II
La Bataille dans la Cathédrale de WellsMe voici maintenant bel et bien lié aux roues du char de l’histoire, mes chers enfants, me voici tenu d’indiquer au fur et à mesure les noms, les lieux, les dates, quelque alourdissement qu’il en résulte pour mon récit.
Alors que se déroulait un pareil drame, il serait impertinent de parler de moi, si ce n’est comme le témoin ou l’auditeur de ce qui peut vous faire paraître plus vivantes ces scènes d’autrefois.
Il n’est point agréable pour moi de m’étendre sur ce sujet, mais convaincu, ainsi que je le suis, que le hasard ne joue aucun rôle dans les grandes ou les petites affaires de ce monde, j’ai la fermée croyance que les sacrifices de ces braves gens ne furent point perdus, que leurs efforts ne se dépensèrent point en pure perte, comme on le dirait peut-être à première vue.
Si la race perfide des Stuarts n’est plus maintenant sur le trône, et si la religion de l’Angleterre est encore une plante qui se développe librement, nous en sommes, selon moi, redevables à ces patauds du Comté de Somerset.
Ils furent les premiers à faire voir combien il faudrait peu de chose pour ébranler le trône d’un monarque impopulaire.
L’armée de Monmouth ne fut que l’avant-garde de celle qui marcha sur Londres, trois ans plus tard, lorsque Jacques et ses cruels ministres fuyaient, abandonnés de tous, à la surface de la terre.
Dans la nuit du 27 juin, ou plutôt dans la matinée du 28, nous arrivâmes à la ville de Frome, très mouillés, dans un état lamentable, car la pluie avait recommencé, et toutes les routes étaient des fondrières boueuses.
De là, nous partîmes le lendemain pour Wells.
On y passa la nuit et tout le jour suivant, pour donner aux hommes le temps de sécher leurs habits et de se refaire après leurs privations.
Dans l’après-midi, une revue de notre régiment du comté de Wills eut lieu dans le parvis de la cathédrale, et Monmouth nous fit des éloges, bien mérités d’ailleurs, pour les progrès accomplis en si peu de temps dans notre allure martiale.
Comme nous retournions à nos quartiers, après avoir renvoyé nos hommes, nous aperçûmes une grande foule des grossiers mineurs d’Oare et de Bagworthy rassemblés sur la place en face de la cathédrale, et écoutant l’un d’eux, qui les haranguait du haut d’un char.
Les gestes farouches et violents de cet homme prouvaient que c’était un de ces sectaires extrêmes en qui la religion court le danger de tourner à la folie furieuse.
Les bruits sourds et les gémissements qui montaient des rangs de la foule marquaient, cependant, que ses paroles ardentes étaient bien d’accord avec les dispositions de son auditoire.
Aussi nous fîmes une halte tout près de la foule, pour écouter son discours.
C’était un homme à barbe rouge, à la figure farouche, avec une toison en désordre qui retombait sur ses yeux luisants, et doué d’une voix rauque qui retentissait dans toute la place.
– Que ne ferons-nous pas pour le Seigneur, criait-il que ne ferons-nous pas pour le Saint des Saints ? Pourquoi sa main s’appesantit-elle sur nous ? Pourquoi n’avons-nous pas délivré ce pays, ainsi que Judith délivra Béthulie ?
Voyez-vous, nous avons attendu en paix, et il n’en est résulté rien de bon, et pour un temps de santé, nous vivons dans la peine.
Pourquoi cela, vous dis-je ?
En vérité, frères, c’est parce que nous avons agi à la légère avec le Seigneur, parce que nous n’avons pas été entièrement de cœur avec lui.
Oui, nous l’avons loué en paroles, mais par nos actions, nous lui avons témoigné de la froideur.
Vous le savez bien, le Prélatisme est chose maudite, qui mérite les sifflets, une chose qui es une abomination aux yeux du Tout-Puissant.
Et cependant, qu’est-ce que nous avons fait pour lui en cette circonstance, nous, ses serviteurs ?
N’avons-nous pas vu des églises prélatistes, églises des formes et des apparences, où la créature est confondue avec le Créateur ?
Ne les avons-nous pas vues, dis-je, et cependant n’avons-nous pas négligé de les balayer au loin, et ainsi ne les avons-nous pas sanctionnées ?
Le voilà le péché d’une génération tiède et prête à reculer !
La voilà la cause pour laquelle le Seigneur regarde avec froideur son peuple !
Voyez, à Shepton et à Frome, nous avons laissé derrière nous de pareilles églises.
À Gastonbury aussi, nous avons épargné ces murailles coupables qui furent élevées par les mains des idolâtres de jadis.
Malheur à vous, si après avoir mis la main à la charrue du Seigneur, vous tournez le dos à la besogne !
Regardez par ici…
Et sur ces mots, il se tourna vers la belle cathédrale :
– Que signifie cet amas de pierre ? N’est-ce point un autel de Baal ?
Ne fut-il point construit pour le culte de l’homme et non pour celui de Dieu.
N’est-ce point ici que le nommé Ken, paré de son s*t rochet, de ses joyaux puérils, peut prêcher des doctrines sans âme, et menteuses, lesquelles ne sont que le vieux ragoût du Papisme servi sous un nom nouveau ?
Est-ce que nous souffririons pareille chose ?
Est-ce que nous, les enfants choisis du Grand Être, nous laisserons subsister cette tache pestiférée !
Pouvons-nous compter sur l’aide du Tout-Puissant, si nous n’étendons pas la main pour venir à son aide ?
Nous avons laissé derrière nous les autres temples du Prélatisme, laisserons-nous aussi celui-ci debout, mes frères ?
– Non, non, hurla la foule, agitée par des mouvements d’orage.
– Allons-nous le démolir jusqu’à ce qu’il n’en reste pas pierre sur pierre ?
– Oui ! oui ! cria-t-on.
– Maintenant ? Tout de suite ?
– Oui, oui !
– Alors, à l’œuvre ! cria-t-il, et s’élançant à bas de son char, il se précipita vers la cathédrale, suivi de près par la tourbe d’enragés fanatiques.
Les uns s’amassèrent, hurlant, vociférant, pour franchir les portes ouvertes.
D’autres, en essaims, grimpaient aux piliers et aux piédestaux de la façade, martelaient les ornements sculptés, se cramponnaient aux vieilles et grises statues de pierre qui occupaient chaque niche.
– Il faut mettre un terme à ce désordre, dit Saxon d’un ton bref. Nous ne pouvons laisser insulter et salir toute l’Église d’Angleterre pour plaire à une b***e de braillards à la tête échauffée. Le pillage de cette cathédrale ferait plus de tort à notre cause que la perte d’une bataille rangée. Amenez votre compagnie, Sir Gervas. Pour nous, nous ferons de notre mieux pour les retenir jusque-là.
– Eh, Masterton, cria le baronnet, apercevant un de ses sous-officiers dans un groupe qui se contentait de regarder, sans aider ni empêcher les émeutiers. Courez au quartier et dites à Barker de former la compagnie, la mèche allumée. Je puis être de quelque utilité ici.
– Ah ! voici Buyse, s’écria joyeusement Saxon, en voyant le colosse allemand se frayer passage à travers la foule, et, Lord Grey aussi. Il faut que nous sauvions la cathédrale, mylord. Ils la mettraient à sac et la brûleraient.
– Par ici, gentilshommes, s’écria un homme âgé, aux cheveux gris, qui accourait à nous les bras tendus, un trousseau de clef sonnant à sa ceinture. Oh ! hâtez-vous, gentilshommes, si vous avez vraiment quelque autorité sur ces gens sans principes. Ils ont abattu saint Pierre, et ils finiront par démolir saint Paul, s’il n’arrive pas de secours. Il ne restera pas un Apôtre. Ils ont apporté un tonneau de bière et ils sont en train de le défoncer sur le maître-autel. Oh ! Hélas ! Peut-on voir chose pareille dans un pays chrétien !
Il eut un bruyant sanglot et frappa du pied dans son désespoir et sa souffrance.
– C’est le sacristain, messieurs, dit quelqu’un de la ville. Il a vieilli dans la cathédrale.
– Voilà le chemin de la Sacristie, mylords et gentilshommes, dit le vieillard en s’ouvrant courageusement passage à travers la foule. Maintenant, quel malheur, le saint Paul est tombé aussi !
Comme il parlait, un craquement multiple s’entendit à l’intérieur de la cathédrale, annonçant une nouvelle profanation des fanatiques.
Notre guide redoubla de vitesse, et parvint enfin à une porte basse en chêne qu’il ouvrit à force de faire grincer des barreaux et craquer des gonds.
Nous nous glissâmes tant bien que mal par cette ouverture et suivîmes du pas le plus rapide le vieillard dans un corridor dallé qui débouchait dans la cathédrale par une petite porte tout près du maître-autel.
Le vaste édifice était plein d’émeutiers qui couraient de tous côtés, détruisant, brisant tout ce qu’ils pouvaient atteindre.
Un grand nombre d’entre eux étaient des fanatiques sincères, disciples du prédicant que nous avions entendu dehors, mais il y en avait d’autres que leurs figures suffisaient à désigner comme des coquins et des simples voleurs, tels que toute armée en ramasse sur son passage.
Pendant que les premiers arrachaient les statues des murailles ou lançaient les livres de prières à travers les vitraux des fenêtres, les autres déracinaient les massifs candélabres de bronze, emportant tout ce qui paraissait évidemment avoir quelque valeur.
Un individu déguenillé, huché dans la chaire s’employait à déchirer le velours cramoisi qu’il jetait dans la foule.
Un autre avait renversé le pupitre, où on lisait les livres saints, et s’évertuait à tordre la monture de bronze pour l’enlever.
Au milieu d’une des ailes, un petit groupe avait passé une corde au cou de l’évangéliste Marc et tirait avec ardeur, si bien qu’au moment même de notre entrée, la statue oscilla quelques instants et finit par s’abattre à grand bruit sur les dalles de marbre.
Les vociférations, qui accompagnaient chaque nouvelle profanation, le craquement des boiseries démolies, des fenêtres brisées, le bruit sourd de la maçonnerie qui tombait, tout cela faisait un vacarme des plus assourdissants, auquel s’ajoutait le ronflement de l’orgue, que plusieurs émeutiers firent taire enfin en crevant les soufflets.
Le spectacle qui nous frappa le plus vivement, ce fut la scène qui se passait juste en face de nous au maître-autel.
On y avait placé un tonneau de bière.
Une douzaine de bandits s’étaient groupés tout autour.
L’un d’eux, avec des gestes indécents, avait grimpé dessus et s’occupait à défoncer le tonneau à coups de hachette.
Au moment de notre entrée, il venait de réussir à l’ouvrir.
La liqueur brune sortait en moussant, pendant que la foule, avec de bruyants éclats de rire, faisait circuler des cuillers à pot et des gobelets.
Le soldat allemand lança un juron grossier, d’une voix saccadée, à ce spectacle, se frayant à coups d’épaules un passage à travers les tapageurs.
Il sauta sur l’autel.
Le meneur de l’orgie était penché sur son baril, la cruche à la main, quand la poigne de fer du soldat s’abattit sur son collet.
En un instant, ses talons battaient l’air, il avait la tête plongée d’une profondeur de trois pieds dans le tonneau, dont le contenu jaillit en écumant de tous côtés.
Par un effort vigoureux, Buyse saisit le tonneau avec le mineur à-demi noyé qui s’y trouvait et lança le tout à grand bruit sur les larges degrés de marbre qui partaient du centre de l’église.
En même temps, aidés d’une douzaine de nos hommes, qui nous avaient suivis dans la cathédrale, nous repoussâmes les camarades de l’individu et les rejetâmes derrière la grille qui séparait le chœur de la nef.
Notre attaque eut pour effet de mettre un terme à la dévastation, mais en détournant sur nous la furie des fanatiques qui, jusque-là, s’exerçait sur les murs et les fenêtres.
Statues, sculptures de pierre, boiseries, tout fut abandonné par les vandales et la b***e entière se précipita avec un rauque bourdonnement de rage.
Toute discipline, tout ordre, disparut dans leur frénésie pieuse.
– Abattez les Prélatistes ! hurlaient-ils. À bas les partisans de l’Antéchrist ! Massacrons-les aux cornes mêmes de l’autel. À bas ! à bas !
Ils se massèrent des deux côtés, on une cohue sauvage, à demi folle, les uns armés, les autres sans armes, mais tous jusqu’au dernier pleins de cette fièvre, de cette rage qui aboutissent au meurtre.
– C’est une guerre civile compliquée d’une autre guerre civile, dit Lord Grey, avec un calme sourire. Nous n’avons rien de mieux à faire que de dégainer, gentilshommes, et de défendre l’ouverture de la grille, si nous pouvons tenir bon jusqu’à ce qu’il arrive de l’aide.
Et en disant ces mots, il tira vivement sa rapière et se posta au haut des marches, entre Saxon et Sir Gervas d’un côté, Buyse, Ruben et moi de l’autre.
Il y avait juste l’espace nécessaire pour permettre à six hommes de manier efficacement leurs armes.
En conséquence, notre faible troupe d’auxiliaires se répartit le long de la grille.
Heureusement elle était assez haute et assez solide pour qu’il fût périlleux de l’escalader en présence d’adversaires.
Le désordre avait fait place à une véritable mutinerie parmi ces hommes des marais et des mines.
Les piques, les faux, les couteaux brillaient dans le demi-jour.
Les clameurs de rage étaient renvoyées en échos par les hautes voûtes du toit, comme les hurlements d’une meute de loups.
– Marchez en avant, mes frères, criait le prédicant fanatique qui avait déterminé l’explosion, marchez en avant contre eux. Peu importe qu’ils soient à une place dominante. Il y en a un qui est plus haut qu’eux. Reculerons-nous devant son œuvre à cause d’une épée nue ? Souffrirons-nous que l’autel prélatiste soit sauvé par ces fils d’Amalek ? En avant, en avant, au nom du Seigneur !
– Au nom du Seigneur ! s’écria la foule, avec une sorte d’une voix haletante, accompagnée d’une sorte de sifflement, comme celui d’un homme sur le point de se lancer dans un bain glacé. Au nom du Seigneur !
Et ils arrivèrent des deux côtés, gagnant en nombre et en impulsion, si bien qu’enfin, avec un cri sauvage, ce flot se trouva devant la pointe même de nos épées.
Je ne saurais dire ce qui se passa à ma droite ou à ma gauche pendant la mêlée, car il y avait tant de gens qui nous serraient de près, et la lutte était si vive que chacun de nous ne pouvait faire plus que de se maintenir.
Le nombre même de nos agresseurs était une circonstance favorable pour nous, car il les gênait dans le maniement de l’épée.
Un gros mineur me lança un furieux coup de faux, mais il me manqua et perdit l’équilibre par suite de l’élan qu’il avait pris pour frapper, et je lui passai mon épée à travers le corps avant qu’il pût se remettre debout.
Ce fut la première fois, mes chers enfants, qu’il m’arriva de tuer un homme dans un moment de colère, et je n’oublierai jamais la figure pâle, effarée, qu’il tourna vers moi par-dessus son épaule avant de tomber.
Un autre me prit corps à corps avant que j’eusse dégagé mon arme, mais je l’écartai violemment de ma main gauche, puis j’abattis sur sa tête le plat de mon épée, et je l’étendis sans connaissance sur le pavé.
Dieu le sait, je n’avais nul désir d’ôter la vie à ces fanatiques égarés, ignorants, mais la nôtre était en jeu.
Un homme des marais, qui avait plutôt l’air d’une bête sauvage velue que d’un être humain, s’élança au-dessus de mon arme et me saisit par les genoux pendant qu’un autre abattait son fléau sur mon casque, d’où le coup glissa sur mon épaule.
Un troisième me porta un coup de pique et m’atteignit à la cuisse, mais d’un coup je tranchai son arme en deux, et d’un autre je lui fendis la tête.
À cette vue, l’homme au fléau recula.
Une violente ruade me délivra de la créature sans armes, aux apparences simiesques, qui était à mes pieds, si bien que je me trouvai débarrassé de mes adversaires, sans avoir souffert de la rencontre, si ce n’est une égratignure à la cuisse et une certaine raideur dans le cou et l’épaule.
Je regardai autour de moi et je vis que mes compagnons avaient également réussi à écarter leurs agresseurs.
Saxon tenait de la main gauche sa rapière sanglante.
Le sang coulait à petites gouttes d’une blessure légère qu’il avait reçue à la main droite.
Devant lui gisaient, l’un sur l’autre, deux mineurs, mais aux pieds de Sir Gervas, il n’y avait pas moins de quatre corps entassés.
Au moment où je le regardai, il avait tiré sa tabatière et il s’inclinait devant Lord Grey, et d’un gracieux mouvement, il la lui présentait, l’air aussi insouciant que s’ils s’étaient rencontrés dans un café de Londres.
Buyse s’appuyait sur son grand sabre et considérait d’un air sombre un corps décapité, qui gisait devant lui, et qu’à ses vêtements je reconnus pour être celui du prédicant.
Pour Ruben, il était sain et sauf, mais il témoignait une vive inquiétude au sujet de ma légère entaille, malgré tout ce que je fis pour lui prouver que c’était moins grave que tant de déchirures causées par les branches ou les épines, que nous avions jadis reçues en allant ensemble cueillir les mûres.
Les fanatiques, bien qu’ils eussent été repoussés, n’étaient pas gens à s’en tenir à une première défaite.
Ils avaient perdu dix des leurs, y compris leur chef, sans arriver à forcer notre ligne, mais cet échec ne servit qu’à exaspérer leur furie.
Ils se rassemblèrent, haletants, dans une aile de l’église, pendant une ou deux minutes.
Puis, poussant un hurlement de rage, ils s’élancèrent une seconde fois et firent un effort désespéré pour se frayer un passage jusqu’à l’autel.
Cette fois, la lutte fut plus acharnée, plus prolongée que la première.
Un de nos hommes reçut un coup de poignard au cœur, à travers les barreaux et tomba sans pousser un gémissement.
Un autre fut étourdi par un bloc de maçonnerie que lança sur lui un gigantesque montagnard.
Ruben fut jeté à terre d’un coup de massue, et il aurait été trainé au dehors et haché en morceaux, si je ne m’étais pas dressé au-dessus de lui et si je n’avais pas écarté ses adversaires.
Sir Gervas perdit l’équilibre sous le flot des assaillants, mais quoiqu’étendu à terre, il se débattait comme un chat sauvage blessé, frappant furieusement tout ce qui se trouvait à sa portée.
Buyse et Saxon, dos à dos, se tenaient debout solidement au milieu de la foule bouillonnante, qui s’élançait sur eux, et chacun de leurs coups d’épée lancés à toute volée abattait son homme.
Mais dans une pareille lutte, le nombre devait l’emporter, et pour ma part je dois reconnaître que je commençais à avoir des craintes sur le dénouement de notre querelle, quand les pas lourds d’une troupe disciplinée résonnèrent dans la cathédrale.
C’étaient les mousquetaires du baronnet qui arrivaient en hâte par la nef centrale.
Les fanatiques n’attendirent pas leur charge.
Ils s’enfuirent par-dessus les bancs, les stalles, poursuivis par nos alliés furieux de voir à terre leur bien-aimé capitaine.
Il y eut une ou deux minutes d’effarements, des bruits de pas, des coups de poignard, des plaintes sourdes, des fracas de crosses de mousquets tombant sur les dalles de marbre.
Parmi les émeutiers, quelques-uns furent tués, mais les plus grand nombre jetèrent leurs armes et furent arrêtés sur l’ordre de Lord Grey.
En même temps, une forte garde fut placée aux portes, pour s’opposer à toute nouvelle explosion de la rage sectaire.
Lorsqu’enfin la cathédrale fut vide et l’ordre rétabli, nous pûmes à loisir regarder autour de nous et nous rendre compte de ce que nous avions souffert.
Dans toutes mes pérégrinations, dans les nombreuses guerres auxquelles j’ai pris part, à côté desquelles cette affaire de Monmouth ne fut qu’une simple escarmouche, je ne vis jamais scène plus étrange ou plus émouvante.