Je me retrouve une fois encore dans la pièce laboratoire de l'homme à lunettes. La caméra en haut à droite suit tous mes faits et gestes, tandis que le rond rouge clignote et m'apprend qu'elle marche bel et bien. Je m'assieds sur la chaise que l'homme à lunettes me présente non loin de son bureau. Ils ont dispersé leurs meubles et objets différemment des autres jours et ça attise ma curiosité, mais je me reprends vite. Je sens une douzaine de regards devant moi et je regarde la vitre/miroir qui me fait face.
- Aujourd'hui, nous allons te faire passer le test des odeurs, dit-il avec douceur. Nous allons t'attacher et voir comment tu réagis à ces différents parfums.
Je hausse les épaules et deux hommes en noir avec leurs visages de marbre m'accrochent à la chaise avec des cordes. Je me demande pourquoi ils s'en donnent la peine car je peux les enlever sans problème jusqu'à ce je comprenne qu'une fois mise, que ma peau brûle à leur contact. Elles sont trempées dans du Phyllobate. Je lève les yeux au ciel, tout ça m'exaspère.
- Tu veux savoir à quoi nos tests vont servir ? Me demande-t-il, d'un regard de fou.
- Je m'en fous.
- Je vais te le dire quand même, ça va nous permettre de savoir si tu es une expérience réussie. Nous allons étudier tes aptitudes face à ces différentes odeurs et nous permettre ainsi de savoir si tu pourras suivre nos ordres à la lettre plus tard, quand tu seras prête.
Je lève les yeux au ciel encore une fois, j'avais bien dit que je m'en foutais.
- Ne t'inquiète pas, si tu ne réussis pas, nous avons d'autres projets.
- Je m'en fous.
Il hausse les épaules et avance vers son bureau blanc. Un homme en noir arrive à ce moment-là et dépose un gros récipient qui paraît lourd sur la table. Il me dévisage avant de partir et je le suis méchamment des yeux. L'homme à lunettes se met un masque sur son nez, prend son carnet et son stylo et démarre un minuteur en même temps qu'il enlève le couvercle du récipient.
Une odeur métallique me vient au nez et embaume toute la pièce, une odeur de fer qui agresse mon odorat. Je vois mes pupilles se dilater dans le miroir en face de moi et je comprend qu'il s'agit de l'odeur du sang. J'esquisse un sourire et me détends sur mon siège. C'est tout de même marrant hormis le tic-tac du minuteur qui résonne dans mes oreilles.
Que croyait-il ? Que j'allais me jeter dessus ? L'homme à lunettes griffonne sur son carnet et après dix minutes, le minuteur sonne et m'agresses. Un grondement sort du fin fond de ma gorge. Je n'aime pas se bruit. Un autre homme en noir apporte soudain un nouveau récipient et ressort avec celui du sang. Cette fois-ci, j'ai droit à une bonne odeur de viande grillée et j'en ai l'eau à la bouche. Je hume l'air et sens une pointe de sel et de persil qui se mêle à la bonne viande. Je me laisse retomber dans la chaise qui me retient avec les cordes de Phyllobate. Je sais très bien qu'ils ne sont pas là pour me donner une bonne chose à manger.
Le test se poursuit et ce coup si, les morceaux de viande sont crus, je ne fais aucun geste même si au fond de moi je meurs d'envie de planter mes dents dans la chair fraîche. Je souffle un coup et me retiens de ne pas me libérer de mes liens. Je regarde mes poignets et vois des filets de sang tomber par terre. La corde commence sérieusement à me faire mal. Je relève les yeux et un nouveau récipient me fait face. Il enlève le couvercle et une odeur de viande avariée m'agresse et me donne un élan de recul. Je coupe ma respiration et attends que les dix minutes atroces passent au plus vite. Je respire par la bouche, mais l'odeur de pourriture atteint quand même mon nez. Horrible. Je me sens soulagée quand les dix minutes sonnent et qu'une odeur d'herbe coupée remplace l'horrible odeur de viande avariée.
L'odeur est fraîche et déclenche en moi une envie de liberté. Je renifle et je sens que cette odeur ne me déplaît pas mais je n'en montre rien. L'odeur est ensuite remplacée par celle d'un fruit et plus précisément, celle du citron. Je me souvient de se fruit. Je ferme les yeux. Ça me donne juste envie de me relever et de lui fourrer le chaudron sur la tête. Je retrousse mes narines et essaie de respirer par la bouche. L'odeur est trop forte et se faufile dans tous mes membres. Elle est tellement acide et fine que j'ai l'impression d'en manger. L'odeur du poisson me vient quand les dix minutes suivantes son passées.
L'odeur est forte et un peu nauséabond avec une odeur salée qui vient pimenter le tout. Et après celle du poisson, je sens une odeur acide de transpiration qui me dégoûte. Je ne bouge pas de mon siège et attends que tout le monde ait fini de jouer avec mon nez. Je saigne encore un peu plus là où les cordes grattent ma peau et je soupire de mécontentement. Quand le test est fini et que les hommes en noir me détachent, je regarde ma peau se refermer doucement.
- Je dois te dire que tu as passé tous les tests avec succès. Tu m'impressionnes. La plupart de nos expériences qui ont le même dosage que toi ont voulu se détacher pour tout goûter ou sont devenus incontrôlables. D'autres encore se sont mis à pleurer, ou d'autres...
- Je vous l'ai déjà dit, je m'en fous.
Il me regarde un instant puis regriffonne dans son carnet.
- Très bien, très bien. Vous pouvez l'emmener.
- Test des odeurs, je dis à mes deux acolytes couchés par terre sur le dos.
- À quoi ça va leur servir ?
- Je pense que le jour où les meilleurs d'entre nous seront aptes à travailler avec eux, ils veulent savoir si une quelconque odeur ne nous fera pas dévier d'une mission. Par exemple, s'il y a un mort et qu'une personne comme nous ne peut pas se retenir de lui sauter dessus.
- Mais c'est répugnant ! Dit Douze en faisant la grimace.
- Je ne travaillerai pas pour eux de toute façon, dit Quatorze.
Je hausse les épaules, je m'en fous de ce qu'ils pensent.
- Pourquoi te font-ils passer les tests avant nous ? Demande Douze.
Je réfléchis.
- Je ne sais pas et je m'en fous mais si tu veux vraiment savoir, je crois qu'il est question de... dosage, dis-je en repensant au mot de l'homme à lunettes.
- Dosage ? Dit Quatorze en écarquillant les yeux.
- Ouais.
- Dosage de quoi ?
- Je m'en fous.
Il fronce les sourcilles.
- Que nous ont-ils fait putain...
- Rendu fort et invincible, dis-je dans un sourire. Et sans émotion.
Douze se retourne soudain vers moi.
- Sans émotion ?
Je plie mes bras derrière la tête et ne réponds pas. J'attrape une mèche de mes cheveux et joue avec un moment. Je sens que Quatorze et Douze se regardent puis soudain la porte de Douze s'ouvre et elle se relève doucement, effrayée.
- Apparemment, c'est à son tour, dis-je dans un murmure.