Nous avons roulé encore deux bons kilomètres environ, dans l'air frais de cette épaisse forêt, puis elle s'est éclaircie. Le soleil qui commençait à descendre, illuminait les clairières que l'on apercevait derrière les arbres. Juste après un léger virage à gauche, nous avons découvert le parking et l'énorme bâtiment principal que constitue l'université. Une véritable merveille médiévale, où le symbole de l'université trône au-dessus de la grande porte de bois. Des bâtiments, plus petits, mais de même architecture, sont érigés à côté et sur l'arrière du bâtiment principal. On peut les apercevoir depuis le parking sur lequel nous nous sommes arrêtées, réservé aux visiteurs, le temps d'aller finaliser mon inscription et d'enregistrer mon arrivée.
Sur le parking réservé aux étudiants résidents dans le bâtiment principal, j'ai pu remarquer de splendides voitures dont une Porsche, une BMW, une Ferrari, et même une Lamborghini ! ! J'ai là, la confirmation que c'est une école de petits - voir de gros - privilégiés. Reste à voir si c'est bien ou mal d'être de ce côté de la barrière. Mais pour l'heure, je suis incapable de déterminer l'ampleur de la chance que j'ai d'être ici, et mes yeux ne s'en plaignent pas de voir tant de luxe. C'est comme dans un rêve !
Avec la chaleur qu'il fait aujourd'hui, les portes sont grandes ouvertes. Dans le hall, il y a deux imposants escaliers en pierre de taille, certainement d'origine, l'un mène aux amphithéâtres dans l'aile gauche pour les examens qui ont lieu dans ce bâtiment, l'autre mène aux chambres, dans l'aile droite, distribuées sur trois étages. Au premier et au deuxième étage, se trouvent les dortoirs ; au troisième, les chambres individuelles.
Après le hall d'entrée, au rez-de-chaussée, il y a l'administration. Un long couloir où l'on peut trouver sur la gauche : l'accueil, qui pour information, et bon à savoir, est ouvert de sept heures à vingt-trois heures, l'infirmerie et le bureau de l'adjoint du doyen ; sur la droite : le bureau du doyen, le secrétariat et l'intendance. Au fond, en face, il y a une porte, mais peut-être juste décorative, ou alors c'est un placard vu qu'il n'y a pas d'écriteau dessus.
Le couloir est bondé d'élèves, de parents et de valises. Mes sœurs ont l'air bien plus stressées que moi.
- Oh, la, la ! Et si on n'était pas arrivé assez tôt ! Et si ça ne se passe pas comme prévu... Ne cesse de répéter Mag.
- Ça va aller, j'en suis sûr… Lui répond systématiquement Sara, en essayant de se persuader elle-même sans grande conviction.
Je vais prendre un numéro (comme chez le boucher) et j'évite de les regarder en attendant mon tour. C'est simple de reconnaître les nouveaux étudiants et ceux qui sont là depuis quelque temps. Les anciens sont rapides, foncent dans le tas et savent où ils vont. Mais ils n'ont pas l'air très nombreux. Les nouveaux paniquent, les parents s'en mêlent, ils sont perdus entre les bagages et le plan du campus et tournent en rond parce qu'ils ne savent pas où ils vont. Et moi, je suis au milieu, calme et presque détendue, parce que la seule chose qui me dérange, c'est cette impression que tout était prévu, que l'on m'attendait, la sensation d'être chez moi, même si, je finirai par être seule sans ma famille à mes côtés.
Quand c'est mon tour, je fais face à une femme d'une cinquantaine d'années, très maigre, avec des cheveux bruns grisonnants et tirés en arrière pour former un chignon, et une affreuse paire de lunettes ovales qui remontent en pointe sur les côtés, de couleur léopard. Un cordon de perles dorées accroché à chaque branche couronne cette énorme faute de goût. Sur sa poitrine, est attaché un badge, indiquant son nom : Mlle Bruce. Elle me demande d'une voix robotique mon nom et mon prénom, puis, après avoir sorti mon dossier, me donne quelques papiers que je complète rapidement pour ce dernier. Ensuite, contrairement à toute attente, elle me sourit en me remettant un petit carton bleu, où est inscrit en caractères gras 2.8B, ainsi qu'un plan du campus et de l'université et me souhaite la bienvenue d'une voix douce et agréable. C'était très étrange. Je ne vais pas m'en plaindre, mais en quel honneur ai-je droit à cet accueil quand on voit comment elle renvoie les autres élèves avec cette humeur de chien ?
- Rendez-vous à l'intendance avec ce carton, M. Rodriguez vous donnera vos clés. N'hésitez pas à revenir si vous avez d'autres questions, Mlle Dickinson.
Je la remercie donc chaleureusement et me dirige vers l'intendance en essayant d'éviter tant bien que mal de marcher sur les sacs et valises qui encombrent le couloir (comme s'ils n’avaient pas pu attendre pour sortir leurs bagages ! Il faut croire que tout le monde n'est pas doté de bon sens...) tout en me frayant un passage entre les élèves.
L'intendance est quasi déserte comparée à l'accueil. M. Rodriguez me remet un trousseau de trois clés.
- Pour commencer, si vous avez besoin de vous adresser à moi, appelez-moi M. R, je déteste que l'on m'appelle par mon nom, me dit-il. Voici vos clés. C'est simple, la plus petite est celle de votre chambre, le numéro est gravé dessus, la plus grosse est celle de la grande porte, qui est nécessaire seulement si vous rentrez après vingt-trois heures. Et cette carte, avec le petit bouton dessus, c'est le badge de votre place de parking. Bonne rentrée.
Il me tourne le dos pour s'occuper de l'élève suivant. Rapide et efficace. Je comprends mieux pourquoi il n'y a pas grand monde dans la file. Je le remercie et retourne voir mes sœurs, à qui j'avais conseillé de m'attendre afin d'éviter de traverser la cohue, sans savoir s'il m'a entendu. Elles sont toutes excitées avec le sourire jusqu'aux oreilles. Et avant que j'aie pu ouvrir la bouche, Sara met ses mains sur mes yeux et Magdalena me prend la main pour me guider.
- Tu te souviens que je t'ai dit qu'une surprise t'attendait à Newport Coast ?
- Oui, bien sûr, mais on ne peut pas attendre d'être dans ma chambre, plutôt que de me ridiculiser devant tout le monde ?
- Je crains que ça ne rentre pas dans ta chambre, glousse Sara derrière moi.
Elles m'entraînent dehors, devant le parking réservé aux étudiants, où il ne reste que deux places de libres, dont l'accès est bloqué par une grosse borne.
- Je peux voir tes clés ? Me demande Mag, me les prenant des mains, sans attendre un instant que je lui réponde.
Elle enlève le petit film de protection bleu, qu'il y a sur le badge. On peut à présent lire 2.8B inscrit dessus. Quand elle appuie sur le petit bouton, le voyant d'une des grosses bornes des places de parking se met à clignoter et la borne s'enfonce lentement dans le sol. Quelques instants plus tard, un coupé cabriolet signé Mercedes, d'un rouge vif de carrosserie et intérieur cuir beige, flambant neuf, vient se garer. Un chauffeur en sort et me demande si je suis bien Kristen Dickinson, et en réponse à mon geste affirmatif, il me tend la clé.
- Mm… Merci, bégayé-je.
- Tout le plaisir est pour moi, me répond-il avec un grand sourire, avant de s'en aller dans le taxi qui l'avait suivi.
- SURPRISE ! Hurlent alors mes sœurs.
Je reste bouche bée.
- Alors ? Elle te plaît ? Me demande Sara en me secouant, brûlante d'impatience.
- Oui ! Bien sûr, mais les filles, vous êtes folles, elle a dû coûter une fortune !
- Ne t'inquiète pas pour ça, me dit Sara, sur un ton que je ne connais que trop bien. Il fallait que tu puisses te déplacer à ta guise, que tu sois libre. Comme ça, tu n'auras pas besoin de te soucier d'un a********t pour prendre le bus ou d’être tenue par les horaires ! D'après ce que j'ai compris, c'est très mal desservi par les transports en commun ici.
Il était clair que notre géniteur devait être derrière la bourse ! Et c'était pour moi un mystère de plus, car aucune de mes sœurs avant moi n'avait eu un cadeau d'une telle valeur, mais qui oserait le refuser ? Pas moi ! Plus maintenant en tout cas. Avant, j'avais une sainte horreur de faire une différence avec mes sœurs, comme Carolyne. Mais là, je serai seule et j'avoue que je ne veux pas refuser le meilleur confort de vie. Je suis donc montée à bord de mon bolide, pour l'admirer. J'en ai profité pour refermer la c****e, parce qu'il s'avère que dans la région, il pleut très peu en journée, mais souvent la nuit et ce serait dommage de l’abîmer ! Il y a le lecteur CD, prises USB, GPS et lecteur DVD incorporé dans les appuis-tête pour l'arrière et tout plein de petits bonus dont je ne connais pas l'utilité. Une bonne dizaine de personnes s'est rapprochée pour le plaisir des yeux. Cela n'a pas eu l'air de choquer quiconque de voir un tel engin dans les mains d'une jeune étudiante, d'autant plus qu'elle n'est pas la plus tape à l’œil du parking. La Ferrari est également rouge, la Lamborghini est jaune et j'ai même trouvé une Mustang rose !