CHAPITRE TROISIÈME
Le premier conte du docteur SamDans la vie calme, douce, laborieuse et uniforme de la famille de Moronval, le plus petit évènement prenait naturellement de grandes proportions. Je n’ai donc pas besoin de vous dire que la visite du docteur Sam, promise pour le soir, préoccupa durant la journée entière tous les esprits et produisit une sorte d’agitation fiévreuse. L’impatiente Marie, que sa brûlure condamnait à rester étendue sur une chaise longue, comptait et décomptait les heures ; Louise disposait des fleurs dans les corbeilles et sur les étagères, de façon à les faire paraître plus fraîches et plus belles ; Antoinette se hâtait de terminer une broderie au crochet dont elle voulait revêtir le dossier du fauteuil destiné au docteur ; madame de Moronval elle-même ne restait pas étrangère à l’émotion générale. Elle se disposait à sortir pour acheter du thé plus frais et quelques pâtisseries, quand j’arrivai les bras surchargés de paquets remplis de gâteaux et de petits fours. Jamais on ne reçut un accueil pareil à l’accueil que je reçus ! On me salua de trois cris joyeux, et Marie, ma favorite, voulut absolument ouvrir les sacs et voir de ses propres yeux les trésors gastronomiques qu’ils renfermaient.
Sur ces entrefaites, on servit le dîner, mais on dîna d’une façon distraite. On me permit à peine de manger, tant on m’adressa de questions sur l’appartement du docteur, sur son singe de Madagascar, si doux et si joli, sur son petit chien blanc de la Havane, sur ses belles fourrures, sur ses panoplies sauvages, sur tout enfin. Une question satisfaite, il fallait aussitôt et absolument en satisfaire une autre.
Sur ces entrefaites, sept heures et demie sonnèrent. Chacun se leva précipitamment de table, les jeunes filles firent disparaître le service, l’une rangea, l’autre balaya, et on épousseta la salle à manger, qu’il fallait traverser pour se rendre au salon. Antoinette alluma les lampes, Louise disposa les fauteuils autour de la cheminée, et elle achevait à peine que la porte s’ouvrit et que Nanette, une excellente servante depuis vingt ans au service de la famille, montra à travers la porte entrebâillée sa bonne tête parée de son plus beau bonnet à rubans, et annonça d’une voix quelque peu émue :
– Monsieur le docteur Sam,
Madame de Moronval et ses deux filles aînées firent leurs plus belles révérences au docteur ; M. de Moronval et moi nous lui serrâmes affectueusement la main : Marie, rouge comme une cerise, lui tendit les bras pour l’embrasser.
Il l’embrassa sur le front et s’assit près d’elle, dans le meilleur fauteuil du salon, qu’Antoinette lui avança. Puis il se fit un petit moment de silence, chacun hésitait à prendre la parole le premier.
Le docteur se trouvait placé de façon à ce que la lumière de la lampe tombât en plein sur son visage que caractérisait une grande expression de douceur et de mélancolie. Son front chauve, ses cheveux blancs, ses traits ravagés par les fatigues, les voyages, et sans doute plus encore par les chagrins, inspiraient tout d’abord la sympathie et la confiance.
– J’ai fait pour vous, madame, dit-il en s’adressant avec un sourire à madame de Moronval, ce que mes habitudes et mes goûts solitaires ne me permettent guère de faire.
– Aussi nous savons-vous un gré infini de votre visite, se hâta-t-elle de répondre.
– Et vous nous auriez causé un véritable chagrin, ajouta Antoinette, si vous ne nous aviez point permis de vous remercier tous du grand service que vous nous avez rendu hier, avec une grâce si parfaite et un empressement auquel nous devons la guérison de notre sœur.
– Laissons les compliments de côté, interrompit le docteur. Prenez-y bien garde ; autant je me suis montré sauvage avec vous, pendant dix ans, autant je me sens disposé aujourd’hui à devenir l’ami de votre maison. Pour les natures tristes et un peu timides comme la mienne, le premier pas coûte seul.
– Oui, s’écria Marie ; venez nous voir ! venez nous voir souvent ! venez nous voir tous les jours. Et puis vous nous amènerez quelquefois, n’est-ce pas, votre petit chien blanc et votre joli singe au visage noir, dont papa nous a déjà dit tant de merveilles ?
– Maître Flock sera charmé de faire votre connaissance, ma petite voisine ; quant à mademoiselle Mine, je craindrais qu’elle ne commit de graves désordres dans votre appartement ; elle a encore moins que son maître l’habitude de faire des visites.
– Mais le petit chien ! le petit chien ! demanda Marie avec l’impatience d’une enfant gâté.
Le docteur se leva, ouvrit la fenêtre et siffla d’une certaine façon. Un jappement lui répondit ; puis on entendit la porte de l’appartement du docteur et celle de l’appartement de M. de Moronval s’ouvrir successivement, et un petit terrier blanc comme la neige s’élança gaiement dans le salon et sauta sur les genoux du docteur, qu’il combla de caresses.
Faut-il ajouter que Marie voulut prendre aussi dans ses bras maître Flock, qui d’abord résista un peu, et qui finit toutefois par trouver de son goût la petite fille, qui le comblait de baisers et surtout de gimblettes ?
– Vous voici les meilleurs amis du monde, dit le docteur, et cette amitié me rappelle une histoire fort touchante, où le père de mon chien, maître Flock, premier du nom, joue un rôle important.
– Si vous voulez me conter cette histoire je vous embrasserai deux fois, et je vous appellerai mon bon ami, dit Marie, qui, voyant l’amitié que le docteur commençait à éprouver pour elle, se mettait déjà à en abuser un peu.
– Soit ! dit M. Sam, mais je veux être payé d’avance.
– D’avance et encore après, car je vous aime bien ! répliqua la petite fille.
– Eh bien ! je commence donc, dit-il en posant ses lèvres sur le front de Marie.
– Comment s’appelle votre histoire, docteur ?
– Nous l’appellerons, mon enfant : Deux mois de convalescence.
CHAPITRE QUATRIÈME
Deux mois de convalescence