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La Cour de l'impératrice Joséphine

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Extrait : "Les deux tiers de ma vie sont écoulés ; pourquoi tant m'inquiéter sur ce qui m'en reste ? La plus brillante fortune ne mérite point le tourment que je me donne, ni les petitesses où je me surprends, ni les humiliations, ni les hontes que j'essuie ; trente années détruiront ces colosses de puissance qu'on ne voyait qu'à force de lever la tête ; nous disparaîtrons, moi qui suis si peu de chose, et ceux que je contemplais si avidement, et de qui j'espérais toute..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.

• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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I - Le début de l’Empire-1
I Le début de l’Empire« Les deux tiers de ma vie sont écoulés ; pourquoi tant m’inquiéter sur ce qui m’en reste ? La plus brillante fortune ne mérite point le tourment que je me donne, ni les petitesses où je me surprends, ni les humiliations, ni les hontes que j’essuie ; trente années détruiront ces colosses de puissance qu’on ne voyait qu’à force de lever la tête ; nous disparaîtrons, moi qui suis si peu de chose, et ceux que je contemplais si avidement, et de qui j’espérais toute ma grandeur. Le meilleur de tous les biens, c’est le repos, la retraite, et un endroit qui soit son domaine. » Quand La Bruyère s’exprimait avec cette tristesse, quand il parlait ainsi de la cour « qui ne rend pas content », mais qui « empêche qu’on ne le soit ailleurs », de la cour, ce « pays où les joies sont visibles, mais fausses, et les chagrins cachés, mais réels », il avait devant lui le radieux château de Versailles, la gloire incomparable du roi-soleil, une monarchie qui se croyait inébranlable et éternelle. Que dirait-il, dans notre siècle, où les dynasties tombent comme des feuilles d’automne, où il faut bien moins de trente années pour détruire les colosses de puissance, où l’exilé du jour répète à l’exilé du lendemain la devise des cimetières : Hodie mihi, cras tibi ? que dirait-il, ce philosophe chrétien, à une époque où les palais, royaux et impériaux, ont été comme des hôtelleries dans lesquelles les souverains semblables à des voyageurs n’ont fait que passer, et où ces hôtelleries, dévorées par la flamme du pétrole, ne sont plus qu’un amas de ruines ? Étudier une cour, quelle qu’elle soit, c’est se donner à soi-même une leçon de haute sagesse, de détachement des choses humaines. Dans notre France du dix-neuvième siècle, si inconséquente, si versatile, si féconde en révolutions, en palinodies, en cataclysmes de tout genre, la leçon est plus saisissante qu’à aucune autre période de l’histoire. Jamais Dieu n’a fait mieux voir au monde le néant des grandeurs et des pompes d’ici-bas. Jamais la parole de l’Ecclésiaste ne s’est réalisée plus exactement : « Vanité des vanités, et tout est vanité ! » Nous allons essayer de retracer l’image d’une des cours les plus fastueuses qui aient existé sous le soleil, et de passer en revue des splendeurs d’autant plus brillantes qu’elles devaient être plus éphémères. À cette cour de Napoléon et de Joséphine, à cette cour si majestueuse, si éblouissante de gloire, de richesse, de prestige, on appliquerait bien justement les vers célèbres de Corneille : Toute votre félicité,Sujette à l’instabilité,En moins de rien tombe par terre,Et, comme elle a l’éclat du verre,Elle en a la fragilité.Nous évoquerons le souvenir des morts pour ressusciter cette cour évanouie, et nous consulterons, les uns après les autres, les personnages qui furent les témoins oculaires de ces merveilles anéanties si vite. Un préfet du palais impérial, M. de Bausset a écrit : « En reportant les yeux sur les époques mémorables dont je viens de donner une faible idée, j’ai cru, même après tant d’années, assister aux scènes pompeuses des Contes arabes et des Mille et une Nuits. Le tableau magique de tant de splendeurs et de tant de gloire a disparu, entraînant avec lui tous les prestiges de l’ambition et du pouvoir. » Une des dames du palais de l’impératrice Joséphine, Mme de Rémusat, a exprimé la même pensée : « Je crois encore rappeler un rêve, mais un rêve qui tient un peu des contes orientaux, quand je me retrace quel luxe fut étalé à cette époque, et quelle était en même temps l’agitation des préséances, des prétentions de rang, des réclamations de chacun. » Oui, il y avait dans tout cela quelque chose qui tenait du rêve, et les acteurs de cette féerie qui se nommait l’empire, de cette pièce à grand spectacle dont les décors, tantôt radieux, tantôt terribles, changeaient sans cesse, devaient être eux-mêmes plus étonnés que les spectateurs : Aix-la-Chapelle et le tombeau de Charlemagne, le château de Fontainebleau et le pape, Notre-Dame et le sacre, le Champ-de-Mars et la distribution des aigles, la cathédrale de Milan et la couronne de fer, Gênes la superbe et sa fête nautique, Austerlitz et les trois empereurs, quelles décorations, quels accessoires, quels personnages ! Accents de l’orgue, cantiques des prêtres, acclamations de la foule et des soldats, cris des mourants, son du clairon, roulement du tambour, orchestres de bal, fanfares militaires, bruit du canon, voilà les harmonies tour à tour joyeuses et lugubres, qui retentissent pendant que l’action se déroule. Au milieu de ce tumulte, de cette agitation, ce que nous regarderons surtout c’est une femme. Nous l’avons précédemment étudiée comme vicomtesse de Beauharnais, comme citoyenne Bonaparte, et comme femme du premier consul. Nous allons maintenant l’étudier dans son nouveau rôle, celui d’impératrice. Reportons-nous à la journée du 18 mai 1804. Nous sommes dans le château de Saint-Cloud. L’empire vient d’y être proclamé par le Sénat, avant le plébiscite qui doit ratifier le nouvel état de choses. La toile est levée, la pièce commence, et jamais drame n’aura eu plus de contrastes, plus de péripéties, plus de mouvement. Le principal acteur, Napoléon, est déjà habitué à son rôle, comme s’il le jouait depuis son enfance. Joséphine est aussi très bien dans le sien. Femme à la mode, n’a-t-elle pas appris, par ses succès de salon, à remporter des victoires plus considérables ? Pour une beauté en vogue, il n’y a pas une grande différence à être assise sur un fauteuil ou sur un trône. Les acteurs secondaires ne sont pas aussi familiarisés avec leur nouvelle attitude. Rien de plaisant comme l’embarras de tout le service, quand il s’agit de répondre aux interrogations de l’empereur. On commence par se tromper, puis on se reprend pour plus mal dire encore ; on répète dix fois en une minute : sire, général, Votre Majesté, citoyen, premier consul. Constant, le valet de chambre de l’empereur, nous décrit cette journée du 18 mai 1804, qui se passe en réceptions, présentations, entrevues et félicitations. « Tout le monde, dit-il, est ivre de joie dans le château de Saint-Cloud, chacun se fait l’effet d’être monté subitement en grade, comme le général Bonaparte, devenu, de premier consul, souverain. On s’embrasse, on se complimente, on se fait mutuellement part de ses espérances et de ses plans pour l’avenir ; il n’y a si mince subalterne qui ne soit saisi d’ambition. » En un mot, l’antichambre, sauf la différence des personnages, offre la répétition exacte de ce qui se passe dans le salon. On dirait une première représentation qui a été impatiemment attendue, et qui passionne au même degré les artistes et le public. La journée, d’abord éclairée par un soleil splendide s’est obscurcie. Le ciel, d’abord si pur, est tout à coup devenu noir comme de l’encre. Un orage a longtemps menacé d’éclater. Mais personne n’a vu là un mauvais présage. Les esprits sont tous portés à l’optimisme. Les courtisans font du zèle avec cet empressement, cette passion, cette furie française, qui est dans le caractère national, et qui s’exerce tour à tour sur un champ de bataille ou dans une antichambre. Les Français combattent et flattent avec la même ardeur. Seuls, au milieu de cette émulation de dévouement et d’allégresse, les membres de la famille impériale, ceux-là mêmes qui devraient être les plus satisfaits, et surtout les plus étonnés de leurs grandeurs, montrent un visage inquiet, presque chagrin. Seuls, ils laissent voir qu’ils ne sont pas contents du maître. Leur amour-propre est démesuré ; leurs susceptibilités sont extrêmes. Rien ne semble assez splendide pour eux, en fait d’honneurs et de privilèges, et quand on pense à la modeste maison de leur père, à Ajaccio, on ne peut s’empêcher de sourire devant les vanités de ces nouveaux princes du sang. Des quatre frères de Napoléon deux sont absents et brouillés avec lui : Lucien, pour avoir épousé Mme Jouberton ; Jérôme pour avoir épousé Mlle Paterson. Sa mère, Mme Lætitia Bonaparte, femme de tête, qui unit à beaucoup de courage un rare bon sens, n’est nullement enthousiasmée par la prodigieuse fortune du moderne César. Ayant le pressentiment que tout cela ne doit point durer, elle économise, par prudence et non par avarice. Tandis que les courtisans célèbrent les triomphes du nouvel empereur, elle s’attarde à Rome, auprès de son fils Lucien, qu’elle a suivi dans un exil volontaire, et en faveur de qui elle s’est prononcée, dans la querelle avec Napoléon. Quant à Joseph et à Louis, élevés, eux et leurs femmes, à la dignité d’Altesses impériales, et nommés, l’un grand-électeur, l’autre connétable, on pourrait croire que surchargés, comblés, accablés de richesses et d’honneurs, ils se déclarent satisfaits. Eh bien ! pas le moins du monde. Ce qui les indigne, c’est de n’être pas désignés personnellement dans le plébiscite par lequel leur postérité sera appelée à la succession de la couronne de France. Ce plébiscite est ainsi conçu : « Le peuple français veut l’hérédité de la dignité impériale dans la descendance directe, naturelle, légitime et adoptive de Napoléon Bonaparte ; et dans la descendance directe, naturelle, légitime de Joseph Bonaparte et de Louis Bonaparte, ainsi qu’il est réglé par le sénatus-consulte organique du 28 floréal an XII. » Ces stipulations sont, pour la famille de l’empereur, une cause de zizanies et de récriminations incessantes. Lucien et Jérôme regardent comme une chose inique l’exclusion dont ils sont frappés. Joseph et Louis se demandent avec indignation pourquoi l’on parle de leur postérité, au lieu de parler d’eux-mêmes. Très jaloux de Joséphine et de son fils, Eugène de Beauharnais, ils sont, en outre, très froissés du droit d’adoption que s’est réservé l’empereur, et qui contient pour eux-mêmes une menace et pour Eugène une espérance. Louis Bonaparte, furieux de la calomnie qui prétend que sa femme Hortense a été la maîtresse de Napoléon, la persécute, et prend de l’ombrage contre son propre fils, représenté comme celui de l’empereur. Quant à Élisa Bacciochi, Caroline Murat et Pauline Borghèse, elles ne peuvent supporter le chagrin d’être placées dans la hiérarchie, au-dessous de l’impératrice, leur belle-sœur, et la pensée qu’elles n’ont pas encore le titre de princesse du sang, qui est accordé à la femme de Joseph et à la femme de Louis, les plonge dans un véritable désespoir. Mme de Rémusat, qui assiste, le 18 mai 1804, au premier dîner impérial, dans le château de Saint-Cloud, va nous faire le tableau de ce curieux repas. Le général Duroc, grand maréchal du palais, a prévenu, les uns après les autres, tous les convives, des titres de prince et princesse qu’il faut donner à Joseph, à Louis et à leurs femmes, mais qu’il ne faut donner ni aux sœurs de l’empereur, ni à leurs maris. Cette fatale nouvelle consterne Élisa, Caroline et Pauline. On se met à table, Napoléon est gai, de bonne humeur, jouissant peut-être en secret de la petite contrainte que le nouveau cérémonial impose à ses convives. Mme Murat, entendant, à plusieurs reprises, l’empereur nommer la princesse Louis, ne peut ni cacher son dépit, ni retenir ses pleurs. Chacun en est embarrassé, tandis que Napoléon sourit malicieusement. Le lendemain, l’empereur vient à Paris tenir un grand lever aux Tuileries, car il n’est pas homme à retarder les jouissances d’apparat que son ambition satisfaite puise dans son nouveau titre. Dans ce palais où a régné le Comité de salut public, où a siégé la Convention, et d’où est parti triomphalement Robespierre pour présider à la fête de l’Être-Suprême, on n’entend plus prononcer que les noms d’empereur, d’impératrice, de monseigneur, de prince, de princesse, d’altesse impériale, d’altesse sérénissime. On prétend que Bonaparte a découpé les bonnets rouges pour faire des cordons de la Légion d’honneur. Les plus farouches révolutionnaires sont devenus conservateurs du moment où ils ont eu quelque chose à conserver. L’Empire a bien peu d’heures d’existence, et déjà l’on trouve à la cour qui vient de naître les mêmes compétitions, les mêmes jalousies, les mêmes vanités que dans les cours de monarchies plusieurs fois séculaires. On se croirait à Versailles, sous le règne de Louis XIV, dans la galerie des Glaces, ou dans le salon de l’Œil-de-Bœuf. Il faudrait un Dangeau pour noter heure par heure les minuties de l’étiquette. L’empereur marche, parle, pense, agit, comme un souverain d’ancienne race. On ne s’habitue à rien aussi promptement qu’à la puissance. L’homme investi du rang suprême se croit naïvement éternel. On dirait qu’il a toujours été et qu’il sera toujours. Comment ne pas être enivré par l’odeur d’un perpétuel encens ? Comment se dire à soi-même la vérité, quand il n’y a pas autour de soi une seule personne qui ait le courage de vous la dire ? À l’heure où la presse est muselée, où les pouvoirs publics n’ont d’autre droit que celui de l’approbation, où l’on ne trouve plus même, comme dans les ovations antiques, la voix de l’esclave qui rappelle au triomphateur qu’il n’est qu’un homme, comment ne pas être infatué de sa grandeur, comment ne pas se croire le maître absolu de la destinée ? Rien ne résiste au nouveau César. Il publiera dédaigneusement, dans le Moniteur, la protestation de Louis XVIII contre son avènement. Il se fera également adorer par des montagnards et par des grands seigneurs, par des régicides et par des hommes du trône et de l’autel. Il semble que tout commence, ou plutôt que tout recommence par lui. « Le vieux monde fut submergé, a dit Chateaubriand. Quand les flots de l’anarchie se retirèrent, Napoléon parut à l’entrée d’un nouvel univers, comme ces géants que l’histoire profane et sacrée nous peint au berceau de la société, et qui se montrèrent à la terre après le déluge. » L’ancien général de la République se complaît dans son attitude de souverain absolu. Il étudie les règlements de l’étiquette avec la même ardeur qu’il mettait à étudier ses états de troupes. Il trouve que les hommes d’ancien régime s’entendent mieux à l’art de la flatterie que les hommes nouveaux, même les plus empressés. Comme le remarque Mme de Staël, « chaque fois qu’un gentilhomme de l’ancienne cour rappelle l’étiquette du temps jadis, propose une révérence de plus, une certaine façon de frapper à la porte de quelque antichambre, une manière plus cérémonieuse de présenter une dépêche, de plier une lettre, de la terminer par telle ou telle formule, il est accueilli, comme s’il faisait faire des progrès au bonheur de l’espèce humaine. » Napoléon attache ou feint d’attacher une importance considérable aux mille riens dont se compose cette vie essentiellement futile qui s’appelle la vie de cour. Il établit dans les palais la même discipline que dans les camps. Tout y devient méthodique. Les courtisans apprennent le cérémonial, comme les officiers apprennent la théorie. La consigne est aussi scrupuleusement suivie dans les salons que sous les tentes. Au bout de quelques mois, l’empereur Napoléon aura la cour la plus brillante et la mieux tenue de toute l’Europe. Parfois le tourbillon de vanités dont il est entouré impatiente ce grand astre, sans lequel ses satellites ne seraient rien. Mais, à d’autres moments, son orgueil se complaît à la pensée que c’est sa volonté, son caprice, qui fait sortir du néant tous ces grands de la terre. Il ne lui déplaît pas de voir qu’on se passionne à un si haut degré pour les hochets imaginés par lui. Il aime à jeter ses courtisans, par un sourire ou par un visage froid, dans l’ivresse ou dans le désespoir. Il trouve l’ambition de ses sœurs puérile, mais il s’en amuse ; et, si elles pleurent un peu, il finit par leur accorder ce qu’elles désirent. Le 19 mai, après le dîner de famille, Mme Murat, de plus en plus affligée de n’être pas princesse, elle qui est une Bonaparte par naissance tandis que Mme Joseph et Mme Louis, qui ne sont qu’une Clary et une Beauharnais, portent ce titre de princesse, Mme Murat éclate en plaintes et en reproches. « Pourquoi, dit-elle à son tout-puissant frère, me condamner, moi et mes sœurs, à l’obscurité, au mépris, tandis qu’on couvre des étrangers d’honneurs et de dignités ? » D’abord Napoléon s’irrite de ce langage. « En vérité, s’écrie-t-il, à voir vos prétentions, mesdames, on croirait que nous tenons la couronne des mains du feu roi notre père. » À la fin de la conversation, Mme Murat, non contente de pleurer, s’évanouit. Napoléon s’adoucit à l’instant, et, quelques jours après, on apprend, par le Moniteur, que désormais, en parlant aux sœurs de l’empereur, on leur donnera la qualification de Princesse et d’Altesse impériale. L’impératrice eut pour dame d’honneur Mme de La Rochefoucauld et pour dame d’atours Mme de Lavalette. Ses dames du palais, dont le nombre devait être bientôt porté à douze, et plus tard, encore augmenté, n’étaient d’abord que quatre : Mmes de Talhouët, de Luçay, de Lauriston et de Rémusat. Ces dames excitèrent, elles aussi, des jalousies très vives, et l’on vit se produire, à cause d’elles, une sorte de parodie des agitations vaniteuses qui bouleversaient la famille impériale. Les femmes admises dans l’intimité de l’impératrice ne pouvaient se consoler des privilèges accordés aux dames du palais. Au fond, toutes les cours se ressemblent. Sur une plus grande et plus brillante échelle, ce sont les mêmes petitesses, les mêmes commérages, les mêmes zizanies que dans les loges de concierge, les antichambres et les offices. Regardez philosophiquement les choses d’un peu haut. Y a-t-il beaucoup de différence entre un maître d’hôtel et un chambellan, entre une femme de chambre et une dame du palais ? Ajoutons, toutefois, que, dès qu’ils ont des places et de l’argent à distribuer, les républicains ont des courtisans, tout aussi bien que les monarques, et qu’on trouve partout et toujours des gens prêts à se baisser, si, en se courbant, ils espèrent ramasser quelque chose à terre. Les révolutions changent les gouvernements, mais elles ne changent pas le cœur humain ; ce sont, après comme avant elles, les mêmes prétentions, les mêmes préjugés, les mêmes flatteries. Qu’on encense un tribun, un dictateur ou un César, ce sont toujours les mêmes génuflexions intéressées, la même bassesse. Le nouvel Empire commençait brillamment. Mais les critiques sourdes ne lui manquaient pas. Le faubourg Saint-Germain devenait en grande majorité hostile et dédaigneux. Il considérait comme des parvenus les grands dignitaires de l’Empire et l’empereur lui-même, comme des renégats les hommes d’ancien régime qui se ralliaient à lui. La dénomination de « citoyen » était supprimée et celle de « monsieur » rétablie, après avoir été effacée de la conversation et des écrits pendant douze ans. Miot de Mélito constate dans ses Mémoires que l’opinion se prêta d’abord d’assez mauvaise grâce à ce changement ; ceux-là mêmes qui, dans l’origine, avaient montré le plus de répugnance pour la dénomination de citoyen, trouvaient mauvais qu’on rendît le titre de monsieur à des révolutionnaires, à des sans-culottes, et affectaient de conserver l’appellation de citoyen, en parlant à ceux qu’ils rangeaient dans cette classe. Bien des gens se moquaient du nouvel état de choses. Les Parisiens, dont l’humeur est toujours malicieuse, faisaient des calembours ou aiguisaient des épigrammes. Ils disaient à propos de l’Empire : « C’est une belle pièce, mais il y a vingt scènes (Vincennes) de trop. » On faisait circuler ce billet de faire part de la mort de la République : L’indivisible citoyenne,Qui ne devait jamais périr,N’a pu supporter, sans mourir,L’opération césarienne.Grands parents de la République,Grands raisonneurs de politique,Dont je partage la douleur,Venez assister, en famille,Au grand convoi de votre fille,Morte en couche d’un empereur.Le faubourg Saint-Germain, malgré quelques adhésions intéressées, était ironique. Le général de Ségur, alors capitaine et attaché au service du grand maréchal du palais, remarqua qu’en 1804, à fort peu d’exceptions près, portant sur plusieurs nobles obscurs, pauvres ou ruinés, et sur d’autres déjà engagés dans la fortune civile et militaire de Napoléon, il fallut d’abord bien des négociations et bien des séductions de diverse nature pour décider quelques noms connus à figurer dans la première composition de la cour. Le général ajoute à ce sujet : « Spectateur, confident aussi des moyens qu’on mit en usage, je fus dans ces premiers temps témoin de bien des refus, et chargé de quelques-uns. J’entendis même à cet égard des plaintes amères. Je me souviens que, en y répondant, j’alléguai mon exemple à l’impératrice, en racontant ce qu’il m’en avait coûté pour me ranger sous le drapeau tricolore, puis même pour me décider à entrer dans la maison militaire du premier consul. Cette réponse fut si bien comprise par l’impératrice qu’elle y répliqua par une semblable confidence. C’était l’aveu de ses combats intérieurs, de ses longues répugnances, à la fin de 1795, malgré son goût pour Bonaparte, avant de se résoudre à épouser celui qu’elle-même appelait alors le général Vendémiaire. »

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