L’étranger qui venait d’entrer se laissait voir au milieu d’eux, et quoiqu’il n’eût ni beauté, ni air de dignité, sa stature et son visage non seulement méritaient l’attention, mais semblaient même la commander. Il était un peu au-dessous de la moyenne taille, mais la largeur de ses épaules, la longueur de ses bras nerveux, les muscles fortement dessinés de tous ses membres, annonçaient un degré de force très peu ordinaire et un corps dont la vigueur était entretenue par un exercice constant. Ses jambes étaient un peu courbées, mais d’une manière qui n’avait rien de difforme, et qui semblait même d’accord avec la force de ses membres, quoiqu’elle nuisît jusqu’à un certain point à leur symétrie. Il portait un pourpoint de buffle, et une ceinture à laquelle étaient attachés une large épée ou claymore et un poignard comme pour défendre la bourse qui, suivant l’usage des bourgeois, y était aussi suspendue. Ses cheveux noirs et frisés étaient coupés près de sa tête, qui était ronde et bien proportionnée. On remarquait dans ses yeux noirs de l’audace et de la résolution, mais ses traits semblaient d’ailleurs exprimer une timidité mêlée de bonne humeur, et annonçaient évidemment sa satisfaction de se retrouver avec ses anciens amis. Abstraction faite de l’expression de timidité qui était celle du moment, le front de Henry Gow ou Smith, – car on lui donnait indifféremment l’un ou l’autre de ces noms, dont chacun exprimait également sa profession, celle de forgeron, – était découvert et plein de noblesse ; mais la partie inférieure de son visage était moins heureusement formée. Sa bouche était grande et garnie de belles dents, dont l’émail et la distribution répondaient à l’air de force et de santé qu’indiquait tout son extérieur. Une barbe courte et épaisse, et des moustaches qui avaient été récemment arrangées avec soin, complétaient son portrait. Vingt-huit ans pouvaient être son âge.
Toute la famille parut également charmée de revoir inopinément un ancien ami. Simon Glover lui secoua la main à plusieurs reprises. Dorothée lui fit ses compliments, et Catherine lui offrit la main d’elle-même. Henri la prit dans les siennes, comme s’il avait eu dessein de la porter à ses lèvres ; mais il y avait sur les joues de la Jolie Fille de Perth un sourire mêlé de rougeur qui semblait augmenter la confusion du galant. Simon voyant l’hésitation de son ami, s’écria avec un ton de franche gaieté :
– Ses lèvres ! mon garçon, ses lèvres ! C’est ce que je ne dirais pas à tous ceux qui passent le seuil de ma porte. Mais, par saint Valentin dont c’est demain la fête, je suis si charmé, de te revoir dans notre bonne ville de Perth, qu’il serait difficile de dire ce que je pourrais te refuser.
Gow, Smith, le Forgeron, car ces trois dénominations s’appliquaient au même individu, et désignaient, comme nous l’avons dit plus haut, sa profession, se trouvant encouragé de cette manière, prit un b****r modeste sur les lèvres de Catherine, qui s’y prêta avec un sourire d’affection qui aurait pu convenir à une sœur ; et elle lui dit ensuite : – Permettez-moi d’espérer que je revois à Perth un homme repentant et corrigé.
Henry lui tenait la main, comme s’il allait lui répondre ; mais il la laissa échapper tout-à-coup, en homme qui perd courage à l’instant d’en montrer ; et reculant comme s’il eût été effrayé de la liberté qu’il venait de prendre, ses joues basanées rougissant de plaisir et de timidité, il s’assit près du feu, du côté opposé à celui où se trouvait Catherine.
– Allons, Dorothée ! s’écria Simon ; dépêche-toi, vieille femme ! Le souper !… Et Conachar !… où est Conachar ?
– Il est allé se coucher avec un mal de tête, dit Catherine en hésitant.
– Va l’appeler, Dorothée, reprit Glover ; je ne souffrirai pas qu’il se conduise ainsi. Son sang montagnard est sans doute trop noble pour étendre une nappe sur la table, et pour donner une assiette ; et il s’attend à entrer dans l’ancien et honorable corps des maîtres gantiers, sans avoir rempli tous ses devoirs d’apprenti ! Va l’appeler, te dis-je ; je ne veux pas être négligé ainsi.
On entendit bientôt Dorothée appeler l’apprenti volontaire sur l’escalier, ou plutôt sur l’échelle qui conduisait au grenier qui lui servait de chambre, et où il avait fait une retraite prématurée. Conachar répondit en murmurant, et bientôt après il rentra dans la cuisine servant de salle à manger. Ses traits hautains, quoique beaux, étaient chargés d’un sombre nuage de mécontentement ; et tandis qu’il couvrait la table d’une nappe, et qu’il y plaçait les assiettes, le sel, les épices, et d’autres assaisonnements, qu’il s’acquittait en un mot des devoirs d’un domestique de nos jours, et que l’usage du temps imposait à tous les apprentis, il était évidemment dégoûté et indigné des fonctions serviles qu’il était obligé de remplir. La Jolie Fille de Perth le regardait avec quelque inquiétude, comme si elle eût craint que sa mauvaise humeur manifeste n’augmentât le mécontentement de son maître ; et ce ne fut que lorsque les yeux de Conachar eurent rencontré pour la seconde fois ceux de Catherine, qu’il daigna déguiser un peu sa répugnance, et mettre une plus grande apparence de soumission et de bonne volonté dans son service.
Et ici nous devons informer nos lecteurs que, quoique les regards échangés entre Catherine Glover et le jeune montagnard indiquassent qu’elle prenait quelque intérêt à la conduite de l’apprenti, l’observateur le plus attentif aurait été fort embarrassé pour découvrir si le sentiment qu’elle éprouvait était plus vif que celui qui était naturel à une jeune personne à l’égard d’un jeune homme de son âge, habitant la même maison, et avec lequel elle vivait dans une habitude d’intimité.
– Tu as fait un long voyage, mon fils Henry, dit Glover, qui lui avait toujours donné ce titre d’affection, quoiqu’il ne fût aucunement parent du jeune artisan ; tu as vu bien d’autres rivières que le Tay, et bien d’autres villes que Saint-Johnstoun.
– Mais je n’ai vu ni ville ni rivière qui me plaise à moitié autant et qui mérite à moitié autant de me plaire, répondit Smith ; je vous garantis, mon père, qu’en traversant les Wicks de Beglie, quand je vis notre belle ville s’offrir à mes yeux comme la reine des fées dans un roman, lorsque le chevalier la trouve endormie sur un lit de fleurs sauvages, je me sentis comme l’oiseau qui plie ses ailes fatiguées en s’abattant sur son nid.
– Ah ! ah ! tu n’as donc pas encore renoncé au style poétique ? Quoi ! aurons-nous donc encore nos ballades, nos rondeaux, nos joyeux noëls, nos rondes pour danser autour du mai ?
– Il n’y a rien d’impossible à cela, mon père, quoique le vent des soufflets et le bruit des marteaux tombant sur l’enclume ne soient pas un excellent accompagnement pour les chants du ménestrel ; mais je ne puis leur en donner d’autre, car si je fais de mauvais vers, je veux tâcher de faire une bonne fortune.
– Bien dit, mon fils ; on ne saurait mieux parler. Et tu as sans doute fait un voyage profitable ?
– Très avantageux. J’ai vendu le haubert d’acier que vous savez quatre cents marcs au gardien anglais des Marches orientales, sir Magnus Redman. J’ai consenti qu’il l’essayât en y donnant un grand coup de sabre, après quoi il ne m’a pas demandé à en rabattre un sou ; tandis que ce mendiant, ce brigand de montagnard qui me l’avait commandé, avait marchandé ensuite pour en réduire le prix de moitié, quoique ce fût le travail d’un an.
– Eh bien ! qu’as-tu donc, Conachar ? dit Simon, s’adressant par forme de parenthèse à son apprenti montagnard. Ne sauras-tu jamais t’occuper de ta besogne sans faire attention à ce qui se passe autour de toi ? Que t’importe qu’un Anglais regarde comme étant à bon marché ce qui peut paraître cher à un Écossais ?
Conachar se tourna vers lui pour lui répondre ; mais après un instant de réflexion il baissa les yeux et chercha à reprendre son calme, qui avait été dérangé par la manière méprisante dont Smith venait de parler de ses pratiques des montagnes. Henry continua sans faire attention à l’apprenti.
– J’ai aussi vendu à bon prix quelques sabres et quelques couteaux de chasse pendant que j’étais à Edimbourg. On s’y attend à la guerre, et s’il plaît à Dieu de nous l’envoyer, mes marchandises vaudront leur prix, grâces en soient rendues à saint Dunstan, car il était de notre métier. En un mot, ajouta-t-il en mettant la main sur sa bourse, cette bourse qui était maigre et plate quand je suis parti il y a quatre mois, est maintenant ronde et grasse comme un cochon de lait de six semaines.
– Et cet autre drôle à poignée de fer et à fourreau de cuir qui est suspendu à côté d’elle, n’a-t-il eu rien à faire pendant tout ce temps ? Allons, Smith, avoue la vérité ; combien as-tu eu de querelles depuis que tu as passé le Tay ?
– Vous avez tort, mon père, répondit Smith en jetant un coup d’œil à la dérobée sur Catherine, de me faire une pareille question, et surtout en présence de votre fille. Il est bien vrai que je forge des sabres, mais je laisse à d’autres le soin de s’en servir. Non, non, il est bien rare que j’aie à la main une lame nue, si ce n’est pour la fourbir et lui donner le fil. Et cependant de mauvaises langues m’ont calomnié et ont fait croire à Catherine que le bourgeois le plus paisible de Perth était un tapageur. Je voudrais que le plus brave d’entre eux osât parler ainsi sur le haut du Kinnoul, et que je m’y trouvasse tête à tête avec lui !
– Oui, oui, dit Glover en riant, et nous aurions une belle preuve de ton humeur patiente et paisible. Fi ! Henry ! peux-tu faire de pareils contes à un homme qui te connaît si bien ? Tu regardes Kate comme si elle ne savait pas qu’il faut en ce pays que la main d’un homme puisse garder sa tête s’il veut dormir avec quelque tranquillité. Allons, allons, conviens que tu as gâté autant d’armures que tu en as fait.
– Ma foi, père Simon, ce serait un mauvais armurier que celui qui ne saurait pas donner par quelques bons coups des preuves de son savoir-faire. S’il ne m’arrivait pas de temps en temps de fendre un casque et de trouver le défaut d’une cuirasse, je ne connaîtrais pas le degré de force que je dois donner aux armures que je fabrique ; j’en ferais de carton, comme celles que les forgerons d’Edimbourg n’ont pas de honte de laisser sortir de leurs mains.
– Ah ! je gagerais une couronne d’or que tu as eu une querelle à ce sujet avec quelque armurier d’Edimbourg.
– Une querelle ! non, mon père ; mais j’avoue que j’ai mesuré mon épée avec un d’entre eux sur le mont Saint-Léonard, pour l’honneur de notre bonne ville. Certainement vous ne pouvez croire que je voulusse avoir une querelle avec un confrère.
– Sûrement non. Mais comment ton confrère s’en est-il tiré ?
– Comme un homme qui n’aurait sur sa poitrine qu’une feuille de papier se tirerait d’un coup de lance ; ou pour mieux dire, il ne s’en est pas tiré du tout, car lorsque je suis parti il était encore dans la cabane de l’ermite attendant la mort tous les jours, et le père Gervais m’a dit qu’il s’y préparait en bon chrétien.
– Et as-tu mesuré ton épée avec quelque autre ?
– Pour dire la vérité, je me suis battu avec un Anglais à Berwick, pour la vieille question de la suprématie, comme ils l’appellent. Je suis bien sûr que vous n’auriez pas voulu que je ne soutinsse pas une pareille cause ; et j’ai eu le bonheur de le blesser au genou gauche.
– Bravo ! par saint André ! – Et à qui as-tu eu affaire en suite ? demanda Simon, riant des exploits de son ami pacifique.
– J’ai combattu contre un Écossais dans le Torwood, parce que nous doutions lequel de nous maniait le mieux la claymore. Or vous sentez que cette question ne pouvait se décider qu’en mettant notre savoir-faire à l’épreuve. Il en a coûté deux doigts au pauvre diable.
– C’est assez bien pour le bourgeois le plus paisible de Perth, qui ne touche jamais une lame que pour la fourbir. As-tu quelque chose de plus à nous dire ?
– Presque rien ; car ce n’est guère la peine de parler d’une correction que j’ai administrée à un montagnard.
– Et pourquoi la lui as-tu administrée, homme de paix ?
– Je ne saurais trop le dire, si ce n’est que je le rencontrai au sud du pont de Stirling.
– Eh bien ! je vais boire à ta santé, et tu es le bienvenu chez moi après tous ces exploits. Allons, Conachar, évertue-toi, mon garçon ; sers-nous à boire, et tu prendras pour toi-même une coupe de cette bonne ale.
Conachar emplit deux coupes d’ale et les présenta à son maître et à Catherine avec le respect convenable ; après quoi, mettant le pot sur la table, il se rassit.
– Comment ! drôle ! s’écria Glover ; est-ce ainsi que tu agis ? Offre donc une coupe à mon hôte, au digne maître Henry Smith.
– Maître Smith peut se servir lui-même, s’il a envie de boire, répondit le jeune Celte. Le fils de mon père s’est déjà assez dégradé pour une soirée.
– Tu as le chant bien haut pour un jeune coq, dit Henry ; mais au fond tu as raison, mon garçon : celui qui a besoin d’un échanson pour boire mérite de mourir de soif.
Le vieux Simon ne montra pas tant de patience en voyant la désobéissance de son jeune apprenti.
– Sur ma parole, s’écria-t-il, et par la meilleure paire de gants que j’aie jamais faite, tu lui présenteras une coupe de cette ale, si tu veux que toi et moi nous passions cette nuit sous le même toit.
En entendant cette menace, Conachar se leva d’un air sombre, et s’approchant de Smith qui avait déjà pris la coupe en main, il la remplit ; et tandis que Henry levait le bras pour la porter à sa bouche, il feignit de faire un faux pas, se laissa tomber en le heurtant, et la liqueur écumante se répandit sur la figure et les vêtements de l’armurier. En dépit de son penchant belliqueux, Smith avait réellement un bon caractère ; mais une telle provocation lui fit perdre patience : il saisit le jeune homme au gosier, qui lui tomba le premier sous la main ; et le serrant pour repousser Conachar, il s’écria : – Si tu m’eusses joué un pareil tour partout ailleurs, gibier de potence, je t’aurais coupé les deux oreilles, comme je l’ai déjà fait à plus d’un montagnard de ton clan.
Conachar se releva avec l’activité d’un tigre, et s’écriant : – Tu ne t’en vanteras jamais une seconde fois, – il tira de son sein un petit couteau bien affilé, et s’élançant sur Henry Smith, il chercha à le lui enfoncer dans le cou au-dessous de la clavicule, ce qui lui aurait fait une blessure mortelle. Mais celui qu’il attaquait ainsi mit une telle promptitude à lui arrêter le bras, que la lame du couteau ne fit que lui effleurer la peau suffisamment pour en tirer du sang. Tenant le bras de l’apprenti d’une main qui le serrait comme une paire de tenailles, il le désarma en un instant. Conachar se voyant à la merci de son formidable antagoniste, sentit une pâleur mortelle succéder sur ses joues à la rougeur dont la colère les avait animées, et il resta muet de honte et de crainte. Enfin Smith, lui lâchant le bras, lui dit avec le plus grand calme : – Il est heureux pour toi que tu ne sois pas digne de ma colère. Tu n’es qu’un enfant, je suis un homme ; je n’aurais dû rien dire qui pût te provoquer : mais que ceci te serve de leçon, Conachar eut un instant l’air de vouloir lui répondre ; mais il sortit tout à coup de l’appartement avant que Simon fût assez revenu de sa surprise pour pouvoir parler. Dorothée cherchait partout des simples et des onguents. Catherine s’était évanouie en voyant couler le sang.
– Permettez-moi de partir, père Simon, dit Henry d’un ton mélancolique ; j’aurais dû deviner que mon ancien guignon m’aurait suivi ici, et que j’aurais occasionné une scène de querelle et de sang dans un endroit où j’aurais voulu apporter la paix et le bonheur. Ne faites pas attention à moi, et donnez tous vos soins à Catherine. La vue de ce qui vient de se passer l’a tuée, et tout cela par ma faute !
– Ta faute, mon fils ! – C’est la faute de ce brigand montagnard. C’est une malédiction pour moi que de l’avoir dans ma maison ; mais il retournera sur ses montagnes demain matin, ou il fera connaissance avec la prison de la ville. – Attenter à la vie de l’hôte de son maître dans la maison même de son maître ! Cela rompt tous les liens entre nous. – Montre-moi ta blessure.
– Catherine ! répéta Henry ; songez à Catherine. – Dorothée en aura soin. – La surprise et la frayeur ne tuent point ; mais les poignards et les couteaux sont plus dangereux : D’ailleurs si elle est ma fille suivant le sang, tu es mon fils d’affection, mon cher Henry. – Laisse-moi voir ta blessure. Le couteau est une arme perfide dans la main d’un montagnard.
– Je ne m’en soucie pas plus que de l’égratignure d’un chat sauvage ; et maintenant que les couleurs commencent à reparaître sur les joues de Catherine, vous allez voir qu’il n’en sera plus question dans un moment.
À ces mots il s’approcha d’un petit miroir qui était suspendu à la muraille dans un coin, prit dans sa poche de la charpie pour l’appliquer sur la blessure légère qu’il avait reçue, et écarta de son cou et de ses épaules le pourpoint de peau qui les couvrait. Ses formes mâles n’étaient pas plus remarquables que la blancheur de sa peau dans les parties de son corps qui n’avaient pas été, comme ses mains et son visage, exposées aux intempéries de l’air et aux suites de son métier laborieux. Il se servit à la hâte de sa charpie pour arrêter le sang, et après en avoir avec un peu d’eau fraîche fait disparaître les dernières traces, il boutonna son pourpoint et se tourna vers Catherine, qui, quoique encore pâle et tremblante, était pourtant revenue de son évanouissement.
– Me pardonnerez-vous, lui dit-il, de vous avoir offensée à l’instant même de mon retour ? Ce jeune homme a été assez fou pour me provoquer, et j’ai été plus fou de me laisser provoquer par un pareil blanc-bec. Votre père ne me blâme pas, Catherine ; et vous, ne pouvez-vous me pardonner ?
– Je n’ai rien à pardonner, répondit Catherine, quand je n’ai pas le droit d’être offensée. Si mon père trouve bon que sa maison devienne un théâtre de querelles nocturnes, il faut bien que j’en sois témoin, je ne saurais l’empêcher. J’ai peut-être eu tort d’avoir interrompu par mon évanouissement la suite d’un si beau combat. Ma seule excuse c’est que je ne puis supporter la vue du sang.
– Et est-ce de cette manière que vous recevez mon ami après sa longue absence ? lui demanda son père. Mon ami ! c’est mon fils que je dois dire ; il manque d’être assassiné par un drôle dont je débarrasserai demain cette maison, et vous le traitez comme s’il avait eu tort de repousser le serpent qui voulait l’empoisonner de son venin !
– Il ne m’appartient pas, mon père, répondit la Jolie Fille de Perth, de décider qui a eu raison ou tort dans la querelle qui vient d’avoir lieu ; je n’ai même pas vu assez distinctement ce qui s’est passé pour pouvoir dire qui a été l’agresseur, et qui n’a fait que se défendre. Mais bien certainement notre ami maître Henry ne niera pas qu’il ne vive dans une atmosphère perpétuelle de querelles, de combats et de sang. S’il entend vanter l’adresse de quelqu’un à manier la claymore, devient jaloux de sa réputation, et il faut qu’il mette son savoir-faire à l’épreuve. S’il est témoin d’une querelle, il se jette au beau milieu ; s’il a des amis, il se bat avec eux par honneur ; s’il a des ennemis, il les combat par esprit de haine et de vengeance ; et ceux qui ne sont ni ses amis ni ses ennemis, il les attaque parce qu’ils se trouvent au nord ou au sud d’une rivière. Ses jours sont des jours de combats, et il passe sans doute ses nuits à se battre en rêve.