Un rayon de soleil s'insinue à travers les rideaux troués de ma chambre, me tirant du sommeil. Mes yeux sont encore gonflés des larmes de la veille. Je m'assois un instant sur le lit, mes pensées flottant entre regrets et détermination. Finalement, je me lève et me dirige vers la petite salle de bain attenante.
Dans le miroir fissuré, je croise mon reflet. Mon visage est pâle, marqué par l'épuisement, mes cheveux rose pâle tombent en mèches désordonnées. Un sentiment de rejet m'envahit. Je ne me supporte pas dans cet état. Un éclat de glace pend au miroir cassé. Sans réfléchir, je le décroche et saisit une mèche de cheveux entre mes doigts tremblants. Le premier coup est maladroit, la coupe irrégulière. Mais je continue, jusqu'à ce que mes cheveux courts dégagent mon visage. Je contemple le résultat. Ce n'est pas parfait, loin de là, mais quelque chose en moi se sent libéré. Je retourne dans ma chambre, toujours enveloppée dans un pyjama aux tons sombres, un contraste frappant avec la pâleur de ma peau. L'obscurité paisible de la nuit m'appelle, et je décide d'explorer cette maison immense et étrangère. À pas feutrés, je sors de ma chambre, refermant doucement la porte derrière moi. Le silence règne, et mes yeux s'habituent lentement aux formes indistinctes des meubles qui m'entourent.
Je descends le grand escalier et arrivée en bas, la porte d'entrée se dresse devant moi. Je l'ouvre avec précaution, et une bouffée d'air frais s'infiltre, caressant mon visage. Le ciel nocturne s'étend au-dessus de moi. Le souffle court, je me laisse emporter par une rêverie : courir, courir sans relâche jusqu'à retrouver ma maison, ce lieu qui n'existe désormais plus que dans mes souvenirs. Mais cette pensée s'éteint aussi vite qu'elle est née. Ici, dans cette ville inconnue, chaque rue serait un labyrinthe, et l'espoir de retrouver mon chemin une illusion cruelle.
Soudain, une voix surgit derrière moi, brisant le silence.
— D'humeur à fuir ?
Je sursaute et me retourne d'un bond. Le jeune homme est là, adossé nonchalamment à l'embrasure de la porte, un sourire suffisant accroché à ses lèvres. Il est grand et plutôt athlétique. Mon instinct me souffle qu'il pourrait être dangereux, et si jamais il tentait quoi que ce soit, il me serait difficile de m'en sortir.
Il penche légèrement la tête, me détaillant de haut en bas avec une lenteur déconcertante. Son regard me met mal à l'aise, mais je serre les bras autour de ma poitrine, cherchant à masquer ma gêne. Je fronce les sourcils, tentant de garder une façade impassible malgré mon cœur battant plus vite.
— Sympa, la coupe, lâche-t-il, narquois.
Je passe machinalement une main dans mes cheveux, m'arrêtant juste au-dessus de mes épaules. La fraîcheur de la nuit commence à m'envahir, et je décide de rentrer dans la maison. Il referme la porte derrière nous.
Alors que je m'apprête à remonter l'immense escalier, sa voix m'interpelle.
— C'était comment ?
Je me retourne, perplexe.
— La prison, je veux dire...
Je ne sais pas s'il attend réellement une réponse de ma part, mais je décide de lui répondre en levant ma main pour former un pistolet imaginaire, que je pointe sur ma tempe avant d'imiter un tir.
Il semble amusé par mon geste et, malgré moi, un sourire en coin se dessine sur mes lèvres. Il tend alors la main vers moi.
— Julian.
Je la serre, méfiante, et signe mon nom en réponse.
— Enchanté de faire ta connaissance, Zoé.
Sur ces mots, je me détourne et gravis l'escalier menant à ma chambre, sentant son regard peser sur moi jusqu'à ce que je disparaisse à l'étage.
***
Je suis figée, incapable de bouger ou même de respirer. Une lumière aveuglante me brûle les yeux, et je ne perçois que les sanglots étouffés de Charlie mêlés aux cris déchirants de Nélio.
Devant moi, Madame Griselle se tient impassible, un pistolet en main. D'un geste froid, elle le tend à la régente, qui me fixe d'un regard glacial, son arme pointée droit sur moi. Mon cœur bat si fort que j'en ai mal.
Puis, sans la moindre hésitation, elle presse la détente.
Un bruit sourd résonne et mes yeux s'ouvrent brusquement. Je me redresse en sursaut, haletante.
Une seconde passe, puis une autre. Quelqu'un frappe à la porte.
Il me faut un moment pour comprendre où je suis. La réalité revient peu à peu : ma chambre, cette immense maison... Rien de tout cela n'était réel. Ce n'était qu'un cauchemar.
La voix de l'officier encore chargée de sommeil, me parvient à travers la porte :
— Mademoiselle Williams, soyez prête à partir dans dix minutes.
Mon regard se pose sur la robe bleue froissée abandonnée dans un coin de ma chambre, ainsi que sur les escarpins blancs portés la veille. Mais une boîte, déposée discrètement près de la porte, attire mon attention. Je l'ouvre et découvre une nouvelle tenue. D'un bleu sombre et austère, il s'agit d'un ensemble d'une seule pièce sans manches, au col roulé structuré et au pantalon évasé. Une paire de talons noirs l'accompagne. Je me change rapidement.
Je quitte ma chambre et descends les escaliers, l'officier suivant mes pas d'un silence militaire. Arrivée en bas, Madame Griselle lève les yeux vers moi, puis consulte sa montre avec un soupir agacé. Pas un mot, pas un regard.
Julian, posté près de la porte, s'empresse de l'ouvrir pour sa mère. Elle traverse l'entrée d'un pas sec et monte à bord d'une somptueuse voiture blanche. Alors que je m'apprête à franchir le seuil à mon tour, Julian me lance un sourire bienveillant. Un sourire qui, étrangement, éveille en moi un frisson de méfiance.
Le paysage défile, toujours aussi épuré qu'intriguant, presque irréel. Finalement, la voiture s'immobilise devant une vaste place. En sortant, l'air frais me frappe, et je remarque aussitôt l'agitation qui règne autour de nous. Il s'agit d'un marché, mais pas n'importe lequel : un marché où le luxe se mêle à l'opulence dans une étrange mise en scène.
Madame Griselle mène la marche d'un pas assuré, sans prêter attention à ce qui l'entoure. Pourtant, je capte les regards qui se tournent vers elle. Certains observateurs murmurent, leurs chuchotements se faufilant à travers le brouhaha des marchands. Leur respect mêlé de crainte est palpable.
Je ne peux m'empêcher de me demander quelle importance Madame Griselle peut bien avoir pour ces gens. Elle finit par s'arrêter devant un stand de bijoux étincelants, où elle se lance dans une négociation animée sur le prix de certaines bagues.
Pendant ce temps, mon regard se perd au-delà de l'agitation du marché, je m'éloigne et me dirige instinctivement vers l'extrémité de la place. Une fois au bord, mon souffle se coupe face au spectacle qui s'offre à moi.
La ville s'étend dans un labyrinthe d'immeubles et de cours d'eau sinueux qui scintillent sous la lumière du jour. Plus loin, des champs d'un vert éclatant forment un contraste saisissant avec le béton et l'acier. Le tableau est à la fois majestueux et oppressant, un monde qui m'est encore étranger, mais qui m'éveille une curiosité mêlée de vertige. Je pointe du doigt une extrémité qui semble s'arrêter net et me tourne vers l'officier, intriguée. Mais cette dernière se tient à quelques pas de distance, tandis que le visage de Julian est juste à côté de moi.
Il suit mon regard.
— C'est simplement l'extrémité de la ville.
Perplexe, je lui signe ce qu'il y a au-delà. Mais en réponse, il hausse simplement les épaules.
— Il n'y a rien, juste de la poussière.
Je ne comprends pas ses propos et secoue la tête.
— Ça a toujours été comme ça, notre nation, et rien d'autre.
Je m'apprête à lui poser d'autres questions, mais une voix glaciale de Madame Griselle nous interrompt.
— Julian.
Ce dernier se retourne et la rejoint. Je jette un dernier coup d'œil à la vue, puis décide de les suivre. Madame Griselle pose un regard sévère sur son fils, avant de me fixer de haut.
— Ne vous éloignez pas.
Nous avançons entre des stands, tous aussi élégants les uns que les autres. Après quelques minutes, des murmures parcourent la foule, et tous les regards convergent dans une seule direction. Une foule s'est formée près d'un stand de nourriture, et l'air devient soudainement plus lourd. Madame Griselle semble elle aussi intriguée. Elle se faufile dans la masse et, par curiosité ou par calcul, se place en première ligne. Je la suis, incapable de détourner le regard.
Ce que je vois me fait sursauter.
Un officier arrête brutalement un jeune enfant. Il est sale, les vêtements déchirés, et un œil au bord du visage est marqué d'un hématome bleu sombre. L'officier, sans aucune hésitation, saisit l'enfant par le col d'une main, et rend la nourriture volée au propriétaire du stand, en lui adressant des félicitations pour sa "réaction rapide". La foule autour de nous applaudit, félicitant l'officier comme s'il avait accompli une grande prouesse.
Mais l'enfant, sous la douleur, vacille, ses jambes tremblent et il ne tient plus debout. L'officier commence à le traîner sans pitié. Un frisson d'indignation me parcourt.
Sans réfléchir, je cours vers lui et d'un geste rapide, je lui enlève la main de l'enfant. Ce dernier, effrayé, se jette dans mes bras, tremblant. Un instant, c'est comme si Charlie était là, comme si ce petit garçon représentait tout ce lien perdu.
Tous les regards sont braqués sur moi, mais le plus glacial reste celui de Madame Griselle. Dans un éclat de rage, je la défie du regard. Julian s'avance, non pas pour m'arrêter, mais pour intervenir calmement, presque avec une sorte de résignation dans son regard. L'enfant, tremblant, s'accroche à moi de plus en plus fort, comme s'il savait qu'il n'allait pas être épargné. L'officier commence à hausser la voix en adressant des reproches à Julian, mais ce dernier, sans un mot, s'accroupit à ma hauteur.
Il plante ses yeux dans les miens. Un mélange de bienveillance, mais aussi de détachement, comme s'il savait que rien de ce que je ferais ne changerait la situation.
- Lâche-le, Zoé.
Je secoue la tête, la gorge nouée. Mais je n'arrive pas à imaginer ce qui va lui arriver.
Madame Griselle, furieuse, fait quelques pas en avant, son regard acéré fixé sur moi.
- C'est ridicule. Lâchez cet enfant immédiatement.
Je serre les dents, secouant encore la tête, refusant de céder. Madame Griselle, implacable, fait un pas vers moi, sort un pendentif de son cou, et d'un geste rapide et impitoyable, utilise un petit objet qu'elle fait glisser contre ma joue. La douleur est immédiate et lancinante. Sur le coup, je relâche mon emprise sur l'enfant. L'officier, sans ménagement, le tire de mes bras.
Je me redresse d'un coup, prête à protester, mais ma garde rapprochée m'empoigne fermement. Elle se penche vers moi, ses mots glacés et autoritaires.
- Ne fais pas ça.
Résignée, je me laisse entraîner, ma révolte noyée par un silence lourd. Nous reprenons notre chemin vers la voiture. Madame Griselle, quant à elle, tente de maintenir son apparence impeccable, mais son regard, glacial et furieux, ne trompe plus personne.
La voiture nous emporte, mais un sentiment d'étouffement reste suspendu dans l'air. Je suis forcée de vivre dans ce monde dénué de compassion, où l'injustice semble se nicher dans chaque recoin.