VII
Histoire d’oiseauxL’ovologie, ou l’étude des œufs, est une science toute nouvelle, et destinée à jeter, plus tard, un grand jour sur les mystères de l’histoire naturelle.
Aujourd’hui, elle se borne, ou peu s’en faut, à former des collections aussi charmantes que curieuses. En effet, les œufs présentent à peu près toutes les formes, et se parent de toutes les nuances de couleur. Il y en a de longs, de courts, de larges, d’étroits, d’oblongs, de verts, de bleus, de jaunes, de mouchetés, et même de tigrés à la façon d’une peau de panthère. Ils atteignent d’énormes proportions, comme ceux de l’épiornis, un oiseau de la Nouvelle-Zélande, encore inconnu, et qui contiennent vingt fois ce que contiendrait un œuf d’autruche ; ou bien, ils sont d’une petitesse incroyable. Si l’œuf d’épiornis dépasse en contenance vingt œufs d’autruche, l’œuf d’autruche, de son côté, égale vingt œufs de poule, et l’œuf de poule soixante-huit œufs d’oiseaux-mouches.
Depuis plusieurs années, M. Daubencourt s’occupait de rassembler une collection d’œufs d’oiseaux indigènes ; il lui manquait ceux de certaines espèces de pics, et il espérait bien trouver dans le creux du saule dont je vous ai parlé, un de ses desiderata. On appelle de ce nom latin les objets qu’un collectionneur ne possède point et qu’il convoite pour sa collection. Desideratum signifie en latin une chose désirée.
Quand il se trouva débarrassé de ses visiteurs et de ses malades, M. Daubencourt se dirigea vers le petit bois. Il entendit, dans la direction où s’élevait l’arbre creux, des coups secs, sonores et réitérés, sur la nature desquels ne se trompa point son oreille exercée.
– Voici un pic à l’œuvre, se dit-il.
Et, suivant la direction du bruit, il arriva doucement, avec précaution et caché par les arbres, juste en face du saule creux dont il avait fermé le matin l’ouverture avec une grosse pierre.
Un pic, cramponné sur le tronc de l’arbre, à peu près à la hauteur où devait se terminer l’espèce de boyau formé par le temps dans l’intérieur du saule, frappait à grands coups de bec.
Un mouvement de M. Daubencourt révéla à l’oiseau la présence d’un étranger, et le fit s’envoler.
À sa grande surprise, le chasseur d’œufs entendit des coups de bec qui frappaient l’arbre à l’intérieur.
Il en croyait à peine ce qu’il entendait et ce qu’il avait vu.
– Sans le vouloir, j’ai enfermé la femelle dans l’intérieur du saule, se dit-il enfin. Le mâle travaille avec elle à la délivrer ; ils cherchent chacun de leur côté à ouvrir une percée qui puisse rendre la liberté à la prisonnière. Voyons ce qu’il en adviendra.
Il se coucha dans les hautes herbes, et il attendit avec la patience d’un observateur.
Environ à un quart d’heure de là, le pic mâle revint, et s’assura que rien ne pouvait le déranger. Se replaçant ensuite au bas du tronc, à la place où il s’était envolé, il asséna un grand coup de bec sur l’écorce déjà profondément entamée, et qui laissait voir l’aubier lui-même déchiqueté profondément.
À cet appel, un coup répondit à l’intérieur. Du dedans et du dehors on recommença à attaquer le bois à demi pourri.
Il fallait voir travailler le mâle avec une ardeur désespérée ; il donnait plus de cinquante coups de bec par minute, et il y allait de si bon cœur et avec tant de force, qu’il finit par tomber épuisé sur le gazon.
Il y resta quelques secondes, et il s’envola péniblement.
– Pauvre oiseau ! se dit l’observateur, ses forces sont à bout, et il renonce à délivrer sa femelle. Allons, pas de cruauté, mettons-la en liberté, et ôtons la pierre qui clôt l’arbre.
Il allait le faire, en effet, quand il vit arriver le pic, en compagnie de deux autres oiseaux de son espèce. Alors ce ne fut plus un seul bec, mais trois qui se mirent à frapper et à creuser. Aussi, dix minutes après, ils s’arrêtaient ; une petite tête se montrait à travers l’ouverture, puis un corps suivait péniblement la tête, et quatre oiseaux s’envolaient en jetant des cris de triomphe et de joie.
M. Daubencourt revint au logis, et raconta à ses filles le petit drame dont il venait d’être témoin.
– Quelle intelligence chez les oiseaux ! disait-il ; comment le pic mâle a-t-il pu expliquer aux deux pics qui lui sont venus en aide la captivité de sa femelle, et le besoin qu’elle éprouvait de leur secours ? Et puis, quel dévouement, quelle intelligence !
– Mon ami, lui répondit madame Daubencourt, ce que tu viens de voir et de nous raconter me rappelle, un fait qui s’est passé à la campagne dans la maison de ma mère.
J’étais à peu près de l’âge de Marguerite, et j’aimais beaucoup les oiseaux. Des hirondelles avaient fait leur nid dans un immense vestibule qu’elles ne quittaient que pour émigrer à l’automne ; elles revenaient l’année suivante en reprendre possession au printemps. Nous étions donc de vieilles connaissances. Aussi ne se gênaient-elles pas pour frapper de leur bec aux vitres, quand elles voulaient rentrer, et que la porte était fermée, et il me suffisait de prendre, du bout des doigts, une mouche, et de la leur montrer, pour que toutes, père, mère et petits, se disputassent à qui m’arracherait et goberait le pauvre insecte.
Or, il advint, le dernier hiver que nous habitâmes cette maison et qui précéda mon mariage, que ma mère tomba malade. Il fallut établir dans sa chambre une sonnette qui communiquât avec ma chambre ; le serrurier chargé de cette besogne, ayant à poser un fil de fer tout le long du corridor, démolit une portion du nid des hirondelles.
Celles-ci, à leur retour printanier, se mirent à réparer ou plutôt à reconstruire leur nid, et les choses allèrent le mieux du monde pendant quinze jours.
Mais, une nuit, ma mère, se sentant plus souffrante, lira la sonnette pour m’appeler ; le fil de fer, sur lequel les hirondelles avaient rebâti leur nid, ébranla ce nid et le brisa en partie.
Ce fut une grande émotion pour les hirondelles. Je les vois encore, le lendemain matin, voletant autour de leur demeure en ruine, et jetant de petits cris de colère et de douleur.
Après s’être livrées au mécontentement, elles avisèrent. L’endroit était des meilleurs pour leur nid : on n’avait à y redouter ni le froid, ni la pluie, ni surtout les chats.
Elles se remirent donc à l’œuvre, allèrent chercher dans leurs becs de petites boules de terre glaise, et deux heures après le dégât se trouvait réparé.
Je voulus faire comprendre à ces pauvres oiseaux que leur peine était inutile, et que leur nid serait renversé de nouveau la première fois qu’on mettrait en mouvement le fil de fer. Je priai donc ma mère de tirer sa sonnette ; elle le fit : à ma grande surprise, le nid ne bougea pas. Le fil de fer s’agita de nouveau. Rien ! Je passai le reste de la journée à chercher la solution de ce problème, et, n’y tenant plus, le lendemain matin je me fis apporter une échelle ; j’y montai, et j’examinai les choses de près. Je pus à peine en croire mes yeux ; entre le nid et le fil de fer, les hirondelles avaient façonné une sorte de conduit qui permettait à la sonnette d’agir librement sans rien dégrader.
– Assurément, voilà qui égale au moins la mystérieuse délivrance de la famille du pic, dit Marguerite.
– Les hirondelles ne sont pas seulement intelligentes, reprit M. Daubencourt, elles sont encore vindicatives. Il arrive souvent qu’on trouve, dans de vieux nids d’hirondelles abandonnés, des cadavres desséchés de moineaux ou de mulots. Un de nos observateurs les plus connus, M. Frédéric Cuvier, raconte, dans un de ses ouvrages, avoir vu se passer sous ses yeux l’incident qui amène là d’ordinaire ces animaux, et qui les y fait mourir de faim.
« Un jour, dit-il, je vis un petit mulot qui grimpait le long d’une muraille, et qui cherchait aventure. Il arriva au nid d’une hirondelle, sous le chéneau même de la gouttière, et présenta effrontément son museau pointu à l’entrée de ce nid ; la mère, qui était seule près de ses petits, sortit brusquement pour chasser le dangereux étranger. Aussitôt celui-ci se glissa dans le nid en poussant dehors trois des petits, qui tombèrent et vinrent se briser sur le pavé, et se mit à dévorer le quatrième.
La pauvre mère éperdue de douleur, volait autour du brigand, et cherchait à le frapper avec son bec, trop mince et trop frêle pour blesser le mulot. Celui-ci continua donc impunément son s******t repas, sans s’inquiéter autrement du désespoir de l’hirondelle. Une fois qu’il fut bien repu, il mit son nez à l’entrée du nid, et joignit ainsi la goguenarderie à la déprédation.
L’hirondelle finit par s’éloigner. Quelques minutes après, elle revint accompagnée d’une b***e d’hirondelles. Toutes portaient dans leur bec un de ces petits paquets de terre glaise dont elles se servent pour construire leur nid. Avant que le mulot eût eu le temps de se reconnaître, le nid se trouvait hermétiquement fermé, et couvert d’une épaisse couche qui rendait impossible au mulot de s’ouvrir une ouverture pour sortir de sa prison. La vengeance avait suivi de près le forfait. »
Je vous laisse à penser si ces récits intéressèrent Marguerite et sa sœur.