Chapitre premier

1237 Words
Chapitre premier« C’est le Tibre ! disait un Romain orgueilleux, Voyant couler les eaux du Tay majestueux ; Mais quel est l’Écossais, imitant sa jactance, Qui voudrait, s’il n’était attaqué de démence, Au Tibre, fleuve nain, donner le nom de Tay ? » Anonyme. Si l’on demandait à un étranger intelligent d’indiquer la plus variée et la plus belle de toutes les provinces d’Écosse, il est probable qu’il nommerait le comté de Perth. Qu’on fasse la même question à un Écossais né dans toute autre partie de ce royaume, il est probable que sa partialité lui fera d’abord donner la préférence au comté qui l’a vu naître, mais il accordera certainement la seconde place à celui de Perth ; ce qui donne aux habitants de celui-ci un juste droit de prétendre que, tout préjugé à part, le comté de Perth forme la plus belle portion de la Calédonie. Il y a longtemps que lady Marie Wortley Montague, avec cet excellent goût qui caractérise tous ses écrits, exprima l’opinion que la partie la plus intéressante de chaque pays, celle qui offre dans la plus grande perfection une variété de beautés naturelles, est celle où les hauteurs s’abaissent au niveau des plaines, ou d’un terrain plus uni. C’est là qu’on trouve les montagnes les plus pittoresques, sinon les plus élevées. Les rivières s’échappent en cascades du flanc des rochers, et traversent les défilés les plus romantiques. En outre, la végétation d’un climat et d’un sol plus heureux se mêle aux teintes magnifiques qui caractérisent le tableau de ces régions ; des bois, des bosquets, des buissons revêtent avec profusion la base des montagnes, serpentent le long de leurs ravins, et en couronnent le sommet. C’est dans ces régions favorisées que le voyageur trouve ce que Gray, ou quelque autre poète, a appelé la beauté assise sur les genoux de la terreur. D’après sa situation avantageuse, cette province présente la variété la plus séduisante. Ses lacs, ses bois, ses montagnes, peuvent rivaliser de beauté avec tout ce que renferme le pays des Highlands ; et quelquefois, à peu de distance de ses sites les plus sublimes, le comté de Perth offre aussi des cantons fertiles et peuplés qui peuvent lutter de richesse avec l’Angleterre même. Ce pays a été aussi la scène d’un grand nombre d’exploits et d’évènements remarquables, les uns d’une importance historique, les autres intéressants pour le poète et le romancier, quoiqu’ils ne nous aient été transmis que par la tradition populaire. Ce fut dans ces vallées que les Saxons des plaines et les Gaëls des montagnes eurent mille rencontres sanglantes et désespérées, dans lesquelles il était souvent impossible de décider si la palme de la victoire devait appartenir aux cottes de mailles de la chevalerie des Lowlands, ou aux plaids des clans des Highlands. Perth, si remarquable par la beauté de sa situation, est une ville fort ancienne à qui une vieille tradition attache une importance additionnelle, en la disant fondée par les Romains. Cette nation victorieuse prétendait, dit-on, reconnaître le Tibre dans le Tay, fleuve navigable et bien plus beau que celui de Rome, et ajoutait que la grande plaine connue sous le nom de North-Inch avait beaucoup de ressemblance avec son Campus Martius. Cette cité fut souvent la résidence de nos monarques. Ils n’avaient pourtant pas de palais à Perth, mais le couvent des religieux de l’ordre de Cîteaux suffisait amplement pour les recevoir eux et leur cour. Ce fut là que Jacques Ier, un des plus sages et des meilleurs rois d’Ecosse, succomba victime de la haine d’une aristocratie vindicative. Ce fut là aussi qu’eut lieu la mystérieuse conspiration de Gowrie, dont la scène n’a disparu que depuis peu, par la destruction de l’ancien palais dans lequel cet évènement se passa. La société des Antiquaires de Perth, par suite d’un zèle louable pour tout ce qui a rapport à ses travaux, a publié un plan exact de cet édifice, et y a joint quelques remarques sur les rapports qu’il a avec la relation de ce complot, remarques qui se font distinguer par autant de sagacité que de candeur. Un des plus beaux points de vue que la Grande-Bretagne ou peut-être le monde entier puisse présenter, est, ou nous devrions plutôt dire était, la perspective dont on jouissait d’un endroit nommé les Wicks de Béglie ; c’était une espèce de niche où le voyageur arrivait après avoir traversé, depuis Kinross, une longue étendue de pays inculte et dépourvu de tout intérêt. De ce lieu, formant une passe sur le sommet d’une éminence qu’il avait gravie graduellement, il voyait s’étendre sous ses pieds la vallée du Tay, arrosée par ce grand et beau fleuve, la ville de Perth avec ses deux grandes prairies ou inches, ses clochers et ses tours ; les montagnes de Moncrieff et de Kinnoul s’élevant peu à peu en rochers pittoresques, revêtus en partie de bois ; les riches bords du fleuve décorés d’élégantes maisons, et, dans le lointain, les monts Grampiens, rideau qui termine du côté du nord ce paysage ravissant. Le changement fait à la route, et qui, il faut l’avouer, favorise grandement les communications, prive le voyageur de ce magnifique point de vue, et le paysage ne se développe aux yeux que partiellement et graduellement, quoique les approches puissent en ce être justement admirées. Nous croyons qu’il reste encore un sentier par lequel les piétons peuvent arriver aux Wicks de Béglie, et le voyageur, en quittant son cheval ou son équipage, et en faisant à pied quelques centaines de toises, peut encore comparer le paysage avec l’esquisse que nous avons essayé d’en tracer. Mais il n’est ni en notre pouvoir de communiquer à nos lecteurs, ni au leur de se figurer d’après notre description, le charme que la surprise ajoute au plaisir quand une vue si magnifique s’offre à l’instant où l’on s’y attend le moins et où l’on peut le moins l’espérer. C’est ce qu’éprouva Chrystal Croftangry, la première fois qu’il vit ce spectacle sans égal. Il est vrai qu’une admiration presque enfantine était un des éléments du plaisir dont je jouis alors, car je n’avais pas plus de quinze ans ; et comme c’était la première excursion qu’il m’était permis de faire sur un bidet qui m’appartenait, j’éprouvais aussi une satisfaction résultant du sentiment de mon indépendance, et mêlée de cette sorte d’inquiétude dont ne peut se défendre le jeune homme le plus prévenu en sa faveur, quand il est, pour la première fois, abandonné à ses propres conseils. Je me souviens que je tirai tout-à-coup les rênes de mon cheval pour le faire arrêter, et que je regardai la scène qui se présentait à mes yeux comme si j’avais craint qu’elle changeât ainsi que les décorations d’un théâtre, sans me laisser le temps d’en examiner distinctement les différentes parties, et de me convaincre que ce que je voyais était réel. Depuis ce moment, et il y a maintenant plus de cinquante ans qu’il est passé, le souvenir de ce paysage sans rival a exercé la plus vive influence sur mon esprit ; c’est pour moi une époque à laquelle je reviens souvent quand la plupart des évènements qui ont influé sur ma fortune se sont effacés de ma mémoire. Il est donc naturel que, lorsque je délibérais sur le choix du sujet que j’offrirais au public pour son amusement, j’en aie pris un ayant quelque rapport au beau spectacle qui avait fait tant d’impression sur ma jeune imagination, et qui peut-être produira, relativement aux imperfections de mon ouvrage, le même effet que les dames attribuent à de belles tasses de porcelaine relevant, suivant elles, la saveur d’un thé médiocre. L’époque à laquelle se rattache mon ouvrage remontera pourtant beaucoup plus haut qu’aucun des évènements historiques et remarquables auxquels j’aie déjà fait allusion ; car les faits dans le détail desquels je vais entrer se sont passés pendant les dernières années du quatorzième siècle, lorsque le sceptre de l’Écosse était entre les mains du bon mais faible roi John, qui régna sous le nom de Robert III.
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