III
DEUX FIGURES.
Galvaudin est homme de lettres et député. Comme homme de lettres, ses opinions sont larges ; comme député, ses votes sont décents. Comme homme de lettres et comme député ; il écrit dans le Mercure belge ; là, il concilie la décence et la largeur.
Il est si bien renseigné qu’il ne fait jamais passer que les nouvelles qu’il faut.
Pour varier ses correspondances et égayer la gravité des communications politiques, il hante les grands festins officiels. Comme député, il les mange ; comme homme de lettres, il les décrit ; comme correspondant du Mercure belge, il se les fait payer. Il faut bien qu’il mange pour décrire, il faut bien qu’on le paie puisqu’il a décrit. Heureux Galvaudin ! Chaque coup de fourchette qu’il donne, c’est vingt sous qu’il met dans sa poche, peut-être trente sous. Le Mercure ne saurait se montrer chiche envers un homme qui ne fait passer que les nouvelles qu’il faut.
L’homme qui ne fait passer que les nouvelles qu’il faut est très utile pour plaider en faveur de celui qui fait passer les nouvelles qu’il ne faut pas. L’innocent obtient la grâce du coupable.
Dernièrement Galvaudin entretenait le monde du grand dîner de Son Excellence Monsieur le…
Monsieur le… connaît les hommes. Il a deux chiens qu’il aime par-dessus tout. Ces deux chiens restent dans son antichambre lorsqu’il reçoit. En reconduisant ses visiteurs, il prend plaisir à regarder ses chiens. Un jour qu’il reconduisait Galvaudin, il lui a dit : – Voilà de nobles bêtes ! de nobles créatures de Dieu !
Après la description du dîner et des convives, le publiciste et législateur Galvaudin est venu aux chiens de Son Excellence. Il leur a consacré une quinzaine de lignes, contenant le détail de leurs grâces et traits d’esprit.
Et mon valet de chambre est mis dans les gazettes.
Mais Alceste se fâcherait-il si c’était son chien et non son valet de chambre qu’on eût mis dans les gazettes ? La gloire du valet de chambre est personnelle ; la gloire du chien retourne toute à son maître.
Le même flatteur de chiens, dans le même Mercure, a beaucoup vanté les bottes d’un autre ministre. C’était un ministre encore jeune, qui posait un peu pour le pied. Galvaudin a dit comme ce ministre était bien chaussé, et ses bottes bien luisantes ; il s’est étonné qu’un simple mortel pût trouver un si beau vernis.
Ne le croyez point si absolument s*t. Il ignore peut-être pourquoi vous ne l’estimez pas, mais il sait bien que ce grand personnage aime ses chiens, et cet autre ses bottes, et qu’il se rend agréable en appuyant sur le mérite des chiens et en faisant reluire les bottes. Cette note pourra n’être pas superflue. Elle pourra maintenu des électeurs, elle pourra faciliter l’octroi d’une concession. Quant à la moralité, hélas ! Galvaudin n’est qu’un précurseur. Le temps vient, et c’est maintenant, où ces bassesses n’étonneront plus. Laissez mourir quelques hommes, laissez tomber quelques souvenirs, vous verrez ! Galvaudin lui-même trouvera qu’on va bien loin, il dira, et il n’aura pas tort qu’il gardait mieux la dignité qui convient au député et à l’homme de lettres.
Au commencement de la guerre d’Italie, Jubin rédigeait un journal par autorité de Justice. C’est-à-dire que les propriétaires le voulaient mettre à la portée, s’apercevant qu’il tuait l’abonné ; mais la Justice a ses idées, qui ne sont pas toujours les nôtres, et elle maintenait Jubin. Naturellement il était Italien, italianissime. Oh ! comme l’abonné tombait. Un jour, saisi d’un beau zèle, totalement résolu d’affranchir la patrie du Dante et de n’y plus souffrir un Autrichien, il conseilla aux Italiens « la guerre au couteau. » Pour le coup, il fit sensation.
Personne ne le croit méchant dans l’âme, et l’on accordait qu’il n’avait dit cela que pour dire quelque chose. – Hélas ! pensaient les propriétaires du journal, nous nous moquons bien de son couteau ! C’est sa plume qui tranche nos destinées…
Toutefois ce tour de littérature parut un peu sauvage, surtout en premier-Paris. Et comme Jubin est député, ou le pria de veiller à ne pas trop contaminer le Corps. L’affaire devenait grave ; Jubin, qui d’abord n’en avait fait que rire, se rétracta, protestant qu’il n’avait voulu parler que de tout petits couteaux, et encore par figure de rhétorique.
Mais la Justice n’en eut pas le démenti : le journal creva.