– Aussi j’ai ouï parler d’une grande dame qui disait que nul samedi fût sans soleil, nulle belle femme sans amours et nul vieillard sans être jaloux ; et tout procède pour la débolezze de ses forces.
C’est pourquoi un grand prince que je sais disait qu’il voudrait ressembler le lion, qui, pour vieillir, ne blanchit jamais ; le singe, qui tant plus il le fait tant plus il le veut faire ; le chien, tant plus il vieillit son cas se grossit, et le cerf, que tant plus il est vieux tant mieux il le fait, et les biches vont plutôt à lui qu’aux jeunes.
Or, pour en parler franchement, ainsi que j’ai ouï dire à un grand personnage, quelle raison y a-t-il, ni quelle puissance a-t-il le mari si grande, qu’il doive et puisse tuer sa femme, vu qu’il ne l’a point de Dieu, ni de sa loi, ni de son saint Évangile, sinon de la répudier seulement ? Il ne s’y parle point de meurtre, de sang, de mort, de tourments, de poison, de prisons ni de cruautés. Ah ! que Noire-Seigneur Jésus-Christ nous a bien remontré qu’il y avait de grands abus en ces façons de faire et en ces meurtres, et qu’il ne les approuvait guère, lorsqu’on lui amena cette pauvre femme accusée d’adultère pour jeter sa sentence de punition ; il leur dit, en écrivant en terre de son doigt : « Celui de vous autres qui sera le plus net et le plus simple, qu’il prenne la première pierre et commence à la lapider » ; ce que nul n’osa faire, se sentant atteint de telle sage et douce répréhension.
Notre Créateur nous apprenait à tous de n’être si légers à condamner et faire mourir les personnes, même sur ce sujet, connaissant les fragilités de notre nature et l’abus que plusieurs y commettent ; car tel fait mourir sa femme qui est plus adultère qu’elle, et tels les font mourir bien souvent innocentes, se fâchant d’elles pour en prendre d’autres nouvelles : et combien y en a-t-il ! Saint Augustin dit que l’homme adultère est aussi punissable que la femme.
– J’ai ouï parler d’un très grand prince de par le monde, qui, soupçonnant sa femme f***********r avec un galant cavalier, il le fit assassiner sortant le soir de son palais, et puis la dame ; laquelle, un peu auparavant, à un tournoi qui se fit à la cour, et elle fixement regardant son serviteur qui maniait bien son cheval, se mit à dire : « Mon Dieu ! qu’un tel pique bien ! – Oui, mais il pique trop haut » ; ce qui l’étonna, et après fut empoisonnée par quelques parfums ou autrement par la bouche.
– J’ai connu un seigneur de bonne maison qui fit mourir sa femme, qui était très belle et de bonne part et de bon lieu, en l’empoisonnant par sa nature, sans s’en ressentir, tant subtile et bien fait avait été ce poison, pour épouser une grande dame qui avait épousé un prince, dont en fut en peine, en prison et en danger sans ses amis : et le malheur voulut qu’il ne l’épousât pas, et en fut trompé et fort scandalisé et mal vu des hommes et des dames.
– J’ai vu de grands personnages blâmer grandement nos rois anciens, comme Louis Hutin et Charles le Bel, pour avoir fait mourir leurs femmes : l’une, Marguerite, fille de Robert, duc de Bourgogne ; et l’autre, Blanche, fille d’Othelin, comte de Bourgogne, leur mettant à sus leurs adultères, et les firent mourir cruellement en quatre murailles, au château Gaillard ; et le comte de Foix en fit de même à Jeanne d’Artois. Sur quoi il n’y avait point tant de forfaits et de crimes comme ils le faisaient croire ; mais messieurs se fâchaient de leurs femmes et leur mettaient à sus ces belles besognes et en épousèrent d’autres.
– Comme de vrai, le roi Henri d’Angleterre fit mourir sa femme Anne de Boulan et la décapiter, pour en épouser une autre, ainsi qu’il était fort sujet au sang et au change de nouvelles femmes. Ne vaudrait-il pas mieux qu’ils les répudiassent, selon la parole de Dieu, que les faire ainsi cruellement mourir ? Mais il leur en faut de la viande fraîche à ces messieurs, qui veulent tenir table à part sans y convier personne, ou avoir nouvelles et secondes femmes qui leur apportent des biens après qu’ils ont mangé ceux de leurs premières, ou n’en ont eu assez pour les rassasier ; ainsi que fit Baudouin, second roi de Jérusalem, qui, faisant croire à sa première femme qu’elle avait paillardé, la répudia pour prendre une fille du duc de Maliterne, parce qu’elle avait une dot d’une grande somme d’argent, dont il était fort nécessiteux. Cela se trouve en l’histoire de la Terre Sainte.
Il leur sied bien de corriger la loi de Dieu et en faire une nouvelle, pour faire mourir ces pauvres femmes !
– Le roi Louis le Jeune n’en fit pas de même à l’endroit de Léonore, duchesse d’Aquitaine, qui, soupçonnée d’adultère, possible à faux, en son voyage de Syrie, fut répudiée de lui seulement, sans vouloir user de la loi des autres, inventée et pratiquée plus par autorité que de droit et raison ; dont sur ce il en acquit plus grande réputation que les autres rois, et titre de bon, et les autres de mauvais, cruels et tyrans ; aussi que dans son âme il avait quelques remords de conscience d’ailleurs : et c’est vivre en chrétien cela, voire que les païens romains la plupart s’en sont acquittés de même plus chrétiennement que païennement, et principalement aucuns empereurs, desquels la plus grande part ont été sujets à être cocus et leurs femmes très lubriques et fort putains, et, tels cruels qu’ils ont été, vous en lirez force qui se sont défaits de leurs femmes plus par répudiations que par tueries de nous autres chrétiens.
– Jules César ne fit autre mal à sa femme Pompéia, sinon la répudier, laquelle avait été adultère de Publius Claudius, beau jeune gentilhomme romain, de laquelle étant éperdument amoureux et elle de lui, épia l’occasion qu’un jour elle faisait un sacrifice en sa maison où il n’y entrait que des dames : il s’habilla en g***e, lui qui n’avait encore point de barbe au menton, qui se mêlant de chanter et de jouer des instruments, et par ainsi passant par cette montre, eut loisir de faire avec sa maîtresse ce qu’il voulut ; mais, étant reconnu, il fut chassé et accusé, et par moyen d’argent et de faveur il fut absous, et n’en fut autre chose.
Cicéron y perdit son latin par une belle oraison qu’il fit contre lui. Il est vrai que César, voulant faire croire au monde qui lui persuadait sa femme innocente, il répondit qu’il ne voulait pas que seulement son lit fût taché de ce crime, mais exempt de toute suspicion. Cela était bon pour en abreuver ainsi le monde ; mais, dans son âme, il savait bien ce que voulait dire cela, sa femme avait été ainsi trouvée avec son amant ; si que possible lui avait-elle donné cette assignation et cette commodité ; car, en cela, quand la femme veut et désire, il ne faut point que l’amant se soucie d’imaginer des commodités, car elle en trouvera plus en une heure que nous autres saurions faire en cent ans : ainsi que dit une dame de par le monde, que je sais, qui dit à son amant : « Trouvez moyen seulement de m’en faire venir l’envie, car, d’ailleurs, j’en trouverai prou pour en venir là. »
César aussi savait bien combien vaut l’aune de ces choses-là, car il était un fort grand ruffian, et l’appelait-on le coq à toutes poules, et en fit force cocus en sa ville, témoin le sobriquet que lui donnaient ses soldats à son triomphe : Romani, servate uxores, mœchum adducimus calvum, c’est-à-dire : « Romains, serrez bien vos femmes, car nous vous amenons ce grand paillard et adultère de César le chauve, qui vous les repassera toutes. »
Voilà donc comme César, par cette sage réponse qu’il fit ainsi de sa femme, il s’exempta de porter le nom de cocu qu’il faisait porter aux autres ; mais, dans son âme, il se sentait bien touché.
– Octavie César répudia aussi Scribonia pour l’amour de sa paillardise sans autre chose, et ne lui fit autre mal, bien qu’elle eût raison de le faire cocu, à cause d’une infinité de dames qu’il entretenait, et devant leurs maris publiquement les prenait à table aux festins qu’il leur faisait, et les emmenait en sa chambre, et, après en avoir fait, les renvoyait, les cheveux défaits un peu et détortillés, avec les oreilles rouges : grand signe qu’elles en venaient, lequel je n’avais ouï dire propre pour découvrir que l’on en vient ; ouï bien le visage, mais non l’oreille. Aussi lui donna-t-on la réputation d’être fort paillard ; même Marc-Antoine le lui reprocha ; mais il s’excusait qu’il n’entretenait point tant les dames pour la paillardise que pour découvrir plus facilement les secrets de leurs maris, desquels il se méfiait.
J’ai connu plusieurs grands et autres, qui en ont fait de même et ont recherché les dames pour ce même sujet, dont s’en sont bien trouvés ; j’en nommerais bien aucuns : ce qui est une bonne finesse, car il en sort double plaisir.
La conjuration de Catilina fut ainsi découverte par une dame de joie.
– Ce même Octavie, à sa fille Julia, femme d’Agrippa, pour avoir été une très grande p****n, et qui lui faisait grande honte (car quelquefois les filles font à leurs pères plus de déshonneur que les femmes ne font à leurs maris), fut une fois en délibération de la faire mourir ; mais il ne la fit que bannir, lui ôter le vin et l’usage des beaux habillements, et d’user de pauvres, pour très grande punition, et la fréquentation des hommes : grande punition pourtant pour les femmes de cette condition de les priver de ces deux derniers points !
– César Caligula, qui était un fort cruel tyran, ayant eu opinion que sa femme Livia Hostilia lui avait dérobé quelques coups en robe et donné à son premier mari C. Piso, duquel il l’avait ôtée par force, et à lui encore vivant, lui faisait quelque plaisir et gracieuseté de son gentil corps pendant qu’il était absent en quelque voyage, n’usa point en son endroit de sa cruauté accoutumée, mais la bannit de soi seulement, au bout de deux ans qu’il l’eut ôtée à son mari Piso et épousée.
Il en fit de même à Tullia Paulina, qu’il avait ôtée à son mari C. Memmius : il ne la fit que chasser, mais avec défense expresse de n’user nullement de ce métier doux, non pas seulement à son mari : rigueur cruelle pourtant de n’en donner à son mari !
J’ai ouï parler d’un grand prince chrétien qui fit cette défense à une dame qu’il entretenait, et à son mari de n’y toucher, tant il en était jaloux.
– Claudius, fils de Drusus Germanicus, répudia tant seulement sa femme Plantia Herculalina, pour avoir été une signalée p****n, et, qui pis est, pour avoir entendu qu’elle avait attenté sur sa vie ; et, tout cruel qu’il était, encore que ces deux raisons fussent assez battantes pour la faire mourir, il se contenta du divorce.
Davantage, combien de temps porta-t-il les fredaines et sales bourdelleries de Valleria Messalina, son autre femme, laquelle ne se contentait pas de le faire avec l’un et l’autre dissolument et indiscrètement, mais faisait profession d’aller aux bourdeaux s’en faire donner, comme la plus grande bagasse de la ville, jusque-là, comme dit Juvénal, qu’ainsi que son mari était couché avec elle, se dérobait tout bellement d’auprès de lui le voyant bien endormi, et se déguisait le mieux qu’elle pouvait et s’en allait en plein bourdeau, et là s’en faisait donner si très tant, et jusque qu’elle en partait plutôt lasse que saoule et rassasiée, et faisait encore pis : pour mieux se satisfaire et avoir cette réputation et contentement en soi d’être une grande p****n et bagasse, se faisait payer et taxait ses coups et ses chevauchées, comme un commissaire qui va par pays, jusqu’à la dernière maille.
J’ai ouï parler d’une dame de par le monde, d’assez chère étoffe, qui quelque temps fit cette vie et alla ainsi aux bourdeaux déguisée, pour en essayer la vie et s’en faire donner ; si que le guet de la ville, en faisant la ronde, l’y surprit une nuit. Il y en a d’autres qui font ces coups, que l’on sait bien.
Boccace, en son livre des Illustres malheureux, parle de cette Messaline gentiment et la fait alléguant ses excuses en cela, d’autant qu’elle était du tout née à cela, si que le jour qu’elle naquit ce fut en certains signes du ciel qui l’embrasèrent et elle et autres. Son mari le savait et l’endura longtemps, jusqu’à ce qu’il sût qu’elle s’était mariée sous bourre avec un Caïus Silius, l’un des beaux gentilshommes de Rome. Voyant que c’était une assignation sur sa vie, la fit mourir sur ce sujet, mais nullement pour sa paillardise, car il y était tout accoutumé à la voir, la savoir et l’endurer.