Chapitre IIILe cœur de l’armurier était en proie à divers sentiments contraires ; il battait comme s’il avait voulu percer le pourpoint de buffle qui le couvrait. Smith se leva, détourna la tête, et tendit la main au gantier sans le regarder, comme s’il eût désiré ne pas laisser apercevoir l’émotion que sa physionomie annonçait.
– Je veux être pendu si je te dis adieu à présent, Henry, s’écria Simon en donnant un coup du plat de la main sur celle que Smith lui présentait. – Je ne te serrerai pas la main d’ici à une heure au plus tôt. Attends un moment, mon garçon, et je t’expliquerai tout cela. À coup sûr, quelques gouttes de sang qu’a fait couler une égratignure et quelques sottes paroles sorties de la bouche d’une jeune folle ne doivent pas séparer le père et le fils, quand ils ont été si longtemps sans se voir. Reste donc, si tu désires obtenir la bénédiction d’un père et celle de saint Valentin dont c’est demain la fête.
Le gantier appela Dorothée à haute voix, et quand elle eut monté et descendu quelques escaliers, sa marche étant accompagnée par le cliquetis du trousseau de clefs suspendu à son côté, elle apporta trois grandes coupes de cristal vert, ce qui était alors regardé comme une curiosité rare et précieuse, et Simon mit sur la table une énorme bouteille qui contenait au moins six pintes de notre siècle dégénéré.
– Voici du vin qui a au moins le double de mon âge, Henry, dit-il ; mon père le reçut en présent du vieux Crabbe, célèbre ingénieur flamand qui défendit Perth si vigoureusement pendant la minorité de David II. Nous autres gantiers nous ne laissons pas de profiter de la guerre, quoiqu’elle ait un rapport moins direct avec nous qu’avec vous autres qui travaillez en fer et en acier. Mon père avait gagné les bonnes grâces du vieux Crabbe ; quelque autre jour je te dirai à quelle occasion et combien de temps ces bouteilles sont restées enterrées pour les mettre à l’abri des maraudeurs anglais. Maintenant je viderai cette coupe à la santé de l’âme de mon respectable père : puissent ses péchés lui être pardonnés ! – Dorothée, bois aussi un coup à la même santé, et puis tu monteras dans ton grenier. Je sais que les oreilles te démangent, mais ce que j’ai à dire ne doit être entendu que par mon fils d’adoption.
Dorothée ne hasarda pas une remontrance, mais prenant son verre avec courage, elle le vida et se retira dans sa chambre. Les deux amis restèrent seuls.
– Je suis fâché, ami Henry, dit Simon en remplissant sa coupe et celle de son hôte ; je suis fâché au fond de l’âme que ma fille-soit d’une humeur si maussade ; mais il me semble que c’est un peu ta faute. Pourquoi viens-tu ici avec une épée et un poignard, quand tu sais qu’elle est assez sotte pour ne pouvoir supporter la vue de ces armes ? Ne te souviens-tu pas que tu eus une sorte de querelle avec elle, avant ton dernier départ de Perth, parce que tu ne veux pas prendre le costume pacifique des honnêtes bourgeois, mais qu’il faut que tu sois toujours armé comme ces coquins de Jackmen qui sont au service de la noblesse ? Sûrement il est assez temps pour un paisible bourgeois de prendre ses armes quand la grosse cloche de la ville nous donne le signal de la guerre.
– Je vous dirai, père Simon, que ce n’est pas ma faute. À peine étais-je descendu de cheval que je me rendis ici pour vous informer de mon retour, pensant à vous demander votre permission pour être cette année le Valentin de miss Catherine. Mistress Dorothée m’ayant appris que vous étiez allés tous deux à l’église des Frères Noirs, je vous y suivis, en premier lieu pour assister à l’office avec vous, et aussi, que Notre-Dame et saint Valentin me le pardonnent ! pour jeter un coup d’œil sur celle qui ne pense guère à moi. Comme vous entriez dans l’église je vis trois hommes qui me parurent suspects, qui tenaient conseil ensemble en vous regardant ainsi que Catherine ; et je reconnus notamment sir John Ramorny malgré son déguisement, et quoiqu’il eût un œil couvert d’une mouche de velours et qu’il portât un manteau semblable à celui d’un laquais. Si bien que je pensai que comme vous étiez vieux, père Simon, et que ce brin de montagnard était un peu trop jeune pour bien se battre, je ferais bien de vous suivre tranquillement quand vous retourneriez chez vous, ne doutant pas qu’avec les outils que je portais je ne misse aisément à la raison quiconque oserait vous insulter. Vous savez que vous m’avez reconnu vous-même et que vous m’avez fait entrer chez vous bon gré mal gré : sans cela je vous promets que je ne me serais pas présenté devant votre fille avant d’avoir mis le pourpoint neuf que je me suis fait faire à Berwick à la plus nouvelle mode, et que je n’aurais pas montré à ses yeux ces armes qu’elle ne peut souffrir. Et cependant, pour dire la vérité, il y a malheureusement tant de gens qui pour une cause ou pour une autre ont contre moi une rancune mortelle, qu’il m’est aussi nécessaire qu’à qui que ce soit en Écosse de ne pas sortir la nuit sans être armé.
– C’est à quoi la sotte ne pense jamais. Elle n’a pas assez de bon sens pour réfléchir que dans notre chère Écosse chacun croit avoir le droit et le privilège de se faire justice à soi-même. Mais, mon garçon, tu as tort de prendre si fort à cœur ce qu’elle t’a dit. Je t’ai vu la langue assez déliée devant d’autres jeunes filles : pourquoi restes-tu muet avec elle ?
– Parce qu’elle est quelque chose de tout différent des autres, père Glover ; parce qu’elle est non seulement plus belle, mais plus sage, plus instruite, plus imposante, plus sainte, et qu’elle me semble pétrie d’un meilleur limon que nous autres qui nous approchons d’elle. Je puis lever la tête assez haut, au milieu des autres jeunes filles quand nous dansons autour du mai ; mais quand je suis près de Catherine je ne parais plus à mes yeux qu’un être terrestre, grossier, féroce, digne à peine de lever les yeux sur elle, encore bien moins de répliquer aux préceptes qu’elle me donne.
– Tu es un chaland imprudent, Henry Smith ; tu fais trop d’éloges des marchandises que tu as envie d’acheter. Catherine est une bonne fille, je suis son père ; mais si tu la gonfles d’amour-propre par ta timidité et tes flatteries, ni toi ni moi nous ne verrons nos souhaits s’accomplir.
– C’est ce que je crains souvent, mon bon père ; car je songe combien peu je suis digne de Catherine.
– Bah ! bah ! songe à un bout de fil ! s’écria le gantier, ou plutôt songe à Catherine et à moi, ami Smith. Songe comme la pauvre fille est assiégée du matin au soir et par quelle sorte de personnes, même quand les portes et les fenêtres sont fermées. – Encore aujourd’hui nous avons été accostés par un galant trop puissant pour être nommé, – oui ; et il n’a pas cherché à cacher sa mauvaise humeur, parce que je n’ai pas voulu souffrir qu’il contât fleurette à ma fille dans l’église même et pendant le service divin. Il y en a d’autres qui ne sont guère plus raisonnables. Je voudrais quelquefois que Catherine fût moins jolie pour qu’elle n’attirât pas cette dangereuse espèce d’admiration, ou qu’elle fût un peu moins sainte pour qu’elle pût se décider à devenir la femme honnête et contente du brave Henry Smith, qui saurait la protéger contre toute la chevalerie de la cour d’Écosse.
– Et si j’y manquais, dit Henry en allongeant une main et un bras dignes d’un géant, je veux ne jamais faire tomber le marteau sur l’enclume. Oui, et si les choses en venaient là, ma belle Catherine reconnaîtrait qu’il n’y a pas de mal qu’un homme sache un peu se défendre. Mais je crois qu’elle s’imagine que le monde est une grande cathédrale, et que chacun doit se conduire comme s’il assistait à une messe éternelle.
– Dans le fait, dit Simon, elle a une étrange influence sur tous ceux qui l’approchent. Ce jeune montagnard, ce Conachar dont ma maison est encombrée depuis deux ou trois ans, vous voyez qu’il a tout le caractère de sa nation ; eh bien ! il obéit au moindre signe de Catherine ; il n’y a presque qu’elle dans la maison qui puisse lui inspirer de la docilité. Elle se donne beaucoup de peine pour lui faire perdre ses habitudes montagnardes.
Henry Smith parut mal à l’aise sur sa chaise. Il prit la bouteille, la remit sur la table, et s’écria enfin : – Au diable le jeune chien montagnard et toute sa race ! Quel besoin a Catherine d’instruire un pareil drôle ? Il en sera de lui comme du jeune loup que j’ai été assez fou pour élever comme un chien. Chacun le croyait apprivoisé ; mais dans un moment malencontreux, étant allé me promener avec lui sur la montagne de Montcrieff, il se jeta sur le troupeau du laird, et il y fit un ravage qui m’aurait coûté cher si le laird n’avait eu besoin d’une armure en ce moment. Et je suis surpris que vous, père Glover, vous qui êtes un homme sensé, vous gardiez ce montagnard, – un jeune drôle qui promet, je vous en réponds, – si près de Catherine comme s’il n’y avait que votre fille qui pût lui servir de maîtresse d’école.
– Fi, mon fils ! fi ! dit Simon. Te voilà jaloux d’un pauvre diable qui, pour te dire la vérité, n’est ici que parce qu’il pourrait ne pas se trouver si bien de l’autre côté de la montagne.
– Je sais ce que je dis, père Simon, répliqua l’armurier qui avait toutes les idées étroites des citadins de son temps ; et si ce n’était crainte de vous offenser, je dirais que vous vous mettez trop de pair à compagnon avec ces drôles qui vivent sur les montagnes.
– Il faut bien que je me procure quelque part mes cuirs de daim, mes peaux de chevreuil, mon bon Henry ; et l’on fait de bons marchés avec ces montagnards.
– Ils y trouvent encore leur compte, car ils ne vendent que ce qu’ils ont volé.
– Fort bien, fort bien ; quoi qu’il en soit, ce n’est pas mon affaire de savoir où ils se procurent la bête, pourvu que j’en aie la peau. Mais, comme je te le disais, il y a certaines considérations qui font que je suis charmé d’obliger le père de ce jeune homme en le gardant chez moi. D’ailleurs ce n’est qu’un demi-montagnard, et il n’en a pas tout à fait l’esprit indomptable. Après tout, je lui ai rarement vu l’humeur aussi féroce que ce soir.
– Vous ne le pourriez, à moins qu’il ne tuât son homme, dit Smith d’un ton sec.
– Si pourtant vous le désirez, Henry, je mettrai de côté tous autres égards, et j’enverrai le drôle demain matin chercher fortune ailleurs.
– Vous devez être bien sûr, père Simon, que Henry Gow ne se soucie pas plus de ce jeune chat de montagnes que d’un charbon de sa forge. Je vous garantis que je m’inquiéterais peu de voir entrer tout son clan dans la ville par Shoegate en criant Slogan et au son de sa cornemuse : j’aurais bientôt trouvé cinquante lames et autant de boucliers qui renverraient les maraudeurs plus vite qu’ils ne seraient venus. Mais pour vous dire la vérité, quoique ce soit encore parler en fou, je n’aime pas à voir ce taquin si souvent avec Catherine. Songez, père Glover, que votre métier vous occupe les mains et les yeux, et que vous devez y donner toute votre attention, même quand ce fainéant y travaille, ce qui ne lui arrive pas souvent, comme vous le savez vous-même.
– C’est la vérité. Il coupe tous ses gants pour la main droite ; il n’a jamais pu en faire une paire complète.
– En fait de couper la peau il a sans doute des idées d’un genre tout différent, dit Henry du même ton sec ; mais avec votre permission, père Glover, je voudrais seulement vous dire que soit qu’il travaille soit qu’il reste sans rien faire, il n’a pas les yeux de travers ; ses mains ne sont brûlées ni par le fer chaud, ni endurcies à force de manier le marteau ; ses cheveux ne sont pas rouillés par la fumée et flambés dans la fournaise comme le cuir d’un blaireau, plutôt que de ressembler à une chevelure digne d’être couverte d’un bonnet chrétien. Or, que Catherine soit une aussi bonne fille qu’il en a jamais existé, et je soutiens que c’est la meilleure de Perth, cependant elle doit voir et savoir que tout cela établit une différence entre un homme et un autre, et que cette différence n’est pas en ma faveur.
– À ta santé, et de tout mon cœur ! mon fils Henry, dit le vieillard en emplissant deux verres, un pour lui et un pour son compagnon. Je vois bien que quelque bon forgeron que tu sois, tu ne connais pas le métal dont les femmes sont faites. Il faut que tu sois plus hardi, Henry, et que tu te comportes non comme si tu marchais au gibet, mais en joyeux jeune homme qui sait ce qu’il vaut, et qui ne supporte pas le mépris de la meilleure des petites-filles d’Ève. Catherine est une femme comme sa mère, et tu te trompes grandement si tu penses que toutes les femmes se laissent prendre par les yeux. Il faut plaire à leurs oreilles, mon garçon. Il faut qu’une femme sache que celui à qui elle accorde la préférence est hardi et décidé, et qu’il pourrait obtenir les bonnes grâces d’une vingtaine d’autres, quoiqu’il recherche les siennes. Crois-en un vieillard, les femmes se décident plus souvent par l’opinion des autres que par la leur. Que Catherine demande quel est l’homme le plus résolu de Perth ; que lui répondra-t-on ? Henry le forgeron ; le meilleur armurier qui ait jamais forgé une arme sur l’enclume ? Henry Smith ; le danseur qui va le plus en mesure autour du mai ? le joyeux armurier ; celui qui chante les meilleures ballades ? Henry Gow ; le meilleur lutteur, celui qui manie le mieux le sabre et le bouclier, le roi du bâton à deux bouts, celui qui sait dompter un cheval et mettre à la raison un montagnard sauvage ? c’est encore toi… toujours toi… personne que toi… Et Catherine te préférerait cet a*****n de montagnard ! fi ! Elle ferait tout aussi bien un gantelet d’acier avec une peau de chevreuil. Je te dis que Conachar n’est rien pour elle, si ce n’est qu’elle voudrait le sauver des griffes du diable, qui le regarde comme lui appartenant ainsi que les autres montagnards. Que le ciel la bénisse, la pauvre fille ! Elle voudrait ramener le genre humain tout entier à de meilleures pensées, si elle le pouvait.
– Et je réponds qu’elle n’y réussira pas, s’écria Smith, qui, comme le lecteur peut l’avoir remarqué, n’avait pas des dispositions amicales pour la race des montagnards ; je gagerais contre Catherine en faveur du diable, que je devrais un peu connaître puisqu’il travaille dans le même élément que moi. Le diable aura le tartan, rien n’est plus sûr.
– Fort bien, mais Catherine a un second que tu ne connais guère. Le père Clément a entrepris le jeune maraudeur ; et le père Clément ne craint pas plus une centaine de diables que je n’ai peur d’une troupe d’oies.
– Le père Clément ! vous faites toujours quelque nouveau saint dans cette bonne ville de Saint-Jonhstoun. Et qui peut être ce dénicheur de diables ? Est-ce quelqu’un de vos ermites qui se prépare à faire des miracles comme un athlète à lutter, et qui s’y dispose à force de jeûne et de pénitence ? N’est-ce pas cela ?
– Pas du tout. La merveille, c’est que le père Clément boit, mange, et se conduit à peu près comme le reste des hommes, tout en observant strictement les commandements de l’Église.
– Oh ! je comprends, c’est un bon vivant de prêtre, qui pense à vivre joyeusement plutôt qu’à bien vivre, qui vide une cruche de vin la veille du mercredi des Cendres pour se mettre en état de faire face au carême, qui a un agréable in principio, et qui confesse toutes les plus jolies femmes de la ville.
– Tu donnes encore à gauche, Smith. Je te dirai que ma fille et moi nous flairerions de bien loin un hypocrite qui serait à jeun ou bien repu ; mais le père Clément n’est ni l’un ni l’autre.
– Mais qu’est-il donc, au nom du ciel ?
– Un homme qui vaut beaucoup mieux que la moitié des moines de Saint-Johnstoun mis tous ensemble, ou qui est tellement pire que le pire d’entre eux, que c’est une honte et un péché de souffrir qu’il reste dans le pays.
– Il me semble qu’il doit être aisé de dire s’il est l’un ou l’autre.
– Contentez-vous de savoir que si vous jugez le père Clément par ce que vous le voyez faire et par ce que vous l’entendez dire, vous le regarderez comme l’homme le meilleur et le plus bienfaisant du monde entier, ayant une consolation pour celui qui est dans l’affliction, un conseil pour quiconque est dans l’embarras, le guide le plus sûr du riche et l’ami le plus zélé du pauvre. Mais si vous écoutez ce qu’en disent les dominicains… Merci du ciel ! – ici le gantier fit un signe de croix sur son front et sur sa poitrine : – c’est un infâme hérétique qui devrait passer par les flammes terrestres pour être précipité dans celles qui ne s’éteindront jamais.
L’armurier fit aussi le signe de la croix, et s’écria : – Sainte Marie ! et vous, père Simon, vous qui avez tant de prudence et de circonspection qu’on vous a surnommé le Sage Gantier de Perth, vous souffrez que votre fille ait pour directeur un homme qui est…. . Que tous les saints nous protègent ! qui est soupçonné d’être ligué avec le malin esprit lui-même ! Quoi ! ne fut-ce pas un prêtre qui évoqua le diable dans le Meal-Vennel, quand la maison de Hodge Jackson fut renversée par l’ouragan ? Et le diable ne parut-il pas au milieu du Tay, vêtu d’un scapulaire de prêtre et grenouillant dans l’eau comme un marsouin, le matin que notre beau pont fut emporté ?
– Je ne puis dire si cela est vrai ou non ; tout ce que je sais, c’est que je ne l’ai pas vu. Quant à Catherine, on ne peut dire qu’elle ait pour directeur le père Clément, puisque son confesseur est le vieux Francis, dominicain, qui lui a donné l’absolution aujourd’hui. Mais les femmes sont quelquefois volontaires, et il est certain qu’elle tient des consultations avec le père Clément plus souvent que je ne le voudrais. Et cependant moi-même toutes les fois que je lui ai parlé, il m’a paru si vertueux et si saint, que je lui aurais volontiers confié le salut de mon âme. Il court de mauvais bruits sur lui chez les dominicains, c’est une chose sûre ; mais en quoi cela nous regarde-t-il, nous autres laïques, mon fils ? Payons à notre Sainte Mère l’Église ce qui lui est dû, faisons des aumônes, confessons-nous, exécutons les pénitences qui nous sont imposées, et les saints nous tireront d’affaire.
– Sans doute ; et ils auront quelque indulgence pour un malheureux coup qu’un homme peut avoir l’indiscrétion de porter en se battant, quand son adversaire est debout devant lui et en posture de défense ; et voilà la seule profession de foi avec laquelle un homme puisse vivre en Écosse, que votre fille en pense ce qu’elle voudra. Morbleu ! il faut qu’un homme connaisse l’escrime, ou sa vie n’est qu’un bail à court terme, dans un pays où les coups tombent si dru. Cinq nobles m’ont tiré d’affaire pour le meilleur homme à l’égard duquel il m’est arrivé malheur.
– Finissons donc notre flacon, car la cloche de la tour des dominicains vient de sonner minuit. Et écoute-moi, mon fils Henry ; sois au point du jour devant la fenêtre de cette maison qui donne du côté du levant, et fais-moi savoir que tu es arrivé en sifflant doucement l’appel du forgeron. Je m’arrangerai de manière à ce que Catherine mette la tête à la croisée ; par ce moyen tu obtiendras pour le reste de l’année tous les privilèges d’un galant Valentin. Si tu ne sais pas en profiter, je serai porté à croire que quoique tu sois couvert de la peau du lion, la nature t’a laissé les longues oreilles de l’âne.
– Amen, mon père, répondit l’armurier ; je vous souhaite une bonne nuit, et que Dieu répande ses bénédictions sur votre toit et sur tous ceux qu’il couvre. Vous entendrez siffler l’appel du forgeron au premier chant du coq ; je vous garantis même que je ferai honte de sa paresse à sire Chanteclair.
À ces mots il prit congé du gantier ; et quoique inaccessible à la crainte, il traversa les rues désertes en homme qui se tient sur ses gardes, et arriva enfin à sa demeure qui était située dans le Mill Wynd, à l’extrémité occidentale de Perth.