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937 Words
J'ai dû dormir longtemps par terre, car deux plateaux me font face quand j'ouvre les yeux. Je me relève et m'étire. J'ai cicatrisé. Je dois dire que ça a été vite fait. Je prends le miroir et arrive à voir que les traces de fouet ne se sont pas estompées. D'un côté tant mieux, les cicatrices de guerre sont toujours bonnes à avoir. Je mange la pâte cuite beige qui se trouve sur le plateau sans envie. Je me mets sur le dos même si c'est désagréable et je m'amuse à la lancer en l'air. - Tu t'amuses bien ? Le garçon de la dernière fois. Je lève les yeux au ciel et le regarde méchamment. - C'est toujours bon d'avoir des amis dans des moments pareils. - Amis ? - Oui, tu sais, des personnes que tu aimes bien ? - Aimer ? - Ou des personnes en qui tu peux avoir confiance. Je ne réponds pas. - Ce qu'ils t'ont fait à toi est bien plus fort que nous autres, dit-il enfin. Je ne réponds pas. - Tu sais, tu as dormis pendant deux jours.  Je ne réponds pas. - Ils te font passer quoi comme test à toi ? - Ils me posent des questions. - Hum hum, on est tous dans le même cas. Mais pourquoi ? - Les questions parasites je n'en veux pas, je ne me pose pas ce genre de truc. - C'est toi qui vois, mais moi, je m'interroge. - Moi aussi, fait soudain la voix de l'autre côté. On se retourne tous les deux vers la fille aux yeux gris bestiaux. Ses longs cheveux blonds emmêlés lui tombe sur ses joues trempées de larmes. Je relève les yeux au ciel. - Savez-vous seulement comment vous vous appelez ? - Numéros treize, dis-je sans hésitation. - Non, ton vrai nom. Mon vrai nom ? Je ne me suis jamais posée la question. - Non, fait enfin le garçon. Je ne m'en souviens pas. Je soupire en regardant les néons. - Appelez-moi Quatorze pour le moment. - Et moi Douze, dit la fille en reniflant. On reste couché sur le dos dans nos cellules respectives sans rien dire, leurs respirations régulières m'apaisent. Je regarde Douze couchée à ma gauche, elle a l'air d'être de grande taille et de fine silhouette. Sa peau blanche se noie dans le sol en marbre et je remarque une larme transparente glissée le long de sa joue. J'ai l'impression qu'elle a froid car il y a des milliers de petits boutons qui apparaissent et disparaissent de son bras où il y a son tatouage de lierre. - As-t-on une famille qui nous cherche quelque part ? Dit-elle dans un murmure. - Sans doute. J'en suis sûr, dit Quatorze. Je le regarde à son tour, lui, semble décontracté, les bras pliés derrière la tête, les yeux fermés. Il respire doucement. Sa peau est aussi blanche que Douze et moi. Son ventre monte et descend au rythme de sa respiration. - Même si on est dans le brouillard et que je n'ai pas les idées claires, j'ai des flash-backs de ma vie d'avant, dit-il. - Comment c'est ? Demande Douze. - Je ne sais pas trop... c'est assez flou en fait. Mais je sais que j'avais un travail... un travail qui me plaisait... et je crois que c'était dans une entreprise familiale. Je me vois en train de sourire et de faire des blagues à des personnes devant moi. - C'est triste ... pourquoi sommes-nous la... dit Douze. - Oui... c'est triste... mais je me raccroche à cette chaleur en moi. En ces souvenirs. Sinon, à quoi bon rester en vie... Mince alors, s'il avait une vie bien avant ? Ai-je été quelqu'un de bien moi aussi ? Ils me font trop penser et tous se chamboulent dans ma tête. Il faut que j'arrête, ça ne sert à rien. Avant, c'est le passé, c'est fini, ça n'existe plus, pourquoi s'y raccrocher ? C'est une perte de temps, il faut avancer. Moi, je ne me rappelle de rien, je ne ressens rien. Je suis Treize, on m'a appelé Animal et Monstre, c'est donc ce que je dois être. Même si l'homme qui m'avait parlé dans mon cercueil de verre ne m'inspire rien, ne me fait rien ressentir à part que je ne l'aime pas, c'est mon créateur, c'est lui qui m'a donné la vie, ma force et mon invincibilité, je lui dois ça, je lui obéirai. - Le passé, c'est le passé, ça parasite le présent ! Dis-je d'un ton menaçant. - à quoi t'accroches-tu alors ? - Mon créateur sera celui qui décidera. - Qui est ton créateur ? - Le même que le tien, celui qui nous a donné notre force et notre invincibilité. - Je ne l'ai jamais vu... Et je ne suis pas invincible. - C'est lui que nous devons écouter. - Comme un animal ? - C'est comme ça que l'on m'a appelé la dernière fois. - Tu n'es pas un animal Treize, me dit soudain Douze. Pourquoi je parle avec eux ? Je m'en fous de ce qu'ils pensent de toute façon. Ils ne comprennent rien. Bon... c'est vrais, moi non plus, mais à quoi bon s'attacher à des rêves, à des chimères. On est là, point final. Nous verrons bien ce qui se passera plus tard. Le présent c'est tout ce qui compte. Tant que moi je survis, tout va bien. Le reste, je m'en fous. Si quelqu'un doit mourir, qu'il meure, mieux vaut lui que moi. Je me relève et je vais me coucher sur le lit sans rien rajouter.
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