Chapitre 6 / Sous les étoiles éteintes

1257 Words
Nous arrivons, après quelques minutes en voiture, devant une immense maison, presque aussi imposante que les deux buildings qui l'encadrent. Une clôture métallique entoure la propriété, conférant au lieu un air à la fois prestigieux et intimidant. Ma garde rapprochée passe un badge devant un scanner intégré au portail, et celui-ci s'ouvre dans un léger grincement. Nous avançons le long d'une allée pavée, bordée de fleurs aux couleurs vives et soigneusement entretenues, formant un contraste frappant avec le gris des immeubles environnants. Le décor est élégant, mais il y a quelque chose d'artificiel dans cette perfection qui me met mal à l'aise. Arrivées devant la porte d'entrée, l'officier frappe doucement. Celle-ci s'ouvre presque instantanément, révélant un androïde que je n'avais jamais vu auparavant. Plus petit que moi, il tient un plumeau dans sa main gauche et se déplace sur une unique roue parfaitement lisse. Contrairement aux androïdes austères de la prison, celui-ci arbore une apparence bien plus accueillante, et sa voix, lorsqu'il s'adresse à nous, est tellement humaine qu'elle en est perturbante. — Oh, mademoiselle Williams ! Quel plaisir de vous rencontrer enfin. Je vous en prie, entrez. Madame et Monsieur sont en train de dîner. Son ton est si chaleureux que j'en reste figée une seconde. Je jette un regard furtif à ma garde rapprochée, qui me fait signe de le suivre à l'intérieur. Dès que je franchis le seuil, je suis frappée par l'opulence des lieux. Le sol en marbre brille sous les lumières tamisées, et chaque détail ; des cadres dorés aux chandeliers suspendus ; semble avoir été choisi pour impressionner. Cela fait une éternité que je n'ai rien avalé, et pourtant, l'idée de manger ici me laisse une boule au ventre. Nous entrons et suivons le petit robot jusque dans une grande salle à manger. Tout, des murs aux meubles, est d'un blanc immaculé. Le style est moderne, épuré, presque clinique. Une froideur étrange imprègne la pièce, et malgré les chandeliers élégants et les baies vitrées donnant sur un jardin soigneusement taillé, l'endroit me paraît vide de toute chaleur humaine. Au centre, une immense table regorge de plats de résistance, d'accompagnements, et de desserts luxueux. Les arômes sont si alléchants qu'ils me donnent le vertige. Avec toute cette nourriture, on pourrait nourrir plusieurs familles. À l'extrémité de la table, une femme d'âge mûr est assise, droite et austère. Ses cheveux sont tirés en un chignon strict, et son visage est marqué par un air sévère qui ne laisse place à aucune douceur. Son regard perçant me jauge de la tête aux pieds avant qu'un sourcil ne s'arque légèrement. — Zoé, c'est bien cela ? demande-t-elle d'un ton glacial. Je hoche timidement la tête, mon cœur battant la chamade. — J'attends une réponse, pas un simple signe de tête, insiste-t-elle avec impatience. L'officier qui m'accompagne intervient avant que je ne puisse faire quoi que ce soit. — Mademoiselle Williams est muette, Madame Grivelle. La dame lève les yeux au ciel avec une exaspération non dissimulée avant de détourner son attention vers son assiette. Je reste plantée là, figée, ne sachant que faire. Mon regard se pose sur les plats, et une faim dévorante me saisit l'estomac. Pourtant, ses manières méprisantes me clouent sur place. — Mangez, vous n'allez pas rester debout tout le repas, lâche-t-elle finalement, d'un ton aussi froid que son regard. Je m'avance timidement, mes mouvements maladroits trahissant mon malaise, et prends place à l'autre bout de la table, le plus loin possible d'elle. Je commence à me servir, mes mains tremblantes trahissant ma nervosité. Mais alors que je m'apprête à prendre ma première bouchée, je sens un regard pesant sur moi. Je lève les yeux et découvre une autre personne assise à la table, à quelques sièges de distance. C'est un jeune homme, probablement de mon âge ou à peine plus vieux. Ses cheveux noirs sont coupés courts, presque rasés, et ses grands yeux sombres me fixent sans ciller. Son visage est impassible, comme s'il portait un masque dénué d'émotions. Un frisson me parcourt, mais je décide de détourner les yeux, faisant mine de ne pas le remarquer. Je n'écoute que ma faim. L'officier chargée de ma protection reste debout, immobile, dans un coin de la pièce. Son regard reste alerte, surveillant la scène sans intervenir. Je dévore mon assiette en silence, la nourriture disparaissant à une vitesse presque embarrassante. Chaque bouchée semble me ramener un peu d'énergie, mais aussi éveiller une faim encore plus grande. Je m'empiffre jusqu'à ce que mon estomac commence à protester. Je jette un coup d'œil à la table, encore remplie de victuailles, mais je me raisonne. Je ne sais pas si j'aurai l'occasion de manger autant dans les jours à venir. Peut-être ne devrais-je pas tout prendre d'un coup. Pourtant, une pensée sournoise me traverse : ici, rien ne garantit que demain soit aussi indulgent que ce soir. *** Après le dîner, Madame Grivelle s'est levée de table sans un mot, quittant la salle. Son fils, tout aussi silencieux, a suivi ses traces quelques instants plus tard, me laissant seule avec le petit robot domestique. Ce dernier me fait signe de le suivre à travers le vaste hall, jusqu'à un grand escalier qui s'élève avec élégance vers les étages supérieurs. Je grimpe exténuée derrière lui. Arrivés au sommet, le robot s'éloigne rapidement, un plumeau à la main, pour reprendre ses tâches dans une autre partie de la maison. L'officier, qui m'a suivie en silence, me désigne une porte non loin de la mienne. — Je dormirai ici, précise-t-elle d'un ton neutre, avant de disparaître dans la pièce adjacente. J'ouvre doucement la porte de ma chambre et entre fermant derrière moi. Mais à peine ai-je fait quelques pas que je m'arrête, stupéfaite par ce que je découvre. La chambre dans laquelle je me trouve n'a rien de celle que j'avais imaginée. Terne, presque en décomposition, elle semble avoir été laissée à l'abandon depuis bien trop longtemps. Les murs, humides, portent les traces de l'usure du temps, et la peinture s'écaille par endroits. Pourtant, le lit, bien que modeste, est confortable. Je m'y assieds, cherchant un semblant de réconfort dans cette pièce qui ne ressemble en rien à la précédente. Je me perds dans la contemplation du ciel par la grande fenêtre. Quelques étoiles émergent lentement, dans l'immensité noire. Leur lumière, si lointaine, contraste avec le vide qui emplit mon cœur. Soudain, je me sens vraiment seule. Une solitude écrasante, étouffante, envahit tout mon être. Je pense à mon père, à sa voix rassurante, à la chaleur de ses bras. Je comprends, d'un coup, que je ne le reverrai plus. Son absence me frappe de plein fouet, comme un coup v*****t. Je n'entendrai plus jamais ses rires, ni ne sentirai plus son parfum. La douleur de cette vérité me fait vaciller. Je ferme les yeux, m'enroulant en boule sur ce lit qui semble être le seul à me soutenir. Une pensée m'envahit alors : tout ce que j'ai connu, tout ce que j'avais pris pour acquis, tout cela est désormais brisé. Mon père est parti, Charlie disparue, et la personne en qui j'avais placé ma confiance m'a trahie. Je n'ai aucune réponse à mes questions, juste un vide immense qui m'engloutit. Je laisse ces pensées m'envahir, et je me laisse aller, seule avec ma douleur. Mes larmes coulent sans retenue. Je pleure tout ce que j'ai perdu, tout ce qui ne reviendra jamais. Peu à peu, mes sanglots se font plus faibles, jusqu'à ce que, finalement, je m'endorme, épuisée par cette peine qui ne me quitte plus.
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