PREMIÈRE JOURNÉE - L’Éducation de la Pippa-2

2028 Words
Pippa. – Et si j’ai grand-soif ? Nanna. – Bois peu, quand même, pour ne pas t’attirer le renom de goulue et de soularde. Ne mâche pas chaque morceau la bouche ouverte, en ruminant fastidieusement et salaudement ; fais en sorte qu’à peine il semble que tu manges ; tout le long du souper, parle le moins que tu pourras et à moins qu’on ne t’en prie ; tâche que le bavardage ne provienne pas de toi. Si celui qui découpe à la table où tu es t’offre une aile, un devant de chapon ou de perdrix, accepte-le, avec une révérence, tout en jetant un coup d’œil à ton amant, avec un geste qui lui demande la permission sans la lui demander. Fini de manger, ne va pas roter, pour l’amour de Dieu ! Pippa. – Qu’arriverait-il, s’il m’en échappait un’? Nanna. – Oh ! pouah ! Tu donnerais mal au cœur, non seulement aux salops, mais à la saloperie en personne. Pippa. – Si j’observe tout ce que vous m’avez enseigné et d’autres choses encore, qu’en sera-t-il ? Nanna. – Il en sera que tu acquerras le renom de la plus discrète et de la plus gracieuse courtisane qui vive et que chacun dira, en te comparant aux autres : « Soyez, tranquilles, mieux vaut l’ombre des vieilles savates de la signora Pippa qu’une telle ou telle, chaussée et vêtue. » Ceux qui te connaîtront resteront tes esclaves, iront partout prêcher tes perfections et tu en seras plus recherchée que ne sont évitées celles qui ont des manières de rôdeuses et de gourgandines. Pense si je me rengorgerai. Pippa. – Que dois-je faire quand nous aurons soupé ? Nanna. – Entretiens-toi un moment avec celui qui sera près de toi, sans jamais te lever d’à côté de ton amant. L’heure de dormir venue, tu me laisseras m’en retourner à la maison ; puis, après avoir dit respectueusement : « Bonsoir à vos Seigneuries », garde-toi mieux que du feu d’être aperçue ou entendue pisser, te lâcher le ventre, prendre un mouchoir pour te nettoyer : ces choses-là feraient vomir des poulets, qui pourtant becquètent toute espèce de c*****n. Quand tu seras dans la chambre, la porte fermée, cherche pourtant si tu vois quelque essuie-main, quelque coiffe qui te plaise, et, sans rien demander, trouve à ta convenance essuie-main et coiffe. Pippa. – À quelle fin ? Nanna. – Afin que le chien, qui est bien attaché à sa chienne, t’offre l’un ou l’autre. Pippa. – Et s’il me les offre ? Nanna. – Applique-lui un b****r, avec un petit coup de langue, et accepte. Pippa. – Ce sera chose faite. Nanna. – Pendant qu’il se couchera au galop, déshabille-toi tout doucement, tout doucement, et marmotte en toi-même quelques paroles entremêlées de certains soupirs. Cela le forcera de te demander, quand tu entreras au lit : « Qu’avez-vous donc à soupirer, mon âme ? » Alors, pousses-en un autre à te démantibuler et réponds : « Votre Seigneurie m’a ensorcelée ! » En lui disant cela, embrasse-le serré, b***e-le, rebaise-le, puis fais le signe de la croix, comme si tu avais oublié de le faire en te couchant ; si tu ne veux pas dire de prières ni quoi que ce soit, remue un peu les lèvres, de façon à paraître les dire : il faut être bien élevée jusqu’au bout. Pendant ce temps-là, le scélérat, qui t’attendait au lit comme un homme qui a un appétit d’enragé et qui s’est mis à table avant même qu’on ait posé dessus le pain et le vin, s’aventurera à te peloter les tétons, il plongera toute sa figure dedans, comme s’il voulait les boire ; il te parcourra tout le corps, puis descendra peu à peu sa main sur la guenuche, et après lui avoir donné quelques petites tapes, il te pelotera les cuisses ; mais les fesses sont une véritable calamité : elles attirent à elles la main, te dis-je, et lorsqu’il les aura festoyées tant soit peu, il essayera de te tâter, en te glissant son genou entre les jambes, pour voir si tu te tourneras, sans oser toutefois te demander cela dès la première rencontre. Tiens-toi ferme, et suppose qu’il se mette à miauler, à faire l’enfant, à vouloir prendre des façons étranges, ne lui tourne pas le dos. Pippa. – Et s’il m’y force ? Nanna. – On ne fait rien de force à personne, petite folle. Pippa. – Mais qu’importe que je le laisse me faire cela par devant ou par derrière ? Nanna. – Écervelée, tu parles vraiment là comme une sotte que tu es ! Dis-moi, qui est-ce qui vaut le plus, d’un Jules ou d’un ducat ? Pippa. – Je vous comprends ; l’argent vaut moins que l’or. Nanna. – Tu l’as dit. Mais maintenant je songe au bon coup à faire. Pippa. – Enseignez-le-moi. Nanna. – Il est beau, on ne peut plus beau. Pippa. – Oh ! dites, maman. Nanna. – Si cependant notre homme insiste et te fourre entre les cuisses sa jambe gauche, pour te tourner à sa façon, tâte bien s’il a quelque petite chaîne au cou, quelque bague au doigt, et tandis que le goulu tourne autour de toi, poussé par la tentation que lui donne l’odeur du rôti, vois s’il se les laisse enlever ; s’il veut bien, laisse-le faire ; une fois dévalisé de ses bijoux, tu lui joueras le tour adroitement ; sinon, dis-lui d’un air dégagé : « Comment, Votre Seigneurie s’aventure ainsi par derrière à de telles cochonneries ? » Le mot lâché, il s’y prendra avec toi de la bonne façon et quand il sera sur toi, fais ton devoir, Pippa, fais-le ; vois-tu, les caresses par lesquelles on aide les bons jouteurs à finir sont leur propre ruine, et leur procurer des douceurs, c’est les assassiner. Et puis, une p****n qui fait bien ça est comme un mercier qui vend à haut prix sa marchandise. On ne peut mieux comparer qu’à une boutique de mercier les badinages, les jeux, les caresses que débite une rusée p****n. Pippa. – Quelles drôles de comparaisons vous faites ! Nanna. – Voici un mercier ; il a des aiguillettes, des miroirs, des gants, des chapelets, des rubans, des dés à coudre, des épingles, des aiguilles, des ceintures, des bonnets, des galons, des savons, des huiles de senteur, de la poudre de Chypre, de faux chignons et cent mille espèces de choses. De même une p****n a dans son magasin de douces paroles, des sourires, des baisers, des œillades. Mais ce n’est rien que cela : elle a dans ses mains et dans sa châtaigne les rubis, les perles, les diamants, les émeraudes et toute l’harmonie des mondes. Pippa. – Comment cela ? Nanna. – Comment, hein ? Il n’y en a pas un qui ne touche le ciel du bout du doigt quand sa bonne amie, qu’il aime tant, au moment qu’il lui glisse la langue entre les lèvres, lui empoigne le machin et, le serrant à deux ou trois reprises entre ses doigts, le force à se redresser ; dès qu’il se redresse, elle lui administre une petite secouée, puis le laisse en plan. Après être ainsi restée un tout petit peu, elle te prend les sonnettes dans le creux de la main et les chatouille voluptueusement ; puis elle te tapote les fesses, te gratte entre les poils et recommence à te le taquiner, si bien que le concombre, mis en belle humeur, ressemble à quelqu’un qui a bien envie de vomir et qui ne peut pas. Notre galant, sous ces caresses, se prélasse comme un abbé et ne troquerait pas sa béatitude contre celle d’un cochon qu’on gratte ; quand il se voit chevauché par celle qu’il comptait chevaucher lui-même, il tombe en pâmoison comme un homme qui achève. Pippa. – Qu’entends-je ? Nanna. – Écoute et apprends à vendre tes marchandises. Sur ma foi, Pippa, si une femme, que grimpe son amoureux, fait seulement une parcelle de ce que je t’enseignerai, elle est apte à lui tirer l’argent des grègues avec plus d’adresse encore que les dés et les cartes ne le tirent de celles des joueurs. Pippa. – Je vous crois. Nanna. – Tiens-le pour certain. Pippa. – Vous voulez que je fasse ce que vous venez de dire avec celui chez qui je serai ? Nanna. – Oui, fais-le. Pippa. – Comment m’y prendre, s’il est sur moi ? Nanna. – Il manque bien de moyens de le jeter à bas ! Pippa. – Montrez-m’en un. Nanna. – Le voici. Pendant qu’il te foule, mets-toi à pleurnicher, deviens soucieuse, ne fais pas un mouvement, ne prononce pas une parole. S’il te demande ce que tu as, contente-toi de grogner ; il sera bien forcé de s’arrêter et de dire : « Mon cœur, vous fais-je mal ? Avez-vous déplaisir du plaisir que je prends ? » Toi, tu lui réponds : « Mon vieux petit chéri, je voudrais… » Arrête-toi là. Il te demandera : « Quoi donc ? » Alors fais la chatte qui miaule ; enfin, moitié de bouche, moitié par signes, tu lui donneras à entendre que tu veux courir une lance à la Jeannette. Pippa. – À cette heure, faites compte que je sois déjà où vous dites. Nanna. – Si tu es en imagination en train de faire ce que je voudrais que tu fisses, arrange-toi bien à ton aise et, une fois installée, entoure-lui le cou de tes bras, applique-lui dix baisers à la file, et après que tu lui auras empoigné son pilon dans ta main, serre-le si fort, qu’il achève de se mettre en fureur ; quand il sera tout feu et flammes, plante-le-toi dans le mitan et pousse-toi sur lui de toutes tes forces ; là, arrête-toi, immobile, et b***e l’homme amoureusement. Après être un peu restée ainsi en suspens, tu soupires, comme au comble de la jouissance, et tu lui dis : « Si j’achève, achèverez-vous ? » L’étalon te répondra, d’une voix envitaillée : « Oui, mon espérance ! » Toi, pas autrement que si son esprit était l’essieu et ta marjolaine la roue, à l’endroit où le moyeu la fait tourner, commence à te trémousser ; si tu vois qu’il est sur le point de finir, arrête-toi en disant : « Pas encore, ma vie, » et lui fourrant ta langue à pleine bouche, en ayant bien soin de ne pas ôter la clef de la serrure, pousse, recule, reviens dessus, doucement, fort, vas-y d’estoc et de taille, et touche le clavier en vraie Paladine. Pour abréger, je voudrais qu’en faisant cette besogne, tu aies de ces balancements de corps que prennent ceux qui jouent à la paume, quand ils ont la balle en main : ils s’escriment avec art et, faisant mine de vouloir courir par-ci, par-là, se dérobent si à propos que, sans être aucunement empêchés par l’adversaire, ils lancent le coup comme il leur plaît. Pippa. – Vous m’instruisez dans l’honnêteté d’abord, puis dans la déshonnêteté à ventre déboutonné ! Nanna. – Et je ne sors pas de mes gonds, pas du tout ; je veux que tu sois aussi p****n au lit qu’honnête femme partout ailleurs. Tâche qu’il ne se puisse imaginer de caresses que tu ne fasses à qui couche avec toi ; sois toujours aux aguets pour le gratter où cela le démange. Ah ! ah ! ah ! Pippa. – De quoi riez-vous ? Nanna. – Je ris de l’excuse qu’ont trouvée ceux à qui la queue ne peut pas se dresser. Pippa. – Quelle excuse ? Nanna. – Ils s’en prennent au trop d’amour et, bien sûr, bien sûr que si cette excuse n’existait pas, ils resteraient plus embarrassés que ne le sont les médecins quand le malade à qui ils demandent s’il va du corps, leur répond que oui ; ils ne savent plus alors quel remède donner et se trouvent tout penauds. C’est comme ces vieux qui, une fois grimpés sur vous, ne peuvent payer que de courbettes et de sornettes. Pippa. – Justement, je voulais vous demander comment il faudra me gouverner sous quelque baveux, lâcheur de pets, qui puera autant devant que derrière ; de quelle façon je devrai me laisser fatiguer à l’avoir toute une nuit sur le dos. Ma cousine me raconte que la je ne sais plus qui faillit trépasser en telle occurrence. Nanna. – Ma petite, la suavité des écus ne laisse arriver jusqu’au nez ni la putridité des haleines, ni la puanteur des pieds, et il est bien pire de recevoir des camouflets que de sentir l’odeur des latrines dans la bouche d’un homme qui fait de la dépense ; ceux-là vous achètent au poids de l’or la complaisance qu’on a pour les défauts. Écoute-moi bien ; je vais t’indiquer la manière de te comporter avec toutes espèces de MUSICO MUSICORUM ; si tu peux te plier aux humeurs des gens et les endurer avec patience, tu seras plus maîtresse de tout ce qu’ils ont que nous ne sommes moi à toi, et toi à moi. Pippa. – Éclairez-moi un peu au sujet de ces vieux-là. Nanna. – Te voici à souper avec de ces libidineux qui ont bonne volonté, mais tristes jambes. Pippa, les mets sont ici à profusion, les vins à discrétion, les hâbleries comme chez les grands seigneurs, et qui entendrait parler ces vantards dirait : « Voilà des gens qui doivent faire quinze milles à l’heure. » Si leur vaillance au lit égalait celle dont ils font preuve à l’encontre des faisans et du malvoisie, ils pourraient conchier Roland. Oui, s’ils contentaient leurs maîtresses, en les enfilant, comme ils les bourrent de friands morceaux à table, quel bonheur pour elles ! Les entêtés, les acharnés comptent sur le poivre, sur les truffes, sur les cardons, sur certains électuaires brûlants qui proviennent de France et s’en empiffrent plus que ne s’empiffrent de raisins les paysans. Parce qu’ils engloutissent les huîtres sans les mâcher, ils s’imaginent pouvoir faire merveille ! À ces soupers-là, tu peux manger quasi sans cérémonie.
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