Je suis de nouveau enfermée. Cette fois-ci, cependant, l'endroit n'a rien à voir avec les cellules sombres et humides que j'ai connues. Je me trouve dans une immense chambre aux tons blancs et bleus. Le lit est si grand qu'on pourrait y dormir à quatre sans jamais se toucher. À côté, une salle de bain d'une beauté époustouflante attire mon attention. Je n'avais jamais rien vu de tel, et mon regard s'attarde sur chaque détail, éblouie.
Sur la porte de la salle de bain, une robe bleu pastel est suspendue, délicate, à fines bretelles et évasée. Je m'approche du miroir et me fige un instant. C'est la première fois que je me vois depuis des mois. Mon reflet me surprend : mes joues sont creusées, mes cheveux sales et emmêlés ont perdu leur couleur rose pâle.
Je me décide à prendre une douche. Sous l'eau chaude, je ressens une vague de soulagement profond. Chaque goutte sur ma peau apaise des douleurs dont je n'avais même plus conscience. J'oublie, l'espace de quelques minutes, où je me trouve. J'oublie même la trahison de Nélio, la disparition de Charlie. Pour un bref instant, il n'y a plus que moi et la chaleur de l'eau.
J'enfile la robe bleu pastel, qui tombe parfaitement sur mes épaules, et remarque une paire de petites chaussures à talons, d'un blanc éclatant. À peine les ai-je chaussées que la porte de la chambre s'ouvre en silence. Je me fige en apercevant Nélio devant moi.
Il se tient droit, le visage impassible, vêtu d'un uniforme de garde aux teintes sombres, impeccable et armé jusqu'à la ceinture. Plusieurs armes, prêtes à l'usage, pendent à son côté, renforçant l'aura de froideur et d'autorité qui l'entoure désormais. C'est comme si chaque trace du Nélio que j'ai connu avait été effacée.
Je reste immobile un instant, prise de stupeur, mon cœur battant furieusement. Comment peut-il me demander, avec ce ton détaché, si je vais bien ? Il s'avance et se plante devant moi, son regard toujours aussi calme. La colère monte en moi sans prévenir, et je le gifle d'un geste vif. Mais il ne réagit pas, restant impassible comme si ce geste n'avait pas eu de poids.
Je commence à signer frénétiquement, exigeant de savoir où est Charlie. Il soupire et son visage se ferme légèrement, comme s'il regrettait ce qu'il s'apprêtait à dire.
— Je ne peux pas te le dire, mais elle va bien, assure-t-il.
Comment pourrait-elle aller bien, toute seule ? Est-ce qu'elle a quelqu'un pour veiller sur elle, un parent ? Je désigne son uniforme d'un geste rageur, un sourcil froncé, demandant des explications.
— Zoé, je ne pouvais rien te dire, reprend-il avec une voix mesurée. Chaque garde doit passer par les épreuves de la prison pour prouver sa loyauté. Mais très peu sont soumis à... ce qu'on a traversé ensemble.
Il garde son regard fixé sur moi, et je devine une lueur de tristesse, presque imperceptible.
Je signe un dernier geste entre nous, comme pour symboliser le lien brisé. Dans ses yeux, un éclat de regret passe furtivement.
— Je... je suis désolé, Zoé, murmure-t-il, la voix basse. La peur et l'enfermement m'ont poussé à faire des choix que je regrette...
C'était une erreur.
À ses mots, mon cœur se serre, une douleur sourde monte en moi, accompagnée de larmes que je lutte pour contenir. Je voudrais le haïr, l'oublier comme un traître, mais je ne peux m'empêcher de sentir mon attirance pour lui, enfouie derrière la colère et la déception.
Je finis par m'assoir sur le lit. Il s'assoit en silence à mes côtés, respectant l'espace que je garde entre nous. Je prends une grande inspiration, puis je lui signe, les mains tremblantes, que j'ai peur de ce qui m'attend.
— Zoé, murmure-t-il d'une voix plus douce, presque hésitante. Je comprends ta peur... Mais ici, la peur est notre ennemie. Elle faiblit seulement si on accepte de ne plus rien attendre.
Ses paroles me laissent confuse, mais je reste absorbée par l'émotion que je lis enfin sur son visage. Pendant un instant, il semble s'autoriser à exprimer une part de sa propre douleur, avant de reprendre contenance.
— Ils t'observent, Zoé. Ils évalueront chaque réaction, chaque décision. Garde ta force, même si tout semble incertain.
Sa main, chaude et rassurante, enveloppe la mienne. C'est un geste si simple, mais dans cet univers où tout est froid et contrôlé, il prend un sens immense. Malgré tout ce qu'il me cache, malgré la trahison, ce contact me rassure.
Je ferme les yeux et laisse mes pensées dériver, l'espace d'un instant, loin de cette pièce, loin de cette situation. La douceur de sa main sur la mienne me ramène dans le moment présent, et je me surprends à savourer cet instant, même si la colère et l'incertitude pèsent toujours en moi.
Quand j'ouvre les yeux, je vois que Nélio m'observe, ses yeux d'un bleu profond sont empreints de regrets.
— Zoé, dit-il à voix basse, comme s'il craignait que ses mots nous trahissent davantage. Je... je voudrais pouvoir te promettre que tout ira bien, mais ici, les promesses sont incertaines. Tout ce que je peux te dire, c'est de ne pas perdre espoir.
Nos lèvres se retrouvent, et le monde autour de nous s'efface. Sa main remonte lentement jusqu'à mon visage, effleurant ma joue avec une tendresse qui me bouleverse. Ce b****r, loin d'être une impulsion désespérée, devient une échappatoire, une parenthèse au milieu du chaos.
Je me surprends à me laisser aller, à savourer cet instant comme si tout ce qui nous sépare n'existait plus. Nos peurs, nos secrets, la trahison, tout semble disparaître dans cet échange. Je sens son autre main se poser doucement sur mon épaule, me rapprochant de lui, et pour la première fois depuis longtemps, je me sens en sécurité.
Je me hisse sur ses genoux, mes mains s'égarent dans ses cheveux soyeux, explorant chaque mèche, chaque texture. Mon cœur bat à tout rompre, et une chaleur diffuse se propage en moi. Je sens ses mains se poser fermement sur mes cuisses, m'attirant un peu plus contre lui, comme s'il voulait me retenir dans cet instant suspendu. Un frisson me parcourt. Dans cette étreinte, je me perds, oubliant pour quelques instants tout ce qui nous attend.
Nélio, dans un geste tendre, fait glisser une des bretelles de ma robe, et mon cœur bat encore plus fort. Soudain, un claquement sec retentit, et la porte s'ouvre brutalement, nous faisant sursauter.
C'est une jeune femme qui se tient là, l'air impassible, le regard empreint d'autorité. Elle n'est pas la régente, mais sa ressemblance est frappante ; il ne peut s'agir que de sa fille. Nélio, visiblement confus, se lève précipitamment et vient se placer à ses côtés, baissant la tête en signe de respect et s'excusant. Mon cœur se serre, et l'angoisse reprend ses droits alors que je la fixe, tentant de deviner ce qui m'attend.
Je tourne mon regard vers Nélio, mais il a déjà repris une expression distante, un masque impassible qu'il porte si bien. Je ne tarde pas à me concentrer sur la jeune femme devant nous.
- Félicitations, Zoé. Vous avez survécu aux épreuves, mais vous savez sans doute que chaque récompense comporte ses conditions.
L'angoisse m'envahit à l'instant même où ses mots résonnent. Je suis sur le qui-vive, prête à entendre ce qui va suivre.
- Vos conditions vous seront précisées le jour de vos 18 ans. En attendant, une famille d'accueil vous attend. Vous les rejoindrez ce soir. Un garde sera à vos côtés chaque jour. Et je vous signale qu'il ne s'agira pas de monsieur Malven ici présent.
Elle lance un regard glacial à Nélio avant de se tourner à nouveau vers moi.
- Bien. Je vous laisse à vos appartements.
Je lui fais un signe, hésitant à poser ma question. Elle lève un sourcil, attendant.
Je signe alors ma demande : Où est Charlie ?
Elle me fixe, perplexe, comme si elle ne comprenait pas ma requête. Nélio, remarquant ma frustration, intervient, sa voix un peu rauque.
- Elle veut savoir où se trouve Charlie Corbin.
La jeune femme semble réfléchir un instant, puis répond d'un ton qui ne laisse aucune place à la discussion.
- Mademoiselle Corbin est finalement rentrée chez elle, à la demande de son tuteur.
Les mots tombent comme un couperet. Je perçois une lueur d'incompréhension dans les yeux de Nélio, un mélange d'étonnement et de terreur, et je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi il réagit ainsi.
La jeune femme ne tarde pas à se détourner, sans un mot de plus. Elle disparaît rapidement, son pas résonnant dans le couloir silencieux. Je regarde Nélio une dernière fois, ses yeux fuyants, avant qu'il ne se retourne à son tour, s'éloignant sans un mot.
***
Sans que je ne m'en aperçoive, la nuit a enveloppé la chambre dans une obscurité tranquille. Assise sur le lit impeccablement fait, je reste immobile, les mains nouées sur mes genoux. Des heures se sont écoulées, perdues dans une spirale d'angoisse et de réflexion.
Je n'arrive pas à trouver un instant de répit. Mon esprit est assiégé par des questions sans réponse. Que me réserve l'avenir ? Que décideront-ils pour moi une fois que j'aurai atteint ma majorité ? Serai-je condamnée à retourner dans une cage, un nouvel enfer déguisé en justice ?
Les doutes s'empilent, s'écrasent les uns contre les autres, formant un tourbillon oppressant qui refuse de s'apaiser.
Un coup sec résonne à la porte, brisant le silence oppressant de la pièce. Avant que je ne puisse réagir, une jeune femme en tenue d'officier entre droite et imposante. Elle me fixe un instant, puis, d'un geste ferme, m'indique qu'il est temps de partir.
Je devine qu'il s'agit de la garde rapprochée mentionnée par la fille de Valnya. Ses traits sont durs, mais quelque chose dans son regard trahit une douceur inattendue. Ses cheveux blonds mi-longs, soigneusement attachés en une queue de cheval basse, encadrent un visage. Ses yeux verts, intenses et perçants, semblent lire au travers de moi, mais sans jugement, presque comme une invitation silencieuse à baisser ma garde.
Son uniforme, d'un bleu sombre aux bordures argentées, est impeccable, ajusté à la perfection. Une arme pend discrètement à sa ceinture, rappelant son rôle, mais c'est la manière assurée dont elle se tient, un équilibre entre force et sérénité, qui me frappe le plus.
Je soupire, résignée, sachant que je n'ai pas le choix. Me levant lentement, je lui emboîte le pas, le cœur lourd, prête à affronter l'inconnu qui m'attend au-delà de cette porte.