Chapitre IIPerth pouvant se vanter, comme nous l’avons déjà dit d’être si bien partagé du côté des beautés de la nature inanimée, a toujours eu aussi sa part de ces charmes qui sont en même temps plus intéressants, mais moins durables. Être appelée « la Jolie Fille de Perth » aurait été dans tous les temps une grande distinction, et aurait supposé une beauté supérieure, quand il y avait tant de rivales dignes de réclamer un titre si envié. Mais dans les temps féodaux sur lesquels nous appelons maintenant l’attention du lecteur, la beauté d’une femme était une qualité de bien plus haute importance qu’elle ne l’a été depuis que les idées de la chevalerie ont disparu en grande partie. L’amour des anciens chevaliers était une espèce d’idolâtrie tolérée, dont on supposait en théorie que l’amour du ciel pouvait seul approcher, quoique, en pratique, l’ardeur de ce second amour égalât rarement celle du premier. On en appelait familièrement au même instant à Dieu et aux dames, et le dévouement au beau s**e était aussi vivement recommandé à l’aspirant aux honneurs de la chevalerie, que la dévotion envers le ciel. À cette époque de la société, le pouvoir de la beauté était presque sans bornes : il pouvait mettre le rang le plus élevé au niveau de celui qui lui était inférieur, même à une distance incommensurable.
Sous le règne qui avait précédé celui de Robert III, la beauté seule avait fait appeler une femme d’un rang inférieur, et de mœurs presque suspectes, à partager le trône d’Écosse ; et bien des femmes, moins adroites ou moins heureuses, s’étaient élevées à la grandeur, d’un état de concubinage dont les mœurs du temps étaient l’excuse. De tels exemples auraient pu éblouir une fille de plus haute naissance que Catherine ou Katie Glover, universellement reconnue pour être la jeune personne la plus belle de la ville et des environs. La renommée de la Jolie Fille de Perth avait attiré sur elle l’attention des jeunes galants de la cour du roi. Cette cour se tenait à Perth ou dans les environs ; au point que maints nobles seigneurs, et des plus distingués par leurs exploits chevaleresques, mettaient plus de soin à donner des preuves de leurs talents dans l’art de l’équitation, quand ils passaient devant la porte du vieux Simon Glover, dans la rue qu’on appelait Curfew-Street, qu’à se distinguer dans les tournois, où les plus illustres dames d’Ecosse étaient pourtant les spectatrices de leur adresse.
Mais la fille de Glover, ou du Gantier (car, suivant l’usage assez commun dans ce temps, Simon tirait son surnom du métier qu’il exerçait), ne montrait aucune envie d’écouter les galanteries qui partaient d’un rang trop au-dessus de celui qu’elle occupait elle-même ; et quoique probablement elle ne fût pas aveugle sur ses charmes personnels, elle semblait désirer de borner ses conquêtes à ceux qui se trouvaient dans sa propre sphère. D’un genre de beauté encore plus intellectuel que physique, elle était, malgré la douceur et la bonté naturelle de son caractère, accompagnée de plus de réserve que de gaieté, même dans la compagnie de ses égaux, et le zèle avec lequel elle s’acquittait de tous les devoirs de la religion portait bien des gens à penser que Catherine Glover nourrissait en secret le désir de se retirer du monde et de s’ensevelir dans la retraite d’un cloître. Mais en supposant qu’elle eût le projet d’un tel sacrifice, il n’était pas à présumer que son père, qui passait pour riche et qui n’avait pas d’autre enfant, y consentît jamais volontairement.
La beauté régnante de Perth fut confirmée par les sentiments de son père dans la résolution qu’elle avait prise de fermer l’oreille aux fleurettes des courtisans. – Laisse-les passer, lui disait-il, laisse-les passer, Catherine, ces galants avec leurs chevaux fringants, leurs brillants éperons, leurs toques à plumes et leurs moustaches bien frisées ; ils ne sont pas de notre classe, et nous ne chercherons pas à nous élever jusqu’à eux. C’est demain la Saint-Valentin, le jour où chaque oiseau choisit sa compagne ; mais tu ne verras ni la linotte s’accoupler à l’épervier, ni le rouge-gorge au milan. Mon père était un honnête bourgeois de Perth, et il savait manier l’aiguille aussi bien que moi. Si pourtant la guerre approchait des portes de notre belle ville, il laissait là l’aiguille, le fil, et la peau de chamois ; il tirait du coin obscur où il les avait déposés un bon morion et un bouclier, et il prenait sa longue lance sur la cheminée. Qu’on me dise quel jour lui ou moi nous nous sommes trouvés absents quand le prévôt passait la revue ! C’est ainsi que nous avons vécu, ma fille ; travaillant pour gagner notre pain, et combattant pour le défendre, je ne veux pas avoir un gendre qui s’imagine valoir mieux que moi ; et quant à ces lords et à ces chevaliers, je me flatte que tu te souviendras toujours que tu es d’une condition trop inférieure pour être leur femme, et trop haute pour être leur maîtresse. Et maintenant laisse là ton ouvrage, mon enfant ; car c’est aujourd’hui la veille d’une fête, et il convient que nous allions à l’office du soir. Nous prierons le ciel de t’envoyer demain un bon Valentin.
La Jolie Fille de Perth laissa donc le superbe gant de chasse qu’elle brodait pour lady Drummond, et mettant sa robe des jours de fête, elle se prépara à suivre son père au couvent des Dominicains, qui était à peu de distance de Curfew-Street, où ils demeuraient. Chemin faisant, Simon Glover, ancien bourgeois de Perth, généralement estimé, un peu avancé en âge, mais ayant aussi avancé sa fortune, recevait des jeunes et des vieux les hommages dus à son pourpoint de velours et à sa chaîne d’or, tandis que la beauté de Catherine, quoique cachée sous sa mante, qui ressemblait à celle qu’on porte encore en Flandre, obtenait les révérences et les coups de bonnet de ses concitoyens de tout âge.
Tandis qu’ils marchaient, le père donnant le bras à sa fille, ils étaient suivis par un grand et beau jeune homme portant le costume le plus simple de la classe mitoyenne, mais qui dessinait avec avantage des membres bien proportionnés, et laissait voir des traits nobles et réguliers que faisait encore valoir une tête bien garnie de cheveux bouclés, et une petite toque écarlate qui convenait à ravir à cette coiffure. Il n’avait d’autre arme qu’un bâton qu’il tenait à la main, car il était apprenti du vieux Glover, et l’on ne jugeait pas convenable que les personnes de sa classe se montrassent dans les rues portant l’épée où le poignard, privilège que les jackmen, c’est-à-dire les militaires au service particulier des nobles, regardaient comme leur appartenant exclusivement. Il suivait son maître à l’église, d’abord comme étant en quelque sorte son domestique, et ensuite pour prendre sa défense, si quelque circonstance l’exigeait ; mais il n’était pas difficile de voir, aux attentions marquées qu’il avait pour Catherine Glover, que c’était surtout à elle qu’il désirait consacrer tous ses soins. En général son zèle ne trouvait pas d’occasion pour s’exercer, car un sentiment unanime de respect engageait tous les passants à se ranger pour faire place au père et à la fille.
Cependant quand on commença à voir briller parmi la foule les casques d’acier, les barrettes et les panaches des écuyers, des archers et des hommes d’armes, ceux qui portaient ces marques distinctives de la profession militaire montrèrent des manières moins polies que les citoyens paisibles. Plus d’une fois, quand, soit par hasard, soit peut-être par prétention à une importance supérieure, quelqu’un de ces individus prenait sur Simon le côté du mur, le jeune apprenti du gantier fronçait le sourcil avec l’air menaçant d’un homme qui désirait prouver l’ardeur de son zèle pour le service de sa maîtresse. Chaque fois que cela lui arrivait, Conachar, c’était le nom de l’apprenti, recevait une réprimande de son maître, qui lui donnait à entendre qu’il ne voulait pas qu’il intervint en pareilles affaires, sans en avoir reçu l’ordre.
– Jeune insensé, lui dit-il, n’as-tu pas vécu assez longtemps dans ma boutique pour avoir appris qu’un coup fait naître une querelle, et qu’un poignard coupe la peau aussi vite qu’une aiguille perce le cuir ? Ne sais-tu pas que j’aime la paix, quoique je n’aie jamais craint la guerre ; et que je me soucie fort peu de quel côté de la chaussée ma fille et moi nous marchons, pourvu que nous puissions cheminer paisiblement ? Conachar s’excusa sur le zèle qu’il avait pour l’honneur de son maître ; mais cette réponse ne satisfit pas le vieux bourgeois de Perth. – Qu’avons-nous de commun avec l’honneur ? s’écria Simon Glover ; si tu veux rester à mon service, songe à l’honnêteté, et laisse l’honneur à ces fanfarons extravagants qui portent des éperons aux talons et du fer sur leurs épaules. Si tu veux te charger d’une pareille garniture et t’en servir, à la bonne heure ; mais ce ne sera ni chez moi, ni en ma compagnie.
Cette réprimande parut animer la colère de Conachar, au lieu de la calmer. Mais un signe de Catherine, si le léger mouvement qu’elle fit en levant son petit doigt était véritablement un signe, produisit sur le jeune homme plus d’effet que les reproches de son maître courroucé. Il perdit sur-le-champ l’air martial qui lui semblait naturel, et redevint l’humble apprenti d’un bourgeois paisible.
Ils furent bientôt joints par un jeune homme portant un manteau qui lui couvrait une partie du visage ; c’était l’usage adopté souvent par les galants de ce temps quand ils ne voulaient pas être connus, et qu’ils sortaient pour chercher des aventures. Il semblait, en un mot, un homme qui pouvait dire à ceux qui l’entouraient : – Je désire en ce moment ne pas être connu ; je ne veux pas qu’on m’applique mon nom ; mais, comme je ne suis responsable de mes actions qu’à moi-même, je ne garde l’incognito que par forme, et je me soucie fort peu que vous me reconnaissiez ou non. Il s’approcha de Catherine, qui tenait le bras de son père, et ralentit le pas, comme pour les accompagner. – Bonjour, brave homme.
– J’en dis autant à Votre Honneur, et je vous remercie. Puis-je vous prier de continuer votre chemin ? Nous marchons trop lentement pour Votre Seigneurie, et notre société est trop humble pour le fils de votre père.
– C’est ce dont le fils de mon père doit être le meilleur juge, vieillard ; mais j’ai à vous parler d’affaires, ainsi qu’à la belle sainte Catherine que voici, et qui est la plus aimable et la plus cruelle de toutes les saintes du calendrier.
– Sauf votre respect, milord, je vous ferai observer que c’est aujourd’hui la veille de saint Valentin, et que par conséquent ce n’est pas le moment de parler d’affaires. Votre Honneur peut m’envoyer ses ordres par un valet demain matin, d’aussi bonne heure qu’il lui plaira.
– Il n’y a pas de temps comme le moment présent, répondit le jeune homme, qui semblait être d’un rang à se dispenser de toute cérémonie ; je désire savoir si vous avez fini le pourpoint de buffle que j’ai commandé il y a quelque temps ; et je vous prie de me dire, belle Catherine, ajouta-t-il en baissant la voix, si vos jolis doigts se sont occupés à le broder, comme vous me l’avez promis. Mais je n’ai pas besoin de vous le demander, car mon pauvre cœur a senti la piqûre de chaque coup d’aiguille que vous avez donné au vêtement qui doit le couvrir. Cruelle, comment pouvez-vous tourmenter un cœur qui vous chérit si tendrement ?
– Permettez-moi de vous en supplier, milord, cessez un pareil langage ; il ne vous convient pas de me l’adresser, et je ne dois pas l’écouter. Nous sommes d’un rang obscur, mais honnête, et la présence d’un père devrait mettre sa fille à l’abri d’entendre de semblables propos, même dans la bouche de Votre Seigneurie.
Catherine parlait si bas, que ni son père ni Conachar ne pouvaient entendre ce qu’elle disait.
– Eh bien, tyran, répondit le galant persévérant, je ne vous persécuterai pas plus longtemps, pourvu que vous me promettiez que je vous verrai demain matin à votre fenêtre à l’instant où le soleil se montrera au-dessus de la montagne du côté de l’orient, et que vous me donnerez ainsi le droit d’être votre Valentin pendant toute l’année.
– Je n’en ferai rien, milord ; il n’y a qu’un moment que mon père me disait que les faucons, et encore moins les aigles, ne s’apparient pas avec l’humble linotte. Cherchez quelque dame de la cour, à qui vos attentions feront honneur ; quant à moi, Votre Seigneurie doit me permettre de lui dire la vérité avec franchise, elles ne peuvent que me faire du déshonneur.
Tout en parlant ainsi, ils arrivèrent à la porte de l’église.
– J’espère, milord, dit Simon, que vous nous permettrez ici de prendre congé de vous. Je sais parfaitement que les tourments et les inquiétudes que vos fantaisies peuvent causer à des gens de notre classe ne sont pas capables de vous y faire renoncer ; mais d’après la foule de domestiques qui sont à la porte, vous pouvez voir qu’il y a dans l’église d’autres personnes qui ont droit au respect, et même de la part de Votre Seigneurie.
– Oui, du respect ! et qui en a pour moi ? murmura le jeune seigneur hautain ; un misérable artisan et sa fille, qui devraient se croire trop honorés que je leur accorde la moindre attention, ont l’insolence de me dire que ma compagnie les déshonore… Fort bien, ma princesse de peau de daim et de soie bleue, je vous en ferai repentir.
Tandis qu’il se parlait ainsi à lui-même, le gantier et sa fille entraient dans l’église des Dominicains, et l’apprenti Conachar, en voulant les suivre de près, coudoya, peut-être avec intention, le jeune seigneur. Le galant, sortant de sa rêverie, fâcheuse, et se croyant insulté de propos délibéré, saisit le jeune homme à la poitrine, le frappa et le repoussa rudement. Conachar trébucha et se soutint avec peine, et il porta la main à son côté, comme s’il eût cherché une épée ou un poignard à l’endroit où l’on porte ordinairement ces armes ; mais n’en trouvant pas, il fit un geste de colère et de désappointement, et entra dans l’église. Cependant le jeune noble resta les bras croisés sur sa poitrine, en souriant avec hauteur, comme pour narguer son air menaçant. Lorsque Conachar eut disparu, son antagoniste arrangea son manteau de manière à se cacher encore davantage la figure, et fit un signal en levant un de ses gants. Il fut joint aussitôt par deux hommes qui, déguisés comme lui, avaient attendu ses ordres à peu de distance. Ils parlèrent ensemble avec vivacité, après quoi le jeune seigneur se retira d’un côté, et ses amis ou domestiques partirent de l’autre.
Simon Glover, en entrant dans l’église, avait jeté un regard sur ce groupe, mais il avait pris sa place parmi la congrégation avant que ces trois individus se fussent séparés. Il s’agenouilla avec l’air d’un homme qui a un poids accablant sur l’esprit ; mais quand le service fut terminé, il parut libre de tous soucis, comme s’il se fût abandonné la disposition du ciel, lui et ses inquiétudes. L’office divin fut célébré avec solennité, et un grand nombre de seigneurs et de dames de haut rang y étaient présents. On avait fait des préparatifs pour la réception du bon vieux roi lui-même, mais quelques-unes des infirmités auxquelles il était sujet avaient empêché Robert III d’assister au service, comme c’était sa coutume. Lorsque la congrégation se sépara, le gantier et sa charmante fille restèrent encore quelque temps dans l’église afin d’attendre leur tour pour se placer à un confessionnal, les prêtres venant d’y entrer pour s’acquitter de cette partie de leurs devoirs. Il en résulta que la nuit était tombée, et que les rues étaient désertes, quand ils se remirent en chemin pour retourner chez eux. Ceux qui restaient alors dans rues étaient des coureurs de nuit, des débauchés, ou les serviteurs fainéants et rodomonts de nobles orgueilleux, qui insultaient souvent les passants paisibles, parce qu’ils comptaient sur l’impunité que la faveur dont leurs maîtres jouissaient à la cour n’était que trop propre à leur assurer.
Ce fut peut-être dans la crainte de quelque évènement de cette nature que Conachar, s’approchant du gantier, lui dit : – Maître Glover, marchez plus vite, nous sommes suivis.
– Suivis, dis-tu ? Par qui ? Pourquoi ?
– Par un homme caché dans son manteau, qui nous suit notre ombre.
Je ne changerai point de pas dans Curfew-Street, pour qui que ce soit au monde.
– Mais il a des armés.
– Nous en avons aussi ; et des bras et des mains, des jambes et des pieds. Quoi ! Conachar, as-tu peur d’un homme ?
– Peur ! répéta Conachar indigné de cette supposition ; vous verrez bientôt si j’ai peur.
– Te voilà dans un autre extrême, jeune extravagant ; jamais tu ne sais garder un juste milieu. Parce que nous ne voulons pas courir, il n’est pas nécessaire de nous faire une querelle. Marche en avant avec Catherine, et je prendrai ta place. Nous ne pouvons courir aucun danger quand nous sommes si près de notre maison.
Le gantier se mit donc à l’arrière-garde, et il est très vrai qu’il remarqua un homme qui les suivait d’assez près pour justifier quelques soupçons, en prenant en considération l’heure et le lieu. Quand ils traversèrent la rue, l’étranger la traversa aussi, et s’ils accéléraient ou ralentissaient le pas, il ne manquait pas d’en faire autant. Cette circonstance aurait paru peu importante à Glover s’il eût été seul ; mais la beauté de sa fille pouvait le rendre l’objet de quelque projet criminel, dans un pays où la protection des lois était un bien faible secours pour ceux qui n’avaient pas les moyens de se protéger eux-mêmes. Conachar et sa belle compagne étant arrivés à la porte de leur maison, qui leur fut ouverte par une vieille servante, le gantier se trouva hors de toute inquiétude. Déterminé pourtant à s’assurer, s’il était possible, s’il avait eu quelque motif pour en concevoir, il appela à haute voix l’homme dont les mouvements avaient donné l’alarme, et qui s’arrêta, quoiqu’il semblât chercher à se tenir à l’ombre. – Allons ! allons ! avance, l’ami ! et ne joue pas à cache-cache. Ne sais-tu pas que ceux qui se promènent dans les ténèbres comme des fantômes, sont exposés à la conjuration du bâton ? Avance ! te dis-je, et laisse-nous voir ta forme.
– Bien volontiers, maître Glover, dit une des voix les plus fortes qui aient jamais répondu à une question ; je suis tout disposé à vous montrer mes formes ; je voudrais seulement qu’elles pussent mieux supporter le jour.
Sur mon âme, je connais cette voix ! s’écria Simon. Et est-ce bien toi, véritablement toi, Henry Gow ? Sur ma foi ! tu ne passeras pas cette porte sans humecter tes lèvres. Le couvre-feu n’est pas encore sonné, et quand il le serait, ce ne serait pas une raison pour que le père et le fils se séparassent. Entre, mon garçon ; Dorothée nous servira un morceau, et nous viderons un pot avant que tu nous quittes. Entre, te dis-je, ma fille Kate sera charmée de te voir.
Pendant ce temps, il faisait entrer celui à qui il parlait avec tant de cordialité dans une cuisine qui, à moins d’occasions extraordinaires, servait aussi de salle à manger. Elle avait pour ornements des assiettes d’étain mêlées de quelques coupes d’argent, rangées très proprement sur des tablettes comme celles d’un buffet, vulgairement appelé en Écosse le bink. Un bon feu, aidé par une lampe qui répandait une vive clarté dans l’appartement, lui donnait un air de gaieté, et la saveur des apprêts du souper, dont Dorothée faisait les préparatifs, n’offensait pas l’odorat de ceux dont il allait satisfaire l’appétit.