‡Chapitre 15 : Mindmess (2)‡

2554 Words
– Kaya, c'est toi là-haut ? Nom d'un... ! Qu'est-ce que tu fais ? Ça fait une heure que je suis parti à ta recherche. Kaya ne pouvait pas plus reconnaissante d'entendre une voix familière et jure qu'elle ne pouvait pas rêver d'un meilleur sauveur. L'érosion avait emporté une bonne partie de la terre déjà fragile. À cause de ça, elle s'était retrouvée suspendue à plusieurs mètres du sol. Elle serra sa mâchoire avant de tenter une réponse. – J'essaie de m'accrocher à la vie, si ça ne se voit pas. – Tu m'envoies ravi, répliqua celui-ci en se rapprochant précipitamment. Pendant un moment, j'ai cru que tu tentais de faire un truc stupide. Il se tint juste en dessous d'elle et tendit les bras, une invitation plutôt risquée, mais pas pour eux. – Des risques, je sais en prendre mais je ne suis pas désemparée au point de vouloir me suicider, si c'est ce que tu veux dire. Kaya se balança légèrement avant d'arracher brusquement la lance, entamant ainsi sa chute libre avec un atterrissage plus ou moins sûr. À son avis, elle n'a pas à s'en faire, de toute façon, leurs réflexes ont déjà été plusieurs fois mis à rude épreuve. Akkun ne pouvait décrire à quel point il était soulagé, il jure que cette fille est l'incarnation de la furtivité. Un moment, il la prend dans ses bras comme maintenant et l'instant d'après, elle disparaît sans laisser de trace. Il voulait lui dire que c'était elle, le principal sujet de ses inquiétudes, de ses peurs et de son admiration et que jamais plus, il ne voudrait être séparé d'elle. Mais tout ce qu'il réussit à sortir c'est : – Tu vas bien ? – Oui, merci de m'avoir rattrapé, dit-elle avec un sourire reconnaissant. Il hocha lentement la tête avec un sourire qui reflétait plus de la tristesse qu'autre chose puis, la reposa doucement sur ses pieds. Cette expression passa inaperçue aux yeux de Kaya qui épousseta ses vêtements avant de se baisser pour ramasser ses précieuses armes. – Comment tu m'as retrouvé ? Interrogea cette dernière alors qu'elle lui faisait dos. – Tu cries plutôt fort. – Ah. – Comment tu as fait pour te retrouver dans cette situation ? Questionna-t-il à son tour en scrutant confusément l'endroit d'où elle était jadis suspendue. Kaya souffla en relâchant ses épaules avant de s'exprimer d'une petite voix : – Juste une mégarde, c'est tout. Akkun "mmh" comme réponse, observant avec le sourcil levé la brusque montée d'agitation de son amie, qui pour lui était clairement de l'inquiétude : Elle se contentait jusque-là de scruter les alentours avec une mine grave et en silence. Autant dire que le jeune chasseur eût un réflexe de sursaut après que Kaya lâcha un fort halètement, les yeux fixant le ciel et l'index pointé vivement vers le haut. Akkun suivit naturellement la direction désignée : – Akkun, la lune... Regarde ! Les yeux de Kaya s'élargirent de stupeur et le reste des mots coulèrent tout seul, peu soucieux de leur cohésion : – Elle est devenue subitement toute rouge et depuis ce soir, je ressens des choses étranges que je ne peux expliquer mais, ce dont je suis sûre, c'est qu'il se passe des trucs bizarres, encore plus bizarres que d'habitude et je... Je pense vraiment que nous courons un grand danger. C'était terrible. Cette sensation écœurante que tout va aller de mal en pis lui creusait l'estomac. "Non, il ne faut pas ! C'est juste une impression... C'est juste..." – Une lune rouge ? Répliqua Akkun d'un air confus. – Tu la vois, n'est-ce-pas ? Akkun ne dit rien, mais continua vainement son inquisition. Immédiatement, le visage de la jeune fille se décomposa, elle cligna des yeux et déglutit dans une vaine tentative de ravaler sa déception : – Tu n'es pas obligé de faire semblant, c'est évident qu'il n'y a qu'à moi que ça arrive... Il n'y a plus aucun doute, mon imagination me joue des tours, je suis en train de devenir folle. Elle ne s'était pas rendue compte qu'elle traînait ses pas tout doucement en arrière jusqu'à ce que son ami la retint fermement par les épaules. – Reprends-toi, maintenant ! L'impression que ça n'arrive qu'à toi ne veut pas dire que tu es forcément malade... À mon avis, c'est juste la manifestation de tes fameux pouvoirs mystiques. – Encore cette histoire ? Cracha Kaya en serrant les poings avec frustration même si au fond d'elle, elle savait que c'était vrai. Elle ne pouvait plus écarter cette possibilité. Désormais, cet aspect, bien qu'atypique, fait bel et bien partir d'elle, qu'elle le veuille ou pas. Et son ami lui affirma bien la chose. – Tu dois reconnaître que c'est la seule explication, rappelle-toi de ce dont on a été témoins ! Tenta néanmoins de raisonner Akkun. Kaya attrapa ses poignets et les serra tendrement, acceptant ses encouragements et son soutien. C'était le réconfort dont elle avait besoin. Alors qu'elle reprit lentement ses esprits, elle eût en pensée de lui faire également part de ce qu'elle avait découvert. – Oui, tu as raison Akkun... Et tu sais quoi ? Moi aussi, je viens de comprendre une chose : Quand j'étais plus jeune, il m'arrivait de faire des cauchemars plutôt horribles me provoquant des insomnies et autres graves réactions que je ne peux décrire. Imagine juste un enfant plongé dans la psychose du jour au lendemain sans raison apparente... Mes parents ne savaient quoi faire, leur crainte était telle qu'ils n'arrivaient plus eux-mêmes à fermer l'œil la nuit... Après plusieurs jours passés dans l'enclos de ma maison, je me rappelle qu'un jour, ils m'ont conduit dans un lieu dont j'ai vraiment du mal à me souvenir, de même pour les faits qui se sont produits pendant ce moment. Tout ce que je sais c'est que le jour suivant, ils m'ont incité à boire cet élixir tous les jours, à défaut tous les deux jours... Depuis ces rêves ont disparu et j'imagine qu'à cause du traumatisme, ma conscience a enterré cette période au fond de ma mémoire. Elle inspira fortement une fois de plus comme si le dire tout haut donnait un autre sens à cette découverte et déformait la réalité. – Je viens de découvrir à l'instant que cette concoction avait pour but de canaliser cette énergie qui coule en moi. Akkun relâcha ses épaules et serra ses mains à la place d'une manière réconfortante avant d'approuver ses dires d'un hochement de tête. Cette réalisation s'abattit sur lui comme une foudre mais il garda son calme : – Effectivement, ça paraît logique. Kaya réprima le sentiment malsain d'avoir été trahie par la personne la plus importante de sa vie. Et rien de tout ça ne date d'hier apparemment. – Pourquoi ma mère m'aurait-elle caché ça ? Malgré tout ce temps, elle juge que je n'ai pas le droit de connaître une information aussi cruciale sur ma vie. Jusqu'à quand comptait-elle me le cacher ? Pour la énième fois en une journée, elle était sur le point de perdre ses moyens. C'était incroyablement à quel point tout semblait à la fois paradoxal et réel, inexplicable et sans équivoque. Ce déphasage avec la réalité, les trous de mémoires qu'elle ne pensait même pas avoir... « Si ce n'est pas de la folie alors qu'est-ce que c'est ? » Kaya se détourna vivement de lui, ramenant ses bras autour d'elle avec pour seule envie d'engloutir sa silhouette et penser que tout ça n'est qu'un cauchemar. Non, elle ne doit pas trembler, ni pleurer, pas du tout. Elle doit rester forte. Elle ne doit plus fuir. – Calme-toi déjà. Akkun attrapa, par réflexe, son épaule. Il était juste hors de question qu'elle se faufile encore comme un rat palmiste et qu'il se mette encore à ses trousses comme un chat sauvage. – Tu ne penses pas qu'elle a sûrement fait ça pour une bonne raison ? Regarde-toi, tu es carrément dans tous tes états à cause de tout ça, de ses apparitions et aussi ... – Je suis dans tous mes états parce que je n'étais pas préparée à ça et non, ce ne sont pas des apparitions. – Tout à l'heure, tu disais... – Oui, mais maintenant, j'en suis sûre et absolument certaine que ce n'est plus le cas ! Déclara-t-elle farouchement en se tournant vers lui, ses traits normalement doux ne reflétaient ni amertume, ni colère juste de la frustration. Quand est-ce que tout ça prendra fin ? Elle en a marre, elle veut que tout redevienne comme avant. Même si, elle sait que c'est un rêve insensé. Est-ce trop demander de rêver ? Est-ce trop d'espérer ? Tout peut encore se passer autrement alors oui, elle se doit de poursuivre sa lutte, elle doit le faire pour sa famille, pour leur bonheur, pour leur avenir. – Euh... Kaya ? Akkun recula d'un pas hésitant quand les pupilles de cette dernière devinrent soudainement opalescentes. – Nous devons immédiatement retourner au camp, reprit-elle sans lui laisser le temps de la remettre en question. Je le pressens, ils sont tout proches. Bien qu'un peu perturbé, Akkun la dévisagea avec inquiétude puis se mit lui-même à balayer son regard un peu partout. Forte heureusement, il avait apporté avec lui son arc et ses flèches ainsi qu'un sabre au cas où un danger se présenterait. La plupart des bêtes sauvages se reposaient la nuit, toutefois, il faisait confiance à sa coéquipière, car son instinct leur a permis de se sortir plusieurs fois du pétrin. D'ailleurs en parlant de pétrin, en levant ses yeux par hasard, il fit le constat peu attractif d'étranges silhouettes volant en haute altitude. Intrigué, il accommoda sa vision pour pouvoir bien les distinguer. Ceux-ci, de loin, ne ressemblaient à aucune bête qu'il avait déjà rencontré auparavant. – Je pense que t'es pas la seule à voir des trucs bizarres ce soir. Il pointa ensuite son doigt vers le haut. – C'est quoi ça ? – Tu arrives à les voir ? S'étonna Kaya en se retournant vers lui, les ayant remarqué plusieurs secondes avant lui. Pour toute réponse, il hocha la tête, abasourdie. À son grand dam, ses yeux avaient toujours cette couleur bizarre. – Tu penses qu'ils peuvent venir d'où ? – Ils viennent de l'ouest autrement dit, des dunes écarlates, répondit-elle tandis que ses yeux s'écarquillèrent d'horreur. Et là, ils volent tout juste en direction d... Elle n'eût pas besoin d'en dire plus alors que leurs expressions affichaient une atrocité démesurée. C'était le pire scénario qui puisse arriver. – Allons-y ! – Akkun attends ! Pas par là ! S'écria Kaya en l'arrêtant d'une main tout en fixant un point en particulier. Je sens une présence, mais je ne peux dire si elle est malveillante. – Sérieusement ? On dirait qu'il devait s'y habituer à partir de maintenant. Quelques secondes plus tard, une créature ailée, que Kaya n'avait jamais rencontré auparavant, ayant l'apparence d'une chauve-souris géante aux yeux rouges rubis, au revêtement complètement sombre, aux griffes acérés et aux longues dents pointues, surgit de nulle part et vola droit vers eux. Il était très rapide et aucun des deux ne pourra l'intercepter à temps. Elle n'aura pas non plus le temps d'avertir Akkun, c'est pourquoi elle se jeta rapidement sur lui. Ils furent déviés de sa trajectoire cependant, atterrirent lourdement au sol. Le mâle d'abord bouleversé, mit un temps à comprendre ce qui venait de se passer : – Mais qu'est-ce qui te prend ?... "Encore" voulait-il ajouter mais Kaya l'interloqua. – Ne me remercie surtout pas... La créature revint à l'assaut et Kaya fit une roulade en avant pour récupérer ses armes, avec force, elle les lança dans sa direction. Heureusement, ceux-ci l'atteignirent et à sa grande surprise, la bête durcit, se dissolvant en grain de poussière avant d'être emporté par le vent. Elle cligna ses yeux devenus blancs nacrés et lumineux et même si elle savait que quelque chose en elle avait changé, elle n'y prit point garde. Au contraire, elle se para de cette force renouvelée, réfléchissant sur comment affronter le danger qui planait aux dessus d'eux. Une fois de plus, le sol se remit à trembler. – Oh non ! Pas encore... – Woah ! Qu'est-ce qui se passe ? – T'arrives à le sentir ? – On dirait, ouais. – Super, maintenant, allons-nous-en avant que d'autres monstres ne rappliquent. Ou peut-être pas… Je crois que nous sommes cernés. Elle n'arrivait pas à croire à quel point ses sens étaient devenus plus aiguisés, son cœur battait au rythme d'un tambour invisible, guidant ses pas sur une ligne prudente en direction du chemin le plus sûr. Quel est donc ce pouvoir ? Dans un sens, il était vraiment utile. Sachant cela, il était temps de procéder sur ce qu'elle savait faire le mieux, se battre ! Kaya avertit Akkun fois de plus, insistant sur le fait qu'ils devraient se dépêcher au risque de faire face à d'autres mouvements tectoniques désastreux. Forte heureusement, ils arrivaient à tenir tête et luttaient du mieux qu'ils purent. Kaya ouvrant instinctivement le chemin. Ils pouvaient survivre et protéger tout le monde. Ils pouvaient faire ça. Même si, l'un comme l'autre n'était pas préparé à ce qui allait suivre. . . . Les deux combattants de Vanupas avaient déjà éliminé la plupart des bêtes monstrueuses qui rôdaient autour d'eux grâce à Kaya qui parvenait à les percevoir de loin. À la longue, elle se sentit de plus en plus faible mais refusa de flancher aussi tôt, elle était endurante, elle le sait. Tous ses efforts ne seront pas vains, elle s'en assurera. Mais dire qu'un clignement d'yeux est ce qui a été la cause d'un léger manque d'inattention était presque dérisoire. Si elle avait levé les yeux ne serait-ce qu'une seconde ou bien prêté attention à son ouïe alors elle aurait pu échapper juste en s'éloignant suffisamment vite des tonnes de gravats chutant dangereusement au dessus d'elle. Elle allait être ensevelie dans les secondes qui allaient suivre. Akkun devait choisir, c'était elle ou lui. Sauf que bien sûr, il n'eût pas à réfléchir longtemps. Crash ! Kaya se sentit poussée par une force robuste qui l'a fit atterrir brusquement à plat sur le ventre. Elle se retrouva à tousser fortement à cause de l'accumulation excessive de poussière d'une part et à cause du choc de sa cage thoracique contre le relief dur et bosselé d'autre part. Il fallait s'y attendre, les monts rocheux étaient un emplacement à haut risque, encore plus à cause des secousses qui survenaient de temps à autre. Kaya attendit que la poussière se dissipe pour comprendre que ce qui venait de se produire était encore plus grave que ce qu'elle avait imaginé. Une personne manquait à ses côtés. Elle n'était nulle part en vue et Kaya ne laissera jamais place au pire. – Akkun ? Malgré le souffle court et la respiration sifflante, elle était encore capable d'articuler. – Où es-tu ? Appela-t-elle en passant sa langue sur sa lèvre inférieure saignante. Il ne pouvait pas être... Non, cela ne pouvait pas arriver. – Réponds-moi ... Sous les débris, seulement à quelques pas, elle vit un corps, qui à son grand dam était inerte. Désormais, il n'y avait plus de doute possible. – Non... Akkun !!! . . . . . . ♦‡♦
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