V
TROIS AUTRES FIGURES.
Galvaudin, Trivois et Fouilloux, de la presse officieuse, sont à peindre quand par hasard quelque téméraire, s’oubliant la plume à la main, vient à les chiffonner. Ils se retirent soudain, en bon ordre, prononçant, ce qu’ils appellent des paroles de dignité. Ce n’est pas qu’ils craignent ! Ils ne se feront point le tort de croire qu’un adversaire quelconque leur soit à redouter. Mais très sérieusement, ils s’étonnent de rencontrer encore sur la terre des écrivains qui osent s’attaquer aux confidents et précurseurs du seigneur. Communiqué. Un sentiment mal défini se remue au fond de leurs âmes. Je viens, mignons, vous apprendre à lire en vous-mêmes : Vous pensez que les gens qui frappent sur votre galon pourraient bien être coupables de lèse-majesté et qu’il ne vous sied pas de les combattre, mais qu’il faut qu’on les juge. À Rome, quand un patricien châtiait son esclave insolent, l’esclave prenait dans ses mains une image de César ; et si le maître irrité ne s’arrêtait pas, il avait manqué de respect à César, et il était digne de mort.
N’est-ce pas que c’est cela ?
Et puis l’on s’étonne que Galvaudin, Trivois et Fouilloux ne sachent pas le français et ne se donnent pas la peine de l’apprendre ! D’abord, n’apprend pas le français qui veut, et il faut être né pour cela et pourquoi apprendre le français ? Le seigneur Communiqué n’a nul souci du français.
C’est une belle et noble langue, le français. On ne sait pas le français, on ne le parle pas, on ne l’écrit pas sans savoir quantité d’autres choses qui font ce que l’on appelait jadis l’honnête homme. Le français porte mal le mensonge. Pour parler français, il faut avoir dans l’âme un fonds de noblesse et de sincérité. Vous objectez Voltaire. Voltaire, qui d’ailleurs n’était pas un s*t, n’a parlé qu’une langue desséchée et déjà notablement avilie. Le beau français, le grand français n’est à la main que des honnêtes gens. Une âme vile, une âme menteuse, une âme jalouse et même simplement turbulente ne parlera jamais complètement bien cette langue des Bossuet, des Fénelon, des Sévigné, des Corneille, des Racine ; elle possédera quelques notes, jamais tout le clavier. Il y aura du mélange, de l’obscurité, de l’emphase. Quant à ces grimauds, je défie seulement qu’ils s’élèvent jusqu’à la plate correction. Comment parviendraient-ils à mentir et à déraisonner sans fausser, gonfler, crever une langue que le Christianisme a faite pour la logique et la vérité ?
Dans ces écoles, dans ces cuisines des officieux, on pille le dictionnaire, et une ignorance perverse en fait d’horribles fricassées. Ils rencontrent parfois des choses d’un ridicule insensé et amer, ils les présentent avec ingénuité, elles obtiennent de la sottise publique un succès désespérant pour le bon sens qui en voit la fortune. Ainsi, sans être sifflé que par la misérable petite troupe des honnêtes gens instruits, un officieux anonyme s’est pu dire : Catholique sincère, MAIS indépendant. S’il avait dit : « Chrétien sincère, mais indépendant, » cela n’eût pas parti plus absurbe que toute autre locution à l’usage du docteur Coquerel. « Chrétien indépendant, » tout court, eût été moins déraisonnable encore, du moins à l’œil. Car, de quoi indépendant ? du Christ, sans doute ? Et alors vous n’êtes pas chrétien, Monsieur l’Officieux, puisque le chrétien dépend du Christ et ne peut briser sa dépendance qu’à la condition d’abjurer. Mais Catholique, mais sincère et indépendant, voilà le comble de la contradiction et en même temps le comblé de la niaiserie, car il s’agit de tromper les catholiques, et vous parlez de façon à n’en tromper aucun.
Le catholique sincère, – écoutez ceci Trivois, Fouilloux et Galvaudin, – le catholique sincère est celui qui fait profession de croire que Jésus-Christ, vrai Dieu et seul Dieu, parle par la bouche de Pierre, qui est le Pape. Et lorsque vous vous proclamez catholiques sincères, et qu’en même temps vous rejetez l’enseignement du pontife romain, c’est comme si vous preniez soin de déclarer que vous êtes… ce que l’on sait très bien.
Pour dire la vérité, s’ils travaillent à déposséder le Pape, ce n’est pas qu’ils y tiennent personnellement, Trivois est modéré, Fouilloux a secrètement des principes, Galvaudin fut nourri par l’Église. Que Communiqué leur ordonne de n’être plus que sincères et point indépendants, les voilà orthodoxes, et peut-être avec plaisir, et prêts à faire feu sur Ricasoli ; et ils demanderont la croix de Saint-Grégoire, s’ils ne l’ont déjà.
En logique, en morale surtout, c’est là que les journaux officieux sont indépendants. Mon Dieu, cette pauvre morale, comme ils la tripotent ! J’en veux fournir un exemple. On y trouvera diverses odeurs de Paris, distillées de main experte.