Chapitre VII

783 Words
Chapitre VIIMichel Brûlart chemina encore environ un quart d’heure. Puis il s’arrêta de nouveau. Un seul hibou chantait maintenant. C’était celui-là qui n’avait ni rendez-vous, ni consigne, ni mot d’ordre, le vrai hibou, par conséquent, et non point l’homme qui en imitait le son glapissant et monotone. Michel remit ses deux doigts dans sa bouche et fit entendre un second appel. On lui répondit du fond d’une sapinière voisine. Alors il doubla le pas. La nuit était bien noire ; néanmoins, à dix ou douze mètres de distance une silhouette qui s’agitait faiblement au-dessus du sol apparut à Michel. – Là ! dit-il, qui donc va là ? – Une belle nuit pour poser des collets, répondit une voix. Michel reconnut la voix : – Holà ! père, dit-il, est-ce vous ? La silhouette marcha vers lui et prit forme humaine. – C’est moi, dit-elle. Et le père et le fils Brûlart s’abordèrent et se donnèrent la main. – Vous le voyez, dit Michel, je suis exact. – J’avais peur que tu ne viennes pas. – Pourquoi donc ça ? – Je me disais comme ça qu’on ne t’avait pas fait la commission. – Si fait bien, on me l’a faite. – Ah ! – La mère Pitache a passé par le moulin, tantôt, avec sa besace et son bâton. Il n’y avait personne ; alors elle s’est approchée de moi et m’a dit vivement : – Tu es un mauvais fils de laisser ainsi ton père tout seul. – Ah ! elle t’a dit cela ? – Oui, mais elle riait… – Pardine ! elle sait nos affaires aussi bien que nous… et puis ? – Alors elle m’a fait votre commission, à savoir que vous m’attendriez ici, et je suis venu. – C’est bien ! dit le père Brûlart. – De quoi s’agit-il, papa ? – Mais, c’est au contraire pour savoir ce qu’il y a de nouveau que je t’ai fait venir. – Oh ! rien du tout. – Qu’est-ce qu’on fait au moulin ? – La Suzon pleure toujours un brin, le soir. – Et la petite ? – Aussi. – Tu auras un joli bien, mon garçon, dit le père Brûlart. – Oh ! je ne l’ai pas encore… – Et une jolie petite femme. – Qui sait ? – Va, la mère Brûlart, en mourant, a arrangé tout ça. Sois tranquille, seulement faut bien gouverner ta barque, mon garçon. – Oui, papa. – Tout ira comme sur des roulettes, mon garçon, dit encore le père Brûlart. – Mais, papa, dit Michel, il y a une chose à laquelle vous n’avez pas songé. – Laquelle ? – Si Laurent revient de là-bas. – Je te dis qu’il ne reviendra pas, moi. – Oh ! qu’est-ce que vous en savez ? – La mère Pitache en est sûre. – Vous croyez donc aux sorciers ? – Aux sorciers, non ; mais à la mère Pitâche, oui. – Elle dit pourtant la bonne aventure. – C’est justement pour ça. – Comment donc qu’elle peut savoir l’avenir ? – Je ne sais pas ; mais ce que je sais bien, vois-tu, c’est que tout ce qu’elle a prédit est arrivé. – Ah ! c’est-y bien sûr, ça ? – Elle a dit, voici trois ans, que M. Soulary, le notaire de Saint-Florentin, mourrait avant Noël. Le jour de la Saint-Hubert, il s’est tué en passant une haie. – Bon ! Elle a dit que la femme à Chesneau le cantonnier, qui était mariée depuis six ans et toujours bréhaigne, aurait un enfant. La femme à Chesneau est accouchée neuf mois après. Tout ça, tu penses bien, nous a donné confiance, à la mère Brûlart et à moi, et nous avons arrangé ta petite affaire. – Vous êtes bien bon, papa. – Mais, reprit le père Brûlart, les bons comptes font les bons amis… – Ça, c’est vrai. – Et si je t’ai fait venir, ce n’était pas seulement pour savoir ce qui se passait… c’était encore pour que nous arrangions nos affaires. – Quelles affaires ? – Les nôtres, donc. – Hein ? – Tu comprends, mon garçon, poursuivit le père Brûlart, que je suis très vieux, et que je ne veux plus travailler. – Oh ! vous avez raison, papa, et si la chose arrive, je prendrai joliment soin de vous. – Je n’en doute pas, je n’en doute pas, mon garçon. – Vous viendrez vivre au moulin… – Merci bien ! mame Suzon m’y ferait une jolie vie. – Ou je vous donnerai ce que vous voudrez… – Non, c’est pas encore ça, mon garçon. – Ah ! – Vois-tu, continua le vieux braconnier, quand on a cinquante-sept ans, comme moi, faut être à la merci de personne. – Oh ! papa… – Faut avoir sa petite affaire, du bien et des écus. Qué que t’en dis ? – Voyons, papa, dit Michel, causons peu et causons bien. Qué que vous voulez ? – Je te dirai ça tout à l’heure. – Pourquoi pas tout de suite ? – Parce qu’on n’est pas bien dans l’obscurité pour parler de ses affaires. – Où voulez-vous aller ? – À la maison. Nous y serons dans un petit quart d’heure, histoire de traverser la sapinière. La mère Pitache y est, justement. – Ah ! elle y est ? – Sans doute, elle est de l’affaire, elle veut jaser un brin de ses petits intérêts. – Ah ! elle aussi ?… – Elle aussi ; et je te vais donner un conseil. – Parlez… – Il ne faut pas être regardant avec elle, mon garçon. – Vous croyez ? – Elle pourrait tout démolir, et c’est pas la peine. Sur ces derniers mots, le père Brûlart prit son fils par le bras et ils se mirent à suivre un petit sentier qui grimpait en zigzag au flanc du coteau qui recouvrait le sapinière.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD