Chapitre VIIIEn haut du coteau, la Sologne commence.
Adieu la plaine fertile du Val, les bonnes fermes bien grasses, les fortes prairies que la Loire engraisse de son limon ! Adieu les villages aux jolies maisons de brique rouge ! C’est la pauvre terre qui commence, la terre sablonneuse et maigre, avec ses forêts de sapins et ses landes incultes, et ses habitations clairsemées.
Quand ils furent en haut du coteau, le père et le fils, à qui le pays était familier, se mirent à arpenter le sol sablonneux avec une agilité de véritables maraudeurs nocturnes.
Bientôt, au travers des arbres, ils aperçurent une lueur, et dans le ciel d’un bleu foncé une colonne de fumée noire.
C’était la maison des Brûlart.
Quand nous disons la maison, c’est par pure politesse. C’était une affreuse chaumière, moitié boue et moitié torchis, élevée, au milieu d’un carrefour de forêt, formant une pièce unique, au milieu de laquelle on avait pratiqué un trou pour la fumée.
Deux grabats s’y trouvaient, en compagnie d’une table boiteuse et de quelques rondins de troncs d’arbres convertis en sièges.
Quand les deux Brûlart entrèrent, une vieille femme s’y trouvait installée au coin du feu.
Elle avait superposé sur deux pierres qui servaient de chenets une demi-douzaine de souches qui flambaient comme des allumettes.
Et, accroupie, les mains décharnées exposées à la flamme, elle attendait.
Elle et le père Brûlart ne s’étaient pas vus depuis le matin.
Seulement, il avait été convenu qu’ils se retrouveraient en cet endroit dans le courant de la soirée.
Comme il n’y avait rien à voler chez lui, quand le père Brûlart quittait la maison, il posait la clef sous une grosse pierre auprès de la porte et s’en allait fort tranquille.
Tandis que ce soir-là le vieux braconnier allait à la rencontre de son fils, la vieille était arrivée par un autre côté, s’était installée et avait fait du feu.
– Eh bien ! le voilà, dit-elle en voyant Michel entrer derrière son père.
– Oui, la mère.
– Est-il gentil !
Et la vieille, qui était hideuse et ressemblait trait pour trait à une sorcière de Macbeth, la vieille eut un effroyable sourire à l’adresse du jeune homme.
– Il fera ce que nous voudrons, dit le père Brûlart, c’est un bon fils.
– Pour ça oui, ricana Michel.
Le père Brûlart ferma la porte, poussa un des rondins vers le feu, s’assit dessus et dit :
– Maintenant, nous pouvons jaser.
– Je veux que le diable m’emporte, dit Michel, si je sais ce que vous voulez me dire !
Le père Brûlart haussa les épaules.
– Les enfants, c’est toujours pressé, dit-il.
– Alors parlez, dit Michel.
Et il s’assit à son tour.
– Voyons, reprit le père Brûlart, une supposition, petit, tu as ton fusil et tu es à la chasse.
– Bon !
– Je ne suis pas ton père, je suis le premier venu, comme qui dirait un bûcheux. Je te dis : Mon garçon, je sais où il y a un sanglier en bauge ; si je te le fais tirer, m’en donneras-tu un jambon ?
– C’te bêtise ! fit Michel.
– Eh bien, entre nous, c’est la même chose.
– Comment ça ?
– Je te mène au bord du coteau, un matin, et je te montre là-bas, sous nos pieds, le moulin de Brin-d’Amour, les bonnes terres qui l’entourent, la jolie fille qui est dedans, et je te dis : « Veux-tu le moulin, veux-tu les terres, veux-tu la fille ? »
Naturellement tu signes, et le marché est conclu. Mais qué que tu donnes pour tout ça ?
– Ce que vous voudrez, dit Michel.
– Moi, dit la vieille femme, je veux deux mille francs.
– Vous les aurez.
– Et moi dix mille, fit le père Brûlart.
– Ça va, dit encore Michel.
– Mais je les veux tout de suite, reprit la vieille.
– Et moi aussi, fit le père.
Michel se mit à rire.
– Est-ce que vous vous moquez de moi ? dit-il.
– Pourquoi donc ça ?
– Où donc voulez-vous que je prenne douze mille francs ?
– En écus, nulle part.
– Alors…
– Mais tu peux nous faire une reconnaissance. Vois-tu, poursuivit le père Brûlart, comme je te dis, les bons comptes font les bons amis. J’ai pris mes petites précautions.
– Ah !
– J’ai fait un bout de chemin tantôt.
– Où êtes-vous allé ?
– À Jargeau, voir le père Boulay, un brave homme qui vend du tabac, du papier timbré et de bon conseils.
Alors le père Brûlart ouvrit sa blouse, déboutonna la veste qui était par-dessous et en retira deux feuilles de papier timbré noircies chacune de quatre ou cinq lignes.
– Vois-tu, continua-t-il, c’est le père Boulay qui a rédigé ça, et il me l’a lu ; c’est bon.
– Comment y a-t-il ? fit la vieille femme avec avidité, car elle ne savait pas lire beaucoup plus que Brûlart.
Le braconnier donna lecture du premier :
Au premier janvier prochain, je payerai à l’ordre de François-Auguste Brûlart, etc…, la somme de dix mille francs.
– Tu n’as qu’à signer ça, dit-il ensuite.
– Et l’autre ? fit Michel.
– L’autre, répondit Brûlart, est de deux mille francs, à l’ordre de Joséphine Pacaud, dite la mère Pitache.
Quand Michel eut pris connaissance des deux billets qui avaient été libellés par le père Boulay, de Jargeau, marchand de tabac, de papier timbré et de bons conseils, Brûlart père alla ouvrir un vieux bahut dans un coin de la chambre, et en retira une fiole d’encre après laquelle pendait une ficelle à laquelle une plume était attachée.
Comment y avait-il de l’encre en cet endroit ?
C’est ce qu’il est facile d’expliquer.
Pendant le dernier hiver, un marchand de bois qui avait acheté des coupes dans le voisinage avait employé les deux Brûlart, et s’était installé chez eux une ou deux fois par mois pour faire ses comptes et payer ses ouvriers.
La plume et l’encre étaient restées.
Le père Brûlart posa le tout devant Michel et lui dit :
– Allons, mon garçon, faut signer ça.