- Qu'est-ce que tu écris ? Me demande une voix masculine dans le couloir.
Je relève la tête et constate que c'est le jeune homme de la chambre 6B qui me parle.
- Oh ! Euh… C’est mon journal. J'ai besoin de retranscrire mes questions, mes doutes, mes joies, mes peines… Je ne le quitte plus depuis que je l'ai commencé.
- Intéressant, rit-il. Chacun ses hobbys. Moi, c'est Tayron, je suis en deuxième année d'art de la scène.
- Enchantée, moi, c'est Kristen, je vais commencer ma première année.
- Ravi de te connaître, surtout n'hésite pas si t'as besoin de quelque chose, je suis là.
- Merci c'est gentil.
- Qui est ce charmant garçon ? Me demandent tout à coup mes sœurs qui s'étaient rapprochées pour voir à qui je parlais.
- Bonsoir, Mesdames, moi c'est Tayron, étudiant de deuxième année, se présente-t-il en venant leur serrer la main.
- Tayron, je te présente deux de mes sœurs aînées, Sara et Magdalena.
- Deux ? Pourquoi tu en as combien ?
Dommage, moi qui croyais que j'étais en train de me faire un ami… Me dis-je intérieurement.
- Euh… Nous avons encore cinq sœurs…
Il réfléchit quelques secondes. Bon ou mauvais signe ?
- Huit ? Non, c'est une blague ! Vous êtes vraiment huit filles ?
Il a baissé le ton, en me demandant ça pour ne pas ameuter tout l'étage. Je trouve ça très attentionné de sa part. Je lui fais signe que oui.
- Eh ben ! Votre père doit être au moins ministre pour pouvoir te payer une université pareille… Sans vouloir t’offenser.
Ouf, pas le temps de lui répondre maintenant, le doyen nous coupe.
- M. Quinn. Ravi de vous revoir parmi nous cette année…
Ensuite, ce sera mon tour.
J'espère que je pourrai me faire des amis sans que l'on me regarde de travers à cause de ma famille. Je n'ai pas honte, je n'ai jamais eu honte. Ma famille est vraiment extraordinaire et parfaite à mes yeux, je l'aime plus que tout. Mais je sais que nous avons beaucoup été le sujet des railleries et chuchotements de la ville ; je n'ai pas envie que ça recommence ici et je ne veux surtout pas mentir pour m'intégrer. À quoi bon sinon, puisque les gens ne me connaîtront pas vraiment et ne m'aimeront pas pour ce que je suis. Parce que je veux que l'on voit à travers moi, tout ce que ma famille si particulière m'a apporté !
- Est-ce que ça va Kristen ?
Sara s'inquiète. Je le lis sur son visage. Mais c'est plus profond que cette discussion…
- Ne t'en fais pas Sara. J'espère juste pouvoir me faire des amis qui m'acceptent avec la famille d'où je viens, parce que sinon, plutôt être seule, même si j'avoue que ça me fait peur…
TOC, TOC.
- Mlle Dickinson ?
- Oui, c'est moi.
- Bonjour Kristen, je suis M. Fergus le doyen de cet établissement. Voici Nathalie, la surveillante de cet étage. Elle n'est là que par principe, mais si elle peut vous aider, vous la trouverez à l'entrée du couloir. En cas d'urgence, si elle est absente, vous trouverez son numéro de bipper sur la liste des numéros importants, que voici.
Un bipper… Je ne savais même pas que cela existait encore en dehors des hôpitaux…
Pendant que je regarde la liste des numéros, où se trouve celui de la surveillante, l'infirmière et le médecin (en cas de problème plus important), entre autres numéros destinés à des tâches qui s'avèrent plus techniques, le doyen s'adresse à mes sœurs.
- Mesdames, vous êtes de la famille ?
- Je suis Sara Rives et voici Magdalena Becker, nous sommes les sœurs aînées de Kristen, ainsi que les personnes à contacter en cas de besoin. C'était trop de route pour notre mère, de plus nous avons encore des sœurs à la maison, alors…
- Parfait, dans ce cas bienvenue Kristen, on espère que tu te plairas parmi nous malgré la distance et que tu te sentiras comme chez toi. Je crois savoir que tu as une voiture ?
- Oui, en effet…
- Je t'informe quand même qu'il y a des navettes régulièrement pour aller en ville, on ne sait jamais. Tu es bien sûr libre d'aller et venir comme tu le souhaites. Ta présence est obligatoire aux cours magistraux que tu auras choisis et bien sûr aux examens, dont les dates seront inscrites sur le tableau près de l'accueil. Donc aucune excuse pour ne pas être au courant. Pour terminer, cette chambre t'appartiendra tant que tu garderas ton niveau, bien évidemment chaque année la barre de niveau est ajustée en fonction de la difficulté des études. Voilà, est-ce que tu as des questions ?
- Oui, juste une, pour les repas, comment ça se passe ?
- Oh ! Oui, pardon ! J'ai oublié vos cartes pour le réfectoire, et aucun des élèves ne me l'a fait remarquer ! Les repas sont pris en compte dans le prix de votre année, vous devez simplement payer avec la carte que l'on vous donnera, et ce, dans n'importe quel site de restauration du campus. Je dois finir de voir quelques élèves, mais vous voudrez bien m'accompagner tout à l'heure et vous remettrez à vos camarades leurs cartes ?
- Oui bien sûr, sans problème.
- Bon, et bien dans ce cas, je repasse dans un quart d'heure.
À peine le temps de m'affaler quelques secondes sur mon lit, que l'on frappe à nouveau à ma porte.
- Tayron ?
- Alors, tu penses quoi du doyen ?
- Sympa, je crois que je me le suis mis dans la poche.
- Déjà ?
Attention les filles, je crois que Tayron est un charmeur, mais j'adore son petit sourire en coin avec son air de « je ne te crois pas ».
- Eh, oui. Il m'a demandé d'aller récupérer nos cartes de restauration dans son bureau et de les distribuer moi-même. Alors si t'as faim, tu devrais venir avec nous, parce que je t'avoue que ma priorité, c'est mon estomac, les autres attendront peut-être encore un peu...
Il rit aux éclats et ma sœur m'a mis un coup de coude dans les côtes, qui valait mieux que n'importe quel sous-entendu.
- Eh bien Kristen, on dirait que vous avez commencé à faire connaissance avec vos camarades ! Tayron, n'embêtez pas trop cette demoiselle…
- Oui m'sieur.
Nous avons donc quitté ma chambre pour suivre M. Fergus dans son bureau. Mes sœurs sont restées un peu en arrière, j'ai bien compris qu'elle me laissait prendre mon envol… Le doyen m'a remis seize cartes, j'ai empoché la mienne et j'ai donné la sienne à Tayron. En regardant ma montre, j'ai constaté qu'il était déjà presque vingt heures et qu'il valait mieux que je remonte pour ne pas priver les autres d'un bon repas ce soir.
- Je peux t'accompagner ? Me demande Tayron, tandis que mes sœurs me font comprendre qu'elles m'attendent dehors.
- Si ça ne te fait pas peur, ce sera avec plaisir ! Lui dis-je avec un sourire qui m'a semblé très épanoui.
Tayron est très joli garçon. Il est blond, avec des mèches naturelles de différentes nuances, les cheveux qu'il coiffe en pétard, de beaux yeux d'un bleu très clair, avec une symétrie du visage parfaite. Mais je ne sais pas quoi penser de lui, j'espère avoir le temps de le connaître davantage. À première vue, c'est un séducteur, mais ce n'est peut-être qu'une apparence…
Oh, la, la ! Je ne vais pas m'y faire à ces escaliers ! Ils auraient pu mettre un ascenseur… Dis-je complètement essoufflée en arrivant en haut. Comment tu fais, t'as même pas l'air épuisé !
- T'inquiète, on s'y fait. Aller distribue vite tes cartes qu'on aille manger.
J'allais frapper à la première porte quand Tayron s’est mis au milieu du couloir et a hurlé « Cartes de self ! » Dix secondes plus tard, tout le monde était sorti. Je les ai appelés par leur numéro de chambre (parce que c'est tout ce qu'il y avait sur la carte) jusqu'à ce qu'il ne me reste plus que la 9B.
- Est-ce que quelqu'un aurait une enveloppe, s'il vous plaît ?
- Moi, je dois en avoir une, me dit Tayron.
- Alors là, tu m'impressionnes ! Même moi qui suis une fille plutôt prévoyante, je n'en ai pas…
Quand il m'a donné l'enveloppe, dans laquelle j'ai glissé la carte, j'ai dû détourner le regard, parce que le sien était bien trop attendrissant et je ne voulais pas rougir pour une broutille. J'ai collé l'enveloppe et l'ai coincée dans l'encadrement de la porte, après avoir essayé sans succès de la glisser dessous. Puis, nous sommes redescendus.
- Alors, dis-moi, il fait quoi ton père, pour pouvoir te payer cette université en ayant huit filles ? Parce que je dois t'avouer que ça m'intrigue. Mon père est un avocat réputé et ma mère est la PDG d'une grande entreprise ; et ça n'a pas été facile de trouver le budget pour m'inscrire ici !
- Promets-moi de ne pas être méchant.
- Pourquoi le serais-je ?
- Promets, dis-je sur un ton un peu ferme en stoppant net dans l'escalier.
- D'accord, je te le promets.
- Je ne connais pas mon « père ». Mais il a toujours pourvu aisément à nos besoins.
J'ai bien vu que ma façon de prononcer le mot père avait interpellé Tayron, mais nous arrivions en bas et il a eu la délicatesse de ne rien dire et de ne pas insister pour le moment.
- Il y a une petite cafétéria sur le campus, si ça vous tente. En plus, le soir, ils font crêpes à volonté ! Ça vous permettra de découvrir le campus au calme, parce qu'à partir de demain ça va être un vrai champ de bataille.
- Oui, bien sûr, avec plaisir, répond Mag. D'autant plus que nous repartons demain, donc nous n'aurons peut-être pas le temps de visiter les lieux avec Kristen.
- Mais Mag, tu avais dit que vous resteriez quelques jours !
- Je suis désolée ma chérie, mais Lincoln m'a appelé et je dois rentrer plus tôt que prévu.
- Pourquoi, que se passe-t-il ?
- Rien de grave, je te le promets, je te tiens au courant dès que j'en sais plus. Allons manger, il se fait tard.
Je viens de rentrer. Nous avons passé une très bonne soirée, ensuite, j'ai raccompagné mes sœurs jusqu'à la voiture, leur ai souhaité une bonne nuit, avant qu'elles ne partent pour la ville, où elles avaient réservé une chambre, plus tôt dans la journée, dans un petit hôtel. Tayron est resté avec moi, nous sommes remontés ensemble. À mi-chemin, je me suis arrêtée. Je crois que mon asthme me fait à nouveau souffrir, mais heureusement, il me semble avoir assez de ventoline pour la semaine. Rendez-vous chez le médecin à prévoir. Mais évidemment, je n'en avais pas sur moi ce soir. Alors pour rigoler, Tayron m'a pris sur son dos jusqu'en haut. Ça m'a paru lui être assez simple, il était à peine essoufflé.
- Je parierais presque que tu es dans l'équipe de foot, lui dis-je en rigolant.
- Et tu n'aurais pas tort, m'a-t-il répondu avec le même sourire charmeur que plus tôt dans la soirée.
- Tayron, mon pote ! Alors comme ça, t'as déjà une nouvelle conquête ! T'aurais pu me prévenir ! Lance un type qui n'avait strictement rien à faire à notre étage.
- Pourquoi, tu comptes ?
- Merci de ne pas me mêler à vos histoires, me suis-je légèrement emportée en forçant le passage pour rejoindre ma chambre.
- Salut poupée, moi, c'est Blaise… Se présente le type en me suivant.
- Laisse-la Blaise, elle n'est pas faite pour toi ! Continue Tayron en passant son bras autour de mes épaules.
Eh ben, la fac ça commence bien… Duel de mecs… Pff. En plus, le fameux Blaise est plutôt flippant.
- Aller ! S'te plaît ! Insiste-t-il.
À ce moment-là, nous étions devant la chambre de Tayron, je m'étais collé à lui, essayant de me glisser dans son dos pour me cacher tellement l'autre me faisait peur et me dégoûtait. Il regardait sévèrement l'autre gars, puis contre toute attente, il m'a regardé avec tendresse et m'a embrassé. J'étais tellement surprise, que sur le coup, je n'ai rien dit. Vexé, Blaise est parti. Quand il a disparu dans l'escalier, je me suis retournée vers Tayron, je l'ai repoussée parce qu'il me tenait toujours dans ses bras, et là, j'ai explosé.
- Pourquoi est-ce que tu as fait ça ?
- Parce que je suis très jaloux et que je ne voulais pas que tu sortes avec ce type…
Il avait les yeux d'un innocent qui se faisait engueuler.
- Premièrement, tu n'avais pas le droit ! Et puis qui es-tu pour te permettre de faire des choix à ma place ? Personne ne dirige ma vie ! Deuxièmement, ce type ne m'intéresse pas, il est moche, écœurant et carrément flippant ! Comment as-tu pu t'imaginer une chose pareille ? Mais enfin, pour qui tu me prends ?!
J'en avais les larmes aux yeux, je n'arrivais même pas à ouvrir ma porte, j'ai fait tomber mes clés par terre. Tayron, toujours là et aux petits soins, me les a ramassées et m'a ouvert la porte avant d'aller dans sa chambre qui est juste à côté. J'ai pris mon pyjama et mes affaires de toilette et j'ai filé à la douche. En revenant, j'ai croisé Tayron.
- Kristen, je…
- Tayron, ce n’est pas le moment, je suis fatiguée, on en parlera plus tard. Bonne nuit.