Chapitre V-2

1163 Words
– Quoi ! des pleurs, Kate ! s’écria son père. Sur ma foi ! c’est beaucoup plus qu’il n’en faut. Henry, aide-moi à consoler cette jeune folle. Catherine fit un effort pour reprendre du calme. Elle parvint à sourire ; mais ce sourire avait quelque chose de sérieux et même de mélancolique. – J’ai seulement à vous dire, mon père, dit la Jolie Fille de Perth en continuant ses efforts, qu’en choisissant Henry Gow pour mon Valentin, et en lui donnant le salut qui lui était dû en cette qualité suivant l’usage ordinaire, je n’ai voulu que lui prouver ma reconnaissance du service qu’il nous a rendu avec tant de courage, et vous montrer mon obéissance. Mais ne le portez pas à croire, et vous-même, ô mon père ! ne concevez pas cette idée que j’aie eu dessein de faire plus que de lui promettre d’être sa fidèle et affectionnée Valentine pendant tout le cours de l’année. – Oui, oui, oui, oui, nous comprenons tout cela, dit Simon du ton que prend une nourrice pour apaiser un enfant. Nous comprenons ce que tu veux dire. C’en est assez pour une fois… assez pour une fois… Tu ne seras ni effrayée ni pressée. Vous êtes de vrais, de fidèles, d’affectionnés Valentins ; le reste viendra… comme le ciel et les circonstances le permettront. Allons, allons, calme-toi. Ne tords pas tes petites mains, et ne crains pas d’autres persécutions en ce moment. Tu as bien agi, très bien même. À présent va joindre Dorothée, et qu’elle appelle le jeune paresseux. Il nous faut un déjeuner solide après une nuit de confusion et une matinée de joie. Prépare-nous quelques-uns de ces gâteaux délicats qu’aucune main ne sait faire aussi bien que la tienne. Et tu as bien le droit d’en avoir le secret, puisque celle de qui tu l’as appris… Ah ! ajouta-t-il en soupirant, paix soit à l’âme de ta pauvre mère ! Quel plaisir elle aurait eu de voir ce bienheureux jour de Saint-Valentin ! Catherine profita sur-le-champ de la permission de se retirer qui venait de lui être accordée, et sortit de l’appartement. Ce fut pour Henry comme si le soleil eût disparu du firmament à midi, et eût laissé le monde plongé dans une obscurité soudaine. Les espérances que lui avait fait concevoir ce qui venait de se passer commencèrent déjà à décroître quand il réfléchit sur le changement subit survenu dans la conduite de Catherine, les larmes qu’elle avait versées, la crainte évidente que ses traits annonçaient, et le soin qu’elle avait pris d’expliquer aussi clairement que la délicatesse le lui permettait que les avances qu’elle lui avait faites n’avaient pour but que de se conformer strictement au cérémonial du jour. Glover vit l’air soucieux de Smith avec surprise et déplaisir. – Au nom du bon saint Jean ! s’écria-t-il, pourquoi es-tu grave comme un hibou, quand un garçon vif comme toi, et aussi épris de cette pauvre fille que tu prétends l’être, devrait être gai comme un pinson ? – Hélas ! mon père, répondit l’amant découragé, je vois écrit sur son front quelque chose qui dit qu’elle m’aime assez pour être ma Valentine, mais trop peu pour être ma femme. – Et moi je te dis que tu es un oison glacé et sans cœur. Je sais lire sur le front d’une femme aussi bien et mieux que toi, et je n’ai rien vu de semblable sur le sien. Que diable ! tu étais là étendu comme un lord dans un bon fauteuil, ou dormant comme un juge à l’audience, tandis que si tu avais été un amoureux ayant quelque ardeur, tu aurais eu les yeux bien ouverts fixés du côté de l’orient pour guetter le premier rayon du soleil. Mais non, tu te reposais, tu dormais, tu ronflais, j’en réponds, ne pensant ni à elle ni à rien au monde, et voilà que la pauvre fille se lève au point du jour, de peur que quelque autre ne lui dérobe son précieux et vigilant Valentin, et elle t’éveille par un b****r qui, – saint Macgrider me protège ! – aurait donné la vie à ton enclume ; et je t’entends gémir et te plaindre comme si elle t’avait passé un fer rouge sur les lèvres ! Par saint Jean ! je voudrais qu’elle t’eût envoyé la vieille Dorothée en sa place, et qu’elle t’eût obligé à être le Valentin de ce squelette vivant, à qui il ne reste pas une dent. On n’aurait pu trouver dans tout Perth une Valentine qui convînt mieux à un amant qui manque de cœur. – Quant à manquer de cœur, père Simon, il y a une vingtaine de bons coqs dont j’ai rabattu la crête qui peuvent vous dire si j’en manque ou non. Mais le ciel sait que je donnerais ma maison que je tiens à droit de bourgeoisie, ma forge, mes soufflets, mon enclume et tout ce que je possède, pour pouvoir penser comme vous à ce sujet. Mais ce n’est ni de sa honte ni de sa rougeur que je parle ; c’est de la pâleur qui a chassé si vite les couleurs de ses joues, et des pleurs qui y ont succédé. C’était comme une giboulée d’avril, rendant obscur le plus beau jour qui ait jamais brillé sur le Tay. – Ta ! ta ! ta ! ni Perth ni Rome n’ont été bâties en un jour. Tu as pêché le saumon mille fois, et tu aurais dû y prendre une leçon. Quand le poisson a mordu à l’hameçon, tirer brusquement la ligne c’est le moyen de la briser, quand elle serait de fil de laiton ; mais lâchez la main, laissez le saumon revenir sur la surface de l’eau, ayez de la patience, et en moins d’une demi-heure vous le tenez sur le sable. Tu as un aussi beau commencement que tu peux le désirer, à moins que tu ne veuilles que la pauvre fille coure au chevet de ton lit comme elle a couru à ton fauteuil, ce qui n’est pas la mode des jeunes filles modestes. Mais fais bien attention : quand nous aurons déjeuné je te fournirai l’occasion de t’expliquer avec elle. Cependant prends garde de ne pas rester trop en arrière et de ne pas te mettre trop en avant. – Donne-lui de la ligne ; ne cherche pas à tirer trop vite le poisson hors de l’eau, et je gage ma vie contre la tienne que tu réussiras. – Quoi que je puisse faire, père Simon, j’aurai toujours tort à vos yeux ; ou je donnerai trop de ligne, ou je n’en donnerai pas assez. Je donnerais le meilleur haubert que j’aie jamais travaillé pour que toute la difficulté vînt de mon côté, car alors j’aurais plus d’espoir de la surmonter. J’avoue pourtant que je ne suis qu’un âne pour trouver la manière d’entamer la conversation sur un pareil sujet. – Viens dans ma boutique avec moi, mon fils, et je te fournirai un sujet convenable. Tu sais que l’homme qu’une jeune fille a embrassé pendant qu’il dormait doit lui présenter une paire de gants. Viens dans ma boutique, je t’en donnerai une paire de la plus belle peau de chevreuil qu’on puisse voir, et qui iront parfaitement à sa main et à son bras. – Je songeais à sa pauvre mère en les taillant, ajouta l’honnête Simon en soupirant, et à l’exception de Catherine, je ne connais pas une seule femme en Écosse à qui ils iraient, quoique j’aie pris la mesure des plus grandes beautés de la cour. – Viens avec moi, te dis-je, et tu auras un sujet sur lequel tu pourras dégoiser à ton aise, pourvu que le courage et la prudence ne te manquent pas en faisant ta cour.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD