrent quelques mots avec Hélène et Marc, et, en prenant congé, souhaitèrent à Éléa de bien profiter de son retour. Cette bienveillance la toucha profondément. Ici, elle n’avait pas besoin de se justifier, de se défendre. Elle n’était pas la femme marquée par une histoire d’amour impossible ; elle n’était que la fille de Marc et Hélène, revenue au bercail.
De retour vers la maison, elle se sentait un peu plus légère, comme si cette promenade avait apaisé une part de son chagrin. Ses parents marchaient près d’elle, silencieux mais présents, lui rappelant qu’elle n’avait jamais à affronter ses douleurs seule. Ici, dans cette petite ville, dans ce foyer qu’ils avaient bâti pour elle, elle retrouvait peu à peu la force d’affronter l’avenir, un jour à la fois.