« Suis-je en train de fuir ? Suis-je vraiment en train de faire ça ? Depuis quand je fais preuve de tant de lâcheté ?»
Parvenue à plusieurs mètres du camp, Kaya, loin d'être essoufflée par sa course effrénée, gravit une des collines rocailleuses avec prudence afin d'éviter tout éboulement accidentel. Tout était sombre, alarmant de tout danger, mais elle s'en fichait, car, elle voulait être seule pour le moment.
Tout là-haut, il y a cet endroit où elle avait pris l'habitude de se réfugier plusieurs mois après son arrivée au camp. Là-bas, elle pouvait méditer en toute sérénité et s'entraîner sans y être perturbé.
Il lui arrivait d'être dépassée par les évènements : la tristesse et l'angoisse rongeaient son âme, ainsi responsables de plusieurs vagues d'insomnie. Devant les autres, elle donnait l'impression d'être une fille forte, courageuse, intrépide... Alors qu'au fond, la peur, l'incompréhension et le doute pouvaient la submerger au point de provoquer en elle un fourmillement d'émotion difficile à gérer.
« Quand je perds mes moyens, je refuse que quiconque me voye ainsi, ni maman, ni Zuri, ni Akkun. Je refuse de paraître faible à leurs yeux ! Ils comptent pleinement sur moi, je ne peux pas les décevoir, afin... Je ne voulais pas les décevoir. »
Tant que ces zones d'ombres persisteront dans son esprit, elle sera toujours en train de barboter entre les rives de l'impossible et du faisable, plongée dans son désir qu'est de rendre tout le monde heureux, peu importe les circonstances et les moyens.
Cependant, les acteurs de son passé l'ont prouvé qu'elle est et sera toujours cette petite fille apeurée et triste ayant toujours besoin d'être guidée, ayant toujours besoin qu'on lui tienne la main pour qu'elle comprenne les choses d'une manière plus adulte.
C'est pour ça qu'elle s'est enfuie ? Kaya secoua la tête en signe de refus.
« Non ce n'est pas le cas, je prends juste du recul, c'est tout ! Quand j'aurai les idées claires, je pourrai enfin affronter tout ça. »
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Arrivée au sommet, elle marcha encore quelque peu avant de s'asseoir lourdement sur un monceau de pierre. Elle lâcha un soupir tremblant puis sortit le livre qu'elle avait engouffré dans son léger manteau.
Un brise glaciale, la faisant frissonner, souffla et la vieille pile de papiers usés assemblée grâce à une ficelle solide secoua férocement, sûrement en signe de réprimande à leur sollicitation au lieu d'accorder à ceux-ci leur repos tant mérité.
Malheureusement pour le vieil ouvrage, cela n'arrivera pas de sitôt. C'était son trésor à elle et à quel moment pourrait-on avoir assez de ce qui faisait sa fierté.
Ce livre appartenait autrefois à son père, ayant traversé des âges, car transmis depuis des générations dans leur famille. Dans ces écrits et ces symboles propres à leur culture est représenté, bien que d'une manière succincte, tout ce qu'il y a à savoir sur les arts de combat ancestraux et autres instructions accumulées au fil des ans.
Quand son père s'en est allé, il lui légua avec ses lances, cet héritage. C'est à partir de cette paperasse écaillée qu'elle apprit ces pas de danses en y rajoutant sa propre touche. Et comme ce présent venait de lui, elle a toujours eu la vague impression que c'était de son père lui-même qu'elle recevait ces instructions.
Elle se souvient encore des mots de ce dernier lorsqu'il le lui confia :
"Il est à toi maintenant Kaya, surtout garde-le précieusement ! D'ailleurs, il serait judicieux de t'en servir pendant mon absence et quand je serai de retour, tu me feras la démonstration de ce que tu auras appris."
Bien sûr, ce jour n'arrivera jamais.
Son regard brun et mélancolique se leva ensuite pour observer le ciel sombre, désormais l'étoile avait été effacée du tableau de même que les nuages, seule la pleine lune brillait d'une lueur toujours aussi inhabituelle. C'était tellement envoûtant qu'elle se perdit dans ses tâches sombres et claires, se demandant si les motifs disparates avaient une signification particulière.
Elle cligna des yeux dans une soudaine impression d'avoir mis de côté quelque chose d'important. Elle fronça les sourcils avec concentration pour déterrer ce qui pouvait bien l'échapper à cet instant précis mais sans succès.
« Si je n'arrive pas à mettre le doigt dessus, il ne doit pas être si important... J'ai trop de choses en tête en ce moment et j'ai l'habitude de m'inquiéter sur tout et n'importe quoi... Tout ce dont j'ai besoin maintenant c'est d'une solution.»
La jeune fille pensive se mit à se balancer d'avant en arrière sans dériver de son observation. Son souffle était glacé et vaporeux quand elle parla à haute voix avec un ton doux mais vague à l'âme :
– Peut-être peux-tu m'aider chère lune... Quand j'étais plus jeune, je me confiais souvent à toi car de là-haut, tu peux tout voir. J'étais tellement reconnaissante de ce frais et doux réconfort que tu m'apportais la nuit. Dans ma naïveté, j'ai fini par croire que, quelque part, tu comprenais tout ce que nous endurions dans la chaleur étouffante du soleil en plus d'être en proie à un autre type de cruauté et que tu en prenais pitié... Je ne m'y accroche plus maintenant mais... J'ai toujours aussi soif de réponses parce-que sans ça, j'ai l'impression que...
Elle se stoppa en un soupir mais maintint son regard avec insistance. Quand rien ne se produisit, elle baissa sa tête avec harassement et se recroquevilla sur elle-même en ramenant ses genoux sous son menton.
« Ah, à quoi je m'attendais ?... Après tout, les miracles sont juste trop beaux pour être vrais. Encore moins dans le territoire d'Aroër. Et puis... »
Le mysticisme... Franchement, qui aurait cru que ça tomberait sur elle ? Une spirituelle ? Elle ? Quel coup du sort !
Désormais, il est plus que certain que rien ne sera plus comme avant.
« Qu'adviendra-t-il de moi et de ma famille ?
Serait-ce pour cette raison que lui et cette cohorte ont rappliqué au camp ? Pour... moi ?
Est-ce judicieux de retourner au camp après tout ça ? Je ne veux pas les mettre en danger.»
Kaya fronça une fois de plus les sourcils dans un élan d'incertitude puis avec une lueur résolue, elle ferma le livre et le remit dans son manteau.
– Et puis je m'en fiche ! Même si c'est le cas, je ne les laisserai pas mettre à jour leurs vils projets ni sur moi ni sur quiconque d'entre nous. Ma famille et mes amis ont besoin de moi, comme j'ai besoin d'eux, tu comprends ? Alors, je continuerai à me battre parce-qu'il le faut !
La jeune combattante fit cette déclaration en pointant vivement la lune.
– Nous avons trop soufferts, cela ne peut plus durer, ajouta-t-elle plus mollement avant de se lever, Il est temps de retourner au camp, tout le monde doit s'inquiéter. D'ailleurs, le jour ne va pas tarder à pointer le bout de son... Huh ? Qu'est-ce ? Aaaah !!!!
N'ayant pas où s'agripper après la violente secousse qui eût brusquement lieu, Kaya perdit l'équilibre et trébucha. Avant de se demander ce qui se passait, une autre survint cette fois-ci plus férocement, la rafale de vent qui s'ajouta au chaos la secoua telle une feuille et faillit l'emporter si elle n'avait pas enfoncé durement une de ses solides lances au sol.
À son grand soulagement, cela n'eût lieu que très brièvement, mais rien ne pouvait prédire que c'était fini.
– Oh non ! C'est comme l'autre fois, cette vision que j'ai eue... Gémit-elle en se relevant avec difficulté.
Quoique cette fois-ci, c'était bien réel, elle en était sûre. Dans ce lieu désolé, il faut s'attendre à tout, mais des tremblements de terre, cela n'était jamais arrivé. Avec l'intensité des fléaux, ils pourraient ne pas y survivre.
Elle espérait juste que cette catastrophe n'avait pas atteint le camp.
Mais malheureusement, Kaya n'était pas au bout de ses surprises.
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L'atmosphère se chargea autrement que la température devenue de plus en plus en basse, redressant ses poils et asséchant ses orbites. Peu importe son ressenti, ce n'était que secondaire devant cette vision encore plus troublante qui la frappa comme une brique en terre cuite : juste au-dessus d'elle, les stries autrefois noir et blanc de lune s'assombrirent pour prendre un ton plus rougeâtre, semant en elle beaucoup de confusion et un peu d'angoisse.
« J'ai la crainte du pire et je refuse cette fois-ci de croire qu'il s'agit de mon imagination. »
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Alors qu'elle entamait la descente de la colline escarpée, aussi vite qu'elle pouvait, elle fut profondément accablée par une sensation oppressante et malfaisante. C'est avec la peur au ventre, que son retour au camp s'agglutina avec une intuition de danger imminent.
– Mais qu'est-ce que ça veut dire ?
Kaya avait l'impression de naviguer entre rêve et réalité, c'était la première fois qu'elle ressentait ce genre de choses. Ou... Ou peut-être pas.
La frayeur s'empara d'elle, l'amenant à imaginer le pire des scénarios toutefois elle secoua vigoureusement la tête pour chasser ces pensées intrusives en poursuivant farouchement sa course.
Mais comme le tintement inattendue d'une cloche, elle fut assaillie par des échos de voix familières résonnant non pas tous en même temps mais en flash, ce qui la plongea davantage dans le trouble.
c'était des souvenirs récents :
"J'ai aussi remarqué que ces trucs bizarres ne survenaient qu'à cette période de l'année."
"Tu as oublié de prendre ton fameux potage aujourd'hui. Je ne te fais pas dire à quel point elle avait l'air très préoccupée à ce sujet."
Et plus anciens encore :
"Et grâce à ça, plus de cauchemars, je te le promets... Désormais, tu dois la prendre tous les jours, ne l'oublie pas."
"Nous trouverons une solution à ce problème chérie et tu peux être sûre qu'ils ne te poursuivront plus jamais. "
"Yayaaa... ! J'ai... J'ai encore fait un cauchemar, j'ai trop peur de me rendormir... Si... Si je ferme les yeux, ils vont encore revenir dans ma tête... Les méchantes créatures ont dit qu'ils viendront et quand ils seront là, ils... Ils nous feront du mal à tous."
Kaya inspira profondément, c'était une brutale réalisation qui pendant un moment la fit trébucher. Elle avait enfin trouver ce trou de mémoire qu'elle avait cherché inconsciemment à reboucher.
« Ce mélange que baba m'a fait prendre tous les jours a donc un lien avec tout ça, mais lequel ? »
Accablée par cet élan de rappels rétrogrades, elle n'entendit pas le sol craquelé sous ses pieds. Kaya tituba et ne mit long à dégringoler avec disgrâce la pente sur quelques mètres jusqu'à ce qu'elle atteigne le bord.
Grâce à ses réflexes, elle stoppa sa cascade involontaire en plantant la pointe de sa lance sur la paroi verticale. Ceci fait, elle exhala de douleur et fut même tentée de relâcher sa prise tellement elle avait mal.
Le séisme survenu plus tôt avait entraîné un éboulement de terrain rendant la pente encore plus sinueuse, voire mortellement dangereuse, même pour elle. La preuve en est qu'elle s'y retrouvait maintenant suspendue à plusieurs mètres du sol.
La jeune fille ne mettra pas long à lâcher et vu la hauteur, l'atterrissage ne se fera pas en douceur.
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