I - Le début de l’Empire-2

1355 Words
Joséphine, bien qu’impératrice, était restée légitimiste, et se rendait parfaitement compte des côtés faibles de l’Empire. Aux Tuileries, dans la chambre de Marie-Antoinette, elle ne se sentait pas à sa place ; elle trouvait étonnant d’avoir pour dame d’honneur une duchesse d’ancienne race, et mettait toute son ambition à se faire pardonner par les royalistes son élévation au rang suprême. Napoléon était, lui aussi, très préoccupé des Bourbons, dans lesquels il avait le pressentiment de rencontrer ses successeurs. « Un de ses regrets les plus vifs, a écrit le prince de Metternich, était de ne pouvoir invoquer le principe de la légitimité comme base de sa puissance. Peu d’hommes ont plus profondément senti que lui combien l’autorité, privée de ce fondement, est précaire et fragile, et combien elle prête le flanc aux attaques. » Après avoir rappelé la démarche que l’empereur fit auprès de Louis XVIII, pour tâcher d’obtenir l’abandon des droits du prétendant, le prince de Metternich ajoute : « Me parlant de cette démarche, Napoléon me dit : La réponse de Monsieur était noble, elle était pleine de fortes traditions. Il y a dans ces légitimes quelque chose qui ne tient pas au seul esprit. » L’empereur qui, au début de sa carrière, afficha un si vif enthousiasme républicain, avait au fond une nature essentiellement autoritaire et monarchique. Il aurait voulu être un souverain d’ancienne roche. Le plaisir qu’il mettait à s’entourer des personnages de l’antique aristocratie prouve combien le soi-disant apôtre couronné de la démocratie avait les instincts nobiliaires. Les rares républicains restés fidèles à leurs principes s’indignaient de pareilles tendances ; ils avaient vu avec douleur se relever un trône, et, pour des motifs différents, les anciens jacobins non ralliés et les hommes de Coblentz, éloignés encore de la cour, s’unissaient dans un même sentiment d’amertume et de critique contre l’Empire. Le procès du général Moreau fit bien voir les germes d’opposition qui existaient à l’état latent. Il est difficile de se faire une idée de l’affluence énorme qui encombrait toutes les avenues du Palais de Justice le jour de l’ouverture des débats, et qui ne cessa de s’y porter pendant les douze jours que dura le procès, aussi intéressant pour les royalistes que pour les républicains. La meilleure compagnie de Paris tint à y assister. Le jugement fut rendu le 10 juin. Georges Cadoudal et dix-neuf accusés, parmi lesquels M. Armand de Polignac et M. de Rivière, furent condamnés à mort. Au grand étonnement de l’empereur, Moreau ne fut condamné qu’à deux ans de prison. Au lieu de lui faire subir sa peine, on lui accorda la permission de se rendre aux États-Unis. Pour lui faciliter les moyens de s’y établir, l’empereur lui acheta une maison de la rue d’Anjou-Saint-Honoré, pour une somme de huit cent mille francs, bien supérieure à sa valeur réelle, et en fit présent à Bernadotte, qui n’éprouva aucun scrupule à l’accepter. La somme fut payée à Moreau, avant son départ pour Cadix, sur les fonds secrets de la police. Joséphine, à force d’instances et de supplications, sauva les jours du duc Armand de Polignac, dont la peine de mort fut commuée en quatre années d’emprisonnement devant être suivies de la déportation. Mme Murat obtint la même commutation pour le marquis de Rivière, et ces deux grâces, auxquelles on donna une grande publicité, contribuèrent beaucoup à diminuer l’irritation des royalistes. Après le procès de Moreau, les partis, découragés, et se sentant réduits à l’impuissance, désarmèrent, au moins pour quelque temps. Napoléon fut partout le maître. On ne pensait plus à la République. Son nom figurait encore ainsi sur l’exergue des monnaies : « République française, Napoléon empereur, » mais elle n’existait plus qu’à l’état d’ombre, de fantôme. Cependant l’empereur voulut célébrer encore, en 1804, la fête républicaine du 14 juillet. Mais l’objet de cette fête fut si dénaturé qu’il eût été bien difficile d’y reconnaître l’anniversaire de la prise de la Bastille et de la première fédération. L’on ne dit pas un seul mot de ces deux évènements dans la cérémonie. L’éloge officiel de la Révolution fut remplacé par une distribution solennelle de croix de la Légion d’honneur. C’était la première fois que l’empereur et l’impératrice se montraient en public dans l’appareil de la souveraineté. Ce fut aussi la première fois qu’ils s’accordèrent le privilège de traverser en voiture la grande allée du jardin des Tuileries, Accompagnés d’un magnifique cortège, ils se rendirent, en grande pompe, à l’hôtel des Invalides, dont la Révolution avait fait un temple de Mars, et dont l’Empire venait de refaire une église catholique. Ils furent reçus à la porte de l’hôtel des Invalides par le gouverneur et par M. de Ségur, grand maître des cérémonies, et à l’entrée de l’église par le cardinal du Belloy, à la tête d’un nombreux clergé. Napoléon et Joséphine entendirent la messe avec recueillement ; puis, après un discours prononcé par le grand chancelier de la Légion d’honneur, M. de Lacépède, l’empereur dit à haute voix la formule du serment, à la fin de laquelle tous les légionnaires s’écrièrent : « Je le jure ! » Ce spectacle électrisa la foule et des acclamations unanimes retentirent. Au milieu même de la cérémonie, Napoléon appela près de lui le cardinal Caprara, qui avait pris une part si importante à la négociation du Concordat et qui bientôt devait si puissamment contribuer à décider le pape à venir à Paris pour le sacre. L’empereur, détachant de son cou le cordon de la Légion d’honneur, le donna à ce vieux et respectable prélat. Les chevaliers du nouvel ordre passèrent ensuite l’un après l’autre devant le trône souverain. Pendant ce défilé, un homme du peuple, vêtu d’une blouse, se plaça sur les marches du trône. On fut d’abord surpris, et l’on interrogea cet homme, qui montra son brevet de légionnaire. Aussitôt l’empereur le fit approcher avec empressement, et, lui remettant la croix, lui donna l’accolade. L’impératrice eut ce jour-là un succès de beauté, constaté par Mme de Rémusat elle-même, ordinairement peu bienveillante, et forcée de reconnaître que, par le goût de sa parure et l’habileté de sa recherche, Joséphine sut paraître jeune et agréable, en tête d’un nombre considérable de jeunes et jolies femmes dont, pour la première fois, elle se montrait entourée. « On la vit, au grand jour, ajoute la dame du palais, à l’éclat d’un soleil brillant, vêtue d’une robe de tulle rose, semée d’étoiles d’argent, fort découverte selon la mode du moment, couronnée d’un nombre infini d’épis de diamants, et cette toilette fraîche et resplendissante, l’élégance de sa démarche, le charme de son sourire, la douceur de ses regards ; produisirent un tel effet que j’ai ouï dire à nombre de personnes qui assistèrent à la cérémonie qu’elle effaçait tout le cortège qui l’environnait. » Trois jours après, l’empereur partait pour le camp de Boulogne. Malgré l’enthousiasme du peuple et de l’armée, une chose était bien évidente pour tout observateur sérieux, c’est que le nouveau régime, n’ayant pas la solidité qui résiste au malheur, avait besoin, pour vivre, de succès perpétuels. Napoléon était condamné, par son système de gouvernement, non seulement à réussir, mais à éblouir, à étonner, à subjuguer. Il fallait à son empire des pompes extraordinaires, des coups de théâtre prodigieux, des fêtes babyloniennes, des aventures gigantesques, des victoires colossales. Son blason impérial, pour ne point paraître mesquin, avait besoin d’être doré à outrance et devait compenser en gloire ce qui lui manquait en ancienneté. Pour se faire accepter par les monarques européens, ses nouveaux frères, et pour faire oublier en France les titres séculaires de la maison de Bourbon, l’ancien officier des armées de Louis XVI, l’ancien sous-lieutenant d’artillerie, devenu tout à coup un César et un Charlemagne, ne pouvait qu’à force de prestige rendre explicable une si subite et si étrange transformation. Il voulut avoir une cour féodale, majestueuse, entourée de toutes les pompes et de toute la hiérarchie du Moyen Âge. Il sentait la difficulté de son rôle, et comprenait combien une nation a besoin de gloire pour oublier la liberté. De là un effort perpétuel pour ajouter chaque jour quelque chose à l’éclat de la veille, et pour égaler d’abord, pour dépasser ensuite les splendeurs des plus vieilles et des plus célèbres dynasties. Cette insatiable soif d’action et de renommée allait être à la fois pour Napoléon la cause de sa force et celle de sa faiblesse. Mais seuls quelques hommes perspicaces se faisaient ces réflexions au début de l’Empire. Les masses, facilement optimistes, considéraient naïvement le nouvel empereur comme un être infaillible, impeccable, et s’imaginaient que, parce qu’il n’avait pas encore été vaincu, il était pour toujours invincible. Joséphine ne se faisait point de pareilles illusions ; elle connaissait les côtés défectueux du caractère de son époux, et redoutait l’avenir, non seulement pour elle, mais pour lui. Chose peu commune chez les personnes qui sont, comme elle, entourées d’une phalange innombrable de flatteurs, elle ne devait avoir dans sa carrière aucun moment d’orgueil ou d’infatuation.
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