Chapitre IVOn peut bien croire que l’intrépide armurier fut exact au rendez-vous que lui avait donné celui qui avait dessein de devenir son beau-père. Il fit pourtant sa toilette avec plus de soin que de coutume, écartant autant qu’il le pouvait tout ce qui semblait avoir un air militaire. Il était trop connu pour aller entièrement sans armes dans une ville où il comptait sans doute beaucoup d’amis, mais où, d’après le caractère de ses anciens exploits, il avait aussi des ennemis mortels de qui il savait qu’il avait peu de merci à attendre, s’ils trouvaient occasion de l’attaquer avec avantage. Il portait donc sous ses vêtements une cotte de mailles si légère et si flexible, qu’elle ne le gênait pas plus dans ses mouvements qu’un gilet de dessous de notre temps ; mais elle était à l’épreuve, et il y pouvait compter, car chaque anneau en avait été travaillé et joint aux autres de ses propres mains. Par-dessus cette armure défensive il portait, comme les autres bourgeois de son âge, les hauts-de-chausses et le pourpoint flamand, qui en honneur du jour de fête étaient du plus beau drap d’Angleterre, d’un bleu pâle, tailladé en satin noir et passementé d’une broderie en soie noire. Ses bottes étaient de cuir de Cordoue, et son manteau de bon drap gris d’Écosse servait à cacher un couteau de chasse suspendu à sa ceinture. C’était sa seule arme offensive, car il n’avait en main qu’un bâton de houx. Sa toque de velours noir était doublée d’acier, et rembourrée entre le métal et sa tête, ce qui formait un nouveau moyen de défense de l’efficacité duquel il était sûr.
Au total Henry paraissait ce qu’il était réellement, un riche bourgeois méritant la considération, et se donnant par ses vêtements autant d’importance qu’il le pouvait sans s’élever au-dessus de son rang et sans empiéter sur celui de la noblesse. Il avait une tournure franche et résolue ; mais quoique ses manières annonçassent qu’il ne craignait aucun danger, elles n’avaient nulle ressemblance à celles des spadassins et fiers-à-bras de cette époque avec lesquels on avait quelquefois l’injustice de confondre Henry, parce qu’on attribuait les querelles qu’il avait souvent à un caractère v*****t, résultat de sa confiance dans sa force et dans son adresse à manier les armes. Au contraire, tous ses traits portaient l’expression de franchise et de bonne humeur d’un homme qui ne songeait à insulter personne, et qui ne craignait pas les insultes.
S’étant costumé de son mieux, l’honnête armurier plaça sur son cœur, qui tressaillit en y touchant, un petit présent qu’il avait préparé depuis longtemps pour Catherine Glover, présent que sa qualité de Valentin lui permettrait bientôt de lui présenter, et autoriserait également la Jolie Fille de Perth à accepter sans scrupule. C’était un petit rubis taillé en forme de cœur percé d’une flèche d’or, et enfermé dans une petite bourse en anneaux d’acier, travaillée avec le même soin que si c’eût été un haubert pour un roi. Autour de la bourse étaient ces mots :
« Le dard de l’amour perce les cœurs à travers les cottes de mailles. »
Cette devise avait coûté quelques réflexions à l’armurier, et il était satisfait de la pensée qu’il avait trouvée, parce qu’elle semblait indiquer que son art pouvait défendre tous les cœurs, excepté le sien. Il s’enveloppa de son manteau, et traversa à la hâte les rues encore silencieuses, afin de se trouver devant la fenêtre qui lui avait été indiquée, un peu avant le premier rayon de l’aurore.
Dans ce dessein il traversa High-Street, et prenant le pas sage sur l’emplacement duquel se trouve aujourd’hui l’église de Saint-Jean ; afin de se rendre dans Curfew-Street, il lui parut d’après l’apparence du ciel qu’il était parti au moins une heure trop tôt, et il pensa qu’il vaudrait mieux n’arriver au rendez-vous qui lui avait été donné que lorsque le moment convenu serait plus voisin. Il n’était pas invraisemblable que d’autres galants rôdassent comme lui dans les environs de la demeure de la Jolie Fille de Perth, et il connaissait assez bien son faible pour sentir qu’il courait grand risque d’avoir quelque querelle avec eux.
– L’amitié de mon père Simon, pensa-t-il, me donne l’avantage sur eux ; pourquoi donc me teindrais-je les mains du sang de pauvres diables qui ne méritent pas ma colère, puisqu’ils sont moins heureux que moi ? Non, non, je serai sage pour cette fois, et j’éloignerai toute tentation de mettre les armes à la main. Je ne leur laisserai pas, pour me chercher querelle, plus de temps qu’il ne m’en faudra pour donner le signal convenu, et pour que mon père Simon y réponde. Je ne conçois pas comment il viendra à bout de faire paraître sa fille à la croisée. Si elle savait quel est son dessein, je crois qu’il aurait quelque peine à l’exécuter.
Tandis que ces pensées dignes d’un amant roulaient dans son esprit, le robuste armurier ralentit le pas, jetant souvent un regard du côté de l’orient et levant les yeux vers le firmament, où pas la moindre teinte grisâtre n’annonçait encore l’approche de l’aurore, quoique peu éloignée, et que l’impatience de Henry accusait d’être plus paresseuse que de coutume à occuper son poste avancé. Il marchait à pas lents le long des murs de la chapelle de Sainte-Anne, n’oubliant pas de faire un signe de croix et de dire un Ave en passant sur ce terrain consacré, quand une voix qui semblait partir de derrière un des arcs-boutants de la chapelle s’écria : – Il ne fait que ramper, celui qui devrait courir.
– Qui parle ? s’écria Smith en regardant autour de lui, un peu surpris qu’on lui adressât la parole si inopinément, et avec un top et des expressions si singulières.
– N’importe qui parle, répondit la même voix, dépêche-toi, ou tu arriveras trop tard. Ne me réponds point ; pars.
– Saint ou pécheur, ange ou diable, dit Henry en faisant le signe de la croix, votre avis me touche de trop près pour que je le néglige. Que saint Valentin me donne des jambes !
À ces mots, quittant sa marche lente pour prendre un pas que peu de gens auraient pu suivre, il fut en un instant dans Curfew-Street. Il n’avait pas fait trois pas du côté de la maison de Simon Glover qui était vers le milieu de cette rue étroite, que deux hommes placés le long du mur de chaque côté avancèrent vers lui comme par un mouvement concerté, pour l’empêcher de passer. L’obscurité lui permit seulement de distinguer qu’ils portaient le plaid des montagnards.
– Dégagez le chemin, brigands ! s’écria l’armurier d’une voix forte et ferme, digne de l’ampleur de sa poitrine.
Ils ne répondirent pas, du moins de manière à se faire entendre ; mais Henry put voir qu’ils tiraient leurs épées dans le dessein d’employer la force pour l’empêcher de passer. Se livrant à des conjectures alarmantes, quoique sans savoir ce qu’il devait craindre, Smith résolut de s’ouvrir un passage à tous risques, et d’aller défendre sa maîtresse, ou du moins mourir à ses pieds. Il jeta son manteau sur son bras pour s’en faire une espèce de bouclier, et s’avança avec autant de hardiesse que de promptitude vers ces deux hommes. Celui dont il était le plus proche lui porta un coup d’épée qu’il reçut dans son manteau ; Henry lui ripostant par un coup de poing sur la figure du bras gauche et un croc-en-jambe du pied droit, le fit tomber rudement sur la chaussée, tandis que presque au même instant, d’un revers de son couteau de chasse il renversa celui qui était à sa droite, à côté de son compagnon.
Plus alarmé que jamais, et il avait quelque raison de l’être en trouvant la rue gardée par des étrangers qui commettaient de tels actes de violence, Henry courut rapidement en avant. Il entendit parler à voix basse sous une croisée de la maison du gantier, précisément sous celle où il avait espéré voir Catherine, et acquérir le droit de devenir son Valentin. Il se tint de l’autre côté de la rue pour tâcher de reconnaître le nombre et les projets de ceux qui s’y trouvaient. Mais un de ceux qui étaient sous la fenêtre l’ayant vu ou entendu traverser la rue, et le prenant sans doute pour une des deux sentinelles, il lui dit à demi-voix : – Quel est donc ce bruit, Kenneth ? Pourquoi n’avez-vous pas donné le signal ?
– Scélérat ! s’écria Smith, vous êtes découvert, et vous allez périr !
Tout en parlant ainsi, il lui porta un coup de couteau de chasse qui aurait vérifié sa prédiction, si l’étranger, levant le bras, n’y eût reçu le coup qui était destiné à sa tête. La blessure dut être sérieuse, car il chancela, et tomba en poussant un profond gémissement. Sans penser davantage à lui, Smith courut à la hâte vers un groupe d’hommes qui semblaient occupés à placer une échelle contre la croisée. Henry ne songea plus alors à en compter le nombre ni à s’assurer de leurs desseins. Poussant le cri d’alarme d’usage, pour rassembler les bourgeois qui ne manquaient jamais d’accourir dès qu’ils l’entendaient, il se jeta sur ces rôdeurs nocturnes, dont l’un montait déjà sur l’échelle. Il la saisit par les échelons d’en bas, la renversa, et plaçant le pied sur le corps de l’homme qui venait de tomber, il l’empêcha de se relever. Les autres l’attaquèrent vivement pour délivrer leur compagnon. Mais la cotte de mailles de Smith lui fut d’une grande utilité ; et il leur rendit leurs coups avec usure, en s’écriant : Au secours ! Saint-Johnstoun ! au secours ! Sabrez et piquez ! Braves citoyens, sabrez et piquez ! On force nos maisons à l’ombre de la nuit !
Ces mots qui retentirent bien loin dans les rues de la ville étaient accompagnés de coups distribués par un bras ferme, et qui produisaient quelque effet sur ceux que l’armurier attaquait. Pendant ce temps les habitants commencèrent à s’éveiller et à se montrer dans la rue en chemises, mais avec des sabres et des boucliers, et quelques-uns portant des torches. Les inconnus cherchèrent alors à s’échapper, et ils y réussirent, à l’exception de celui qui avait été renversé avec l’échelle. L’intrépide armurier l’avait saisi à la gorge à l’instant où il s’était relevé, et il le tenait aussi ferme qu’un lévrier tient un lièvre. Ceux qu’il avait blessés furent emportés par leurs compagnons.
– Voilà des drôles qui troublent la paix de notre ville, dit Henry aux bourgeois qui commençaient à se rassembler. Courez après les pendards ; ils ne peuvent aller bien vite, car il y en a quelques-uns dont ma lame a entamé la peau. Poursuivez-les, les traces de sang vous indiqueront leur marche.
– Quelques maraudeurs montagnards, dit un citoyen ; allons, voisins, dormons-leur la chasse.
– Oui, donnez-leur la chasse, dit l’armurier ; et moi j’aurai soin du coquin que voici.
Les bourgeois se dispersèrent de différents côtés, éclairés par leurs torches et faisant retentir de leurs cris tous les environs.
Cependant le prisonnier de Henry cherchait à obtenir sa liberté, et il employait tour à tour les prières, les promesses et les menaces.
– Si vous êtes un gentilhomme, dit-il à Henry, permettez que je me retire, et ce que vous avez fait vous sera pardonné.
– Je ne suis pas gentilhomme, je suis Henry le Forgeron, bourgeois de Perth ; et je n’ai rien fait qui ait besoin de pardon.
– Vilain ! tu ne sais pas ce que tu as fait ! Mais lâche-moi, et je remplirai ton bonnet de pièces d’or.
– Le tien sera rempli à l’instant d’une tête fendue si tu fais un seul mouvement pour t’échapper.
– De quoi s’agit-il donc, mon fils Henry ? demanda Simon qui parut en ce moment à la fenêtre. J’ai entendu ta voix, mais sur un autre ton que je m’y attendais. Pourquoi tous les voisins se sont-ils rassemblés ?
– Parce qu’une b***e de coquins a voulu escalader cette croisée, père Simon. Mais il est probable que je serai parrain de l’un d’eux, que je tiens ici aussi serré qu’aucun écrou tint jamais une vis.
– Écoutez-moi, Simon Glover, dit le prisonnier ; que je vous dise un mot en particulier. Délivrez-moi des mains de ce manant à tête de plomb et à poing de fer, et je vous prouverai qu’on ne voulait nuire ni à vous, ni à aucun des vôtres. Je vous dirai en outre quelque chose qui sera à votre avantage.
– Je crois connaître cette voix, dit Simon qui ouvrit sa porte en ce moment, tenant en main une lanterne sourde. Mon fils Smith, laisse ce jeune homme venir me parler ; il n’y a nul danger à craindre de lui, reste un instant où tu es, et ne laisse entrer personne dans la maison, soit pour attaquer soit pour défendre. Je garantis que ce jeune gaillard n’a voulu faire qu’une plaisanterie de la Saint-Valentin.
À ces mots le vieillard emmena le prisonnier et ferma sa porte, laissant Henry un peu surpris du jour inattendu sous lequel le gantier considérait cette affaire-là. – Une plaisanterie ! répéta-t-il ; c’eût été une plaisanterie bien étrange s’ils fussent entrés dans la chambre à coucher de sa fille ! Et ils y seraient entrés sans la voix honnête et amicale qui m’a averti derrière un arc-boutant de la chapelle. Cette voix, si ce n’était pas celle de la bienheureuse sainte Anne, et qui suis-je pour qu’elle daigne m’adresser la parole ? n’a pu se faire entendre en ce lieu sans sa permission et son consentement, et je fais le vœu de lui offrir un cierge aussi long que mon couteau de chasse. Ah ! que n’ai-je eu ma grande claymore, pour l’amour de Saint-Johnstoun, et par égard pour ces coquins ! car ces couteaux de chasse sont des joujoux assez gentils, mais qui conviennent mieux à la main d’un enfant qu’à celle d’un homme. Ô mon fidèle Troyen ! si tu eusses été à mon côté au lieu d’être suspendu près du chevet de mon lit, les jambes de ces drôles n’auraient pas couru si vite. Mais je vois des torches allumées et des lames nues. Holà ! halte-là, vous autres ! Êtes-vous pour Saint-Johnstoun ? Si vous êtes amis de la belle ville, avancez, vous êtes les bienvenus.
– Nous avons été à la chasse sans prendre de gibier, dit un des bourgeois. Nous avons suivi les traces du sang jusqu’au cimetière des dominicains, et nous avons vu entre les tombeaux deux coquins qui en soutenaient un troisième qui probablement portait quelques-unes de vos marques, Henry ; mais ils sont arrivés à la poterne avant que nous eussions pu les joindre. Ils ont sonné la cloche du sanctuaire, la porte s’est ouverte, et ils y sont entrés. Ainsi les voilà en sûreté dans le sanctuaire, et nous pouvons retourner dans nos lits froids pour tâcher de nous réchauffer.
– Oui, oui, dit un second, les bons dominicains ont toujours un frère qui veille pour ouvrir la porte du sanctuaire à toute pauvre âme en peine qui désire y trouver un refuge.
– Pourvu que la pauvre âme en peine soit en état de bien payer, ajouta un troisième. Mais celui qui est aussi pauvre de bourse que d’esprit peut rester à la porte jusqu’à ce que les chiens qui le chassent soient à portée de le mordre.
Un quatrième, qui avait regardé par terre quelques instants à l’aide de sa torche, se releva pour parler. C’était un petit homme chargé d’assez d’embonpoint, vif, avantageux, et jouissant d’une certaine aisance, nommé Olivier Proudfute. Il tenait le dé dans sa corporation qui était celle des bonnetiers, et par conséquent il parlait du ton d’un homme en autorité. – Brave Smith, dit-il (car les torches répandaient assez de lumière pour qu’ils pussent se reconnaître), peux-tu nous dire quels sont les drôles qui ont causé un pareil désordre dans notre ville ?
– Les deux premiers que j’ai vus, répondit l’armurier, m’ont paru, autant que j’ai pu en douter, porter le plaid des montagnards.
– C’est assez probable, dit un bourgeois en secouant la tête. C’est une honte que les brèches de nos murs n’aient pas encore été réparées, et que ces brigands de montagnards puissent obliger d’honnêtes gens à sortir de leurs lits quand la nuit est assez obscure au gré de ces maraudeurs.
– Mais voyez ceci, voisins, dit Olivier Proudfute en leur montrant une main qu’il venait de ramasser. Quand est-ce qu’une main comme celle-ci a attaché les braies d’un montagnard ? Elle est grande et vigoureuse, mais la peau en est fine et blanche comme celle d’une dame ; et voyez-vous à ce doigt une bague qui brille comme la lueur d’une chandelle ? Je me trompe fort, si Simon Glover n’a pas fait bien des gants pour cette main, car il a la pratique de tous les courtisans. Les spectateurs examinèrent cette preuve sanglante des exploits de l’armurier, et chacun fit ses commentaires à ce sujet.
– En ce cas, dit l’un, Henry Smith fera bien de gagner au pied. Il aura beau dire qu’il a voulu protéger la maison du bourgeois, le justicier ne trouvera pas cette excuse suffisante pour avoir coupé la main d’un homme comme il faut. Il y a des lois sévères contre la mutilation.
– Fi ! Michel Wabster ! fi ! répondit le marchand bonnetier ; pouvez-vous parler ainsi ? Ne sommes-nous pas les représentants et les successeurs des anciens Romains qui ont bâti la cité de Perth, et qui l’ont rendue aussi semblable qu’ils l’ont pu à leur propre ville ? N’avons-nous pas des chartes de tous nos nobles rois qui nous ont déclarés leurs sujets affectionnés ? Voudriez-vous nous voir renoncer à nos droits, à nos privilèges, à nos immunités, à notre haute, moyenne et basse justice, à notre droit de prononcer amendes, confiscations, emprisonnement, et même peine de mort, en cas de flagrant délit ? Faut-il que nous souffrions que la maison d’un honnête bourgeois soit attaquée sans en avoir réparation ? Non, braves citoyens, confrères et bourgeois ; le Tay remontera vers Dunkeld avant que nous nous soumettions à une telle injustice.
– Et comment pouvons-nous l’empêcher ? demanda un vieillard à figure grave, qui était appuyé sur une épée à deux mains ; que voudriez-vous que nous fissions ?
– Sur ma foi, bailli Craigdallie, répondit Proudfute, vous êtes le dernier homme de qui j’aurais attendu cette question. Je voudrais que nous partissions d’ici tous ensemble, en braves gens, pour aller nous présenter devant le roi, au risque de troubler son repos ; lui faire sentir combien il est désagréable pour nous d’être forcés à quitter nos lits pendant une pareille saison, presque sans autre vêtement que nos chemises ; lui montrer cette main sanglante, et le prier de nous déclarer de sa bouche royale s’il est juste et honnête que ses sujets affectionnés soient ainsi traités par les nobles et les chevaliers de sa cour débauchée. Et voilà ce que j’appelle faire valoir notre cause chaudement.
– Chaudement, dis-tu ? répliqua le vieux bailli ; si chaudement, ma foi, que nous serions tous morts de froid avant que le portier eût tourné la clef dans la serrure pour nous admettre en présence du roi. Allons, mes amis, la nuit est piquante ; nous avons fait notre devoir en gens de bien, et notre brave Smith a donné à ceux qui voudraient nous insulter une leçon qui vaudra vingt proclamations du roi. Demain est un autre jour ; nous nous réunirons en ce même lieu, afin d’y délibérer sur les mesures à prendre pour découvrir ces scélérats et les faire arrêter. En attendant, séparons-nous avant que notre sang se glace dans nos veines.
– Bravo ! bravo ! voisin Craigdallie, cria-t-on de toutes parts ; vive à jamais saint Johnstoun !
Olivier Proudfute aurait volontiers répliqué, car c’était un de ces orateurs sans pitié qui s’imaginent que leur éloquence peut braver tous les inconvénients de temps, de lieu et de circonstances. Mais personne ne voulut l’écouter, et les bourgeois se séparèrent pour regagner chacun leur logis, éclairés par le premier rayon de l’aurore qui commençait à tracer des sillons lumineux sur l’horizon.
À peine étaient-ils partis que le vieux Glover ouvrit la porte de sa maison, et prenant Smith par le bras, il l’y fit entrer.
– Où est le prisonnier ? demanda l’armurier.
– Parti, échappé, sauvé, que sais-je ? répondit Simon ; il s’est enfui par la porte de derrière et a traversé le petit jardin. Ne songe pas à lui, mais viens voir la Valentine dont tu as garanti ce matin l’honneur et la vie.
– Donnez-moi le temps de rengainer mon couteau de chasse et de me laver les mains, dit Smith.
– Il n’y a pas un moment à perdre, s’écria Glover ; elle est levée et presque habillée. – Suis-moi. Je veux qu’elle te voie ta bonne arme à la main et le bras couvert du sang de ces misérables, afin qu’elle sache apprécier ce que vaut un homme de cœur. Elle m’a fermé la bouche trop longtemps par sa pruderie et ses scrupules ; je prétends qu’elle apprenne à connaître le prix de l’amour d’un brave homme et d’un hardi bourgeois.