IX - La fin

1656 Words
IX La finMarguerite avait subi tant de secousses physiques et morales qu’on craignit, pendant plus d’une semaine, pour sa vie, et qu’il fallut les soins de son père, la sollicitude du célèbre médecin que ce dernier avait été chercher, et la tendresse infatigable de sa mère et de sa sœur, pour triompher de la fièvre ardente et du délire auxquels elle était en proie. Enfin, peu à peu la convalescence arriva ; la convalescence plus douce peut-être que la santé ! la convalescence qui entoure de tant de bonnes sensations le malade qui se sent renaître à la vie ! Marguerite, quoique pâle et faible encore, se sentait bien heureuse, je vous l’assure. Elle voyait maintenant ! elle contemplait avec un bonheur ineffable son père, sa mère, sa sœur, ses amis ; elle ne pouvait se lasser de regarder avec attendrissement sa chambre, le jardin, la maison, les meubles, les moindres objets qu’elle avait crus si longtemps devoir à jamais rester étrangers à ses regards ! Elle retrouvait son petit chien Flock, avec ses yeux semblables à des perles de jais ; son minois futé, ses longs poils soyeux et ses bonds pétulants. Flock était devenu l’ami du lézard, avec lequel il avait fait d’abord une si brutale connaissance. C’était lui maintenant qui subissait les volontés et les caprices de son exigeant compagnon. Jacques, qui prisait par-dessus toutes choses la chaleur, se blottissait sous le ventre laineux de Flock, couché au pied du lit de Marguerite. Il ne fallait point que le roquet bougeât, car son hôte se fâchait, faisait le gros dos, et même au besoin frappait entre ses dures mâchoires les toutes petites pattes du chien. Celui-ci le laissait faire avec la douceur que les animaux témoignent aux êtres plus faibles qu’eux ; il se contentait de retirer sa patte et de pousser un petit cri quand son colérique ami le pinçait trop fort. Il est vrai de dire que le lézard ne restait point avec Flock en reste de bons offices. Une mouche importune harcelait-elle et piquait-elle ce dernier deçà et delà, comme ce n’est que trop l’habitude des insectes de cette espèce, le lézard, par un bond aussi rapide qu’inattendu, se ruait sur la mouche et la saisissait en moins de temps que je ne mets à vous le dire. Après quoi il la croquait et se replongeait au plus profond du poil de son ami. Lorsque Marguerite put quitter sa chambre et recommencer ses promenades dans le jardin, il n’y eut plus que du bonheur au logis de M. Daubencourt. Marguerite voulut se faire un herbier des fleurs d’automne. Elle demanda à son père de lui nommer celles que, cette fois, elle recueillait chaque jour elle-même, et qu’elle pouvait considérer à loisir. Je vous laisse à penser si son père se complut à satisfaire cette fantaisie, et si Marthe se prêta à seconder sa sœur. La nature prodigue à l’automne ses plus charmantes fleurs champêtres ; comme une mère qui va se séparer de son enfant pendant de longs mois, elle le comble de ses dons les plus précieux. – Mon père, demanda Marguerite, un soir que la famille, après le dîner, se tenait rassemblée autour de la cheminée, où, pour la première fois, on allumait un grand feu clair et flambant, quelle est cette plante qui ressemble à une longue chenille, qui rampe comme elle, et que termine une petite grappe de fleurs jaunes ? – Mon enfant, c’est le sénevé… – Et celle-ci, dont les fleurs sortent régulièrement de dessous deux larges feuilles, le long d’une tige forte et un peu laineuse ?… – On la nomme la menthe-pouillot. Quand on la broie entre les doigts, elle exhale une odeur assez vive. Mets une de ses feuilles sur ta langue. – Elle y cause une sensation de fraîcheur. – Voyons ! dit Marthe, qui se hâta de répéter l’expérience. En effet, elle me fait froid à la langue, mais elle me pique aussi. – La menthe-pouillot était le parfum favori de Marie de Médicis ; l’alchimiste Pouillotti en préparait chaque année de grandes quantités pour la reine, avec laquelle il était venu d’Italie en France. Non seulement il en extrayait l’essence, mais encore il en préparait des infusions aux lotions desquelles la belle souveraine, si souvent peinte par Rubens, devait, disait-on, la fraîcheur et l’éclat de son teint. Quand Richelieu l’eut bannie de France, il dit en souriant amèrement ce mot cruel : – La menthe-pouillot sera à bon marché désormais ! – Quant à l’anneau de Salomon, que voici, dit Marthe, je le sais sur le bout du doigt, car tu m’as conté son histoire l’année dernière. Je le connais à la forme oblongue de sa feuille, qui ressemble à un des sceaux du Moyen Âge qui se trouvent fixés par un ruban de soie aux parchemins que tu conserves avec soin dans ta bibliothèque. Est-ce à la forme de ses feuilles, est-ce à des propriétés médicinales qu’il doit son nom ? car, si je m’en souviens bien, on l’employait autrefois pour les jugements de Dieu, dans les Flandres. On le faisait boire en infusion aux accusés ; s’ils n’en éprouvaient point de malaise, on les proclamait innocents ; le rejetaient-ils, on les déclarait coupables. – Prends un couteau, coupe en rondelles la racine de cette plante, et regarde-la. – Oh ! quelles bizarres figures j’y vois ! On dirait les caractères fantastiques d’un alphabet inconnu. – Eh bien, mon enfant, ces lignes, sans doute bizarres, prises au Moyen Âge pour des caractères magiques, ont fait donner à la plante le nom d’anneau de Salomon. Salomon alors passait pour le prototype des magiciens. J’ai, du reste, retrouvé une pareille superstition chez les Arabes, qui, lors d’une invasion de sauterelles, me montraient les taches brunes imprimées sur les ailes de ces insectes, et me disaient que c’étaient des caractères signifiant : « Je suis la colère d’Allah ! » – Voici la marjolaine, n’est-ce pas, mon père ? demanda, Marguerite ! – Oui, et à côté d’elle je vois la luzerne odorante, l’argentine, le mouron, la cymbalaire aux fleurs d’un jaune pâle et aux feuilles finement découpées ; l’herbe de Saint-Jean, qui exhale un arôme délicieux et possède un goût un peu amer. On peut l’employer efficacement pour guérir les premiers rhumes que causé l’automne. Cette grande feuille appartient au velar ; tu viens de laisser tomber l’ivraie. Regarde-la bien ; son épi est denté et sa tige roide, au moins dans le haut. L’ivraie passe pour un poison ; elle cause souvent des accidents d’un caractère tout particulier. L’année dernière, on m’a appelé chez un malade qui, le soir, en rentrant chez lui, avait été pris d’un délire singulier. Je le trouvai sans fièvre, et cependant en proie à une vive agitation. Il se promenait à grands pas ; il prétendait voir des oiseaux noirs qui volaient autour de lui. Quand je voulus le faire asseoir, il se releva tout à coup brusquement de sa chaise en prétendant qu’un gros chat le menaçait de ses ongles ; je lui prescrivis quelques calmants ; il s’endormit, et le soir, à son réveil, il se sentait complètement débarrassé de ses visions. Il me restait à en connaître la cause. Après avoir longtemps pressé de questions le malade, il finit par se rappeler qu’il avait, en revenant à sa ferme, arraché sur le bord d’un champ, un brin d’herbe, qu’il l’avait pris dans ses lèvres, qu’il l’avait mâché et même sucé jusqu’à sa rentrée au logis ; peu à peu il avait senti sa tête s’alourdir et ses idées se troubler. Je cherchai dans la chambre, et je finis par y trouver les restes d’une tige d’ivraie. Tout alors s’expliqua pour moi. – Voilà une vilaine plante à laquelle je me garderai bien de toucher, dit Marthe tout en étalant sur le papier buvard rose de l’herbier de sa sœur une plante à lige fière, haute, robuste, ligneuse, qui ressemblait à une branche d’arbuste et dont un velouté blanchâtre recouvrait les belles feuilles. – Quel nom faut-il inscrire au-dessous de cette plante qui porte une véritable couronne de fleurs rouges ? – Si tu veux ses noms scientifiques, mets : Anchusa ou Buglosse ; si tu veux ses noms populaires, écris : Langue-de-bœuf ou Réveille-matin. – Pourquoi ces singuliers noms ? – On l’appelle langue-de-bœuf à cause de la forme de ses feuilles, et réveille-matin à cause de la légende suivante, qui a cours dans nos campagnes : « Un jour saint Nicolas rencontra une petite fille qui s’en allait à l’école, son panier sous le bras, et qui pleurait. Le saint se sentit ému du chagrin de l’enfant et lui en demanda la cause. – Ah ! répondit-elle, je me suis encore éveillée trop tard aujourd’hui ! Quand j’arriverai à l’école, ma maîtresse me grondera et m’accusera de paresse. Et cependant, Dieu sait que ce n’est point ma faute ! Le saint passa sa main bénie sur les cheveux blonds de la petite fille, et lui dit : – Tu ne seras point grondée, car je viens de retarder non seulement l’horloge de la maîtresse d’école, mais encore toutes celles du pays. Voici pour aujourd’hui. Pour demain et pour les autres jours, prend cette plante, mets-la au chevet de ton lit et demande à ton bon ange de t’éveiller. Il arracha un pied de buglosse, fit dessus le signe de la croix, le donna à sa petite protégée et disparut. » Comme l’enfant raconta à tout le hameau l’apparition du saint, et que désormais elle arriva toujours la première à l’école, la plante prit le nom de réveille-matin. Quand on veut se lever de bonne heure, dans les villages de la Flandre, on en place une tige à son chevet. – Je crois mon herbier des fleurs d’automne à peu près complet, dit Marguerite. – L’herbier est complet, puisque j’ai recueilli les plantes du printemps, fit observer Marthe. – Oui, répliqua Marguerite, je les vois là desséchées. Mais, grâce à la bonté divine, au printemps prochain je les admirerai vivantes, fraîches, belles, dans les lieux où la nature les sème avec tant de prodigalité ! Que Dieu en soit béni à tout jamais, car maintenant je vois !… – Ô la jolie histoire ! la jolie histoire ! s’écria Marie. – Elle nous a menés un peu loin et un peu tard, dit le docteur ; car dix heures viennent de sonner ; et il est temps que maître Flock et moi rentrions au logis. – Vous reviendrez demain, n’est-ce pas, docteur ? – Oui, mon enfant. – Vous me conterez une nouvelle histoire ? Le docteur se prit à rire, et madame de Moronval se hâta de réprimander Marie sur son indiscrétion. – Ne la grondez pas, madame, dit le docteur. J’appartiens corps et âme à ce joli petit tyran ; puisque mademoiselle Marie le veut, je lui conterai une histoire tous les jours, jusqu’à sa complète guérison. – Alors je ne me dépêcherai pas de guérir, mon bon ami. Antoinette présenta une tasse de thé au docteur, qui, peu d’instants après l’avoir bue, prit maître Flock sous son bras et remonta chez lui.
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