Un autre de par le monde tua sa femme en pleine cour, lui ayant donné l’espace de quinze ans toutes les libertés du monde, et qu’il était assez informé de sa vie, jusqu’à lui remontrer et l’admonester. Toutefois une verve lui prit (on dit que ce fut par la persuasion d’un grand son maître), et par un matin vint la trouver dans son lit ainsi qu’elle voulait se lever, et ayant couché avec elle, causé et ri bien ensemble, lui donna quatre ou cinq coups de dague, puis la fit achever à un sien serviteur, et après la fit mettre en litière, et devant tout le monde fut emportée en sa maison pour la faire enterrer. Après s’en retourna, et se présenta à la cour, comme s’il eût fait la plus belle chose du monde, et en triompha. Il eût bien fait de même à ses amoureux ; mais il eût eu trop d’affaires, car elle on avait tant eu et fait, qu’elle en eût fait une petite armée.
J’ai ouï parler d’un brave et vaillant capitaine pourtant, qui, ayant eu quelque soupçon de sa femme, qu’il avait prise en très bon lieu, la vint trouver sans autre suite, et l’étrangla lui-même de sa main de son écharpe blanche, puis la fit enterrer le plus honorablement qu’il put, et assista aux obsèques habillé en deuil, fort triste, et le porta fort longtemps ainsi habillé : et voilà la pauvre femme bien satisfaite, et pour la bien ressusciter par belle cérémonie : il en fit de même à une demoiselle de sa dite femme qui lui tenait la main à ses amours. Il ne mourut sans lignée de cette femme, car il en eut un brave fils, des vaillants et des premiers de sa patrie, et qui, par ses valeurs et mérites, vint à de grands grades, pour avoir bien servi ses rois et maîtres.
– J’ai ouï parler aussi d’un grand en Italie qui tua aussi sa femme, n’ayant pu attraper son galant pour s’être sauvé en France : mais on disait qu’il ne la tua point tant pour le péché (car il y avait assez de temps qu’il savait qu’elle faisait l’amour, et n’en faisait point autre mine) que pour épouser une autre dame dont il était amoureux.
– Voilà pourquoi il est fort dangereux d’assaillir et attaquer un c… armé, encore qu’il y en ait d’assaillis aussi bien et autant que de désarmés, voire vaincus, comme j’en sais un qui était aussi bien armé qu’en tout le monde. Il y eut un gentilhomme, brave et vaillant certes, qui le voulut mugueter ; encore ne s’en contentait-il pas, il s’en voulut prévaloir et publier : il ne dura guère qu’il ne fût aussitôt tué par gens apostés, sans autrement faire scandale, ni sans que la dame en pâtît, qui demeura longuement pourtant en tremble et aux altères, d’autant qu’étant grosse, et se fiant qu’après ses couches, qu’elle eût voulut être allongées d’un siècle, elle aurait autant ; mais le mari, bon et miséricordieux, encore qu’il fût des meilleures épées du monde, lui pardonna, et n’en fut jamais autre chose, et non sans grande alarme de plusieurs autres des serviteurs qu’elle avait eus ; car l’autre paya pour tous. Aussi la dame, reconnaissant le bienfait et la grâce d’un tel mari, ne lui donna jamais que peu de soupçons depuis, car elle fut des assez sages et vertueuses d’alors.
– Il arriva tout autrement un de ces ans au royaume de Naples, à donne Marie d’Avalos, l’une des belles princesses du pays, mariée avec le prince de Venouse, laquelle s’étant amourachée du comte d’Andriane, l’un des beaux princes du pays aussi, et s’étant tous deux concertés à la jouissance (et le mari l’ayant découverte par le moyen que je dirais, mais le conte en serait trop long), voire couchés ensemble dans le lit, les fit tous deux massacrer par gens apostés ; si que le lendemain on trouva ces deux belles créatures et moitiés exposées étendues sur le pavé devant la porte de la maison, toutes mortes et froides, à la vue de tous les passants, qui les larmoyaient et plaignaient de leur misérable état.
Il y eut des parents de ladite dame morte qui en furent très dolents et très estomaqués, jusqu’à s’en vouloir ressentir par la mort et le meurtre, ainsi que la loi du pays le porte, mais d’autant qu’elle avait été tuée par des marauds de valets et esclaves qui ne méritaient d’avoir leurs mains teintes d’un si beau et si noble sang, et sur ce seul sujet s’en voulaient ressentir et rechercher le mari, soit, par justice ou autrement, et non s’il eût fait le coup lui-même de sa propre main ; car n’en eût été autre chose, ni recherché.
Voilà une sotte et bizarre opinion et formalisation, dont je m’en rapporte à nos grands discoureurs et bons jurisconsultes, pour savoir quel acte est plus énorme, de tuer sa femme de sa propre main qui l’a tant aimée ou de celle d’un maraud esclave.
Il y a force raisons à déduire là-dessus dont je me passerai de les alléguer, craignant qu’elles soient trop faibles au prix de celles de ces grands.
J’ai ouï conter que le vice-roi, en sachant la conjuration, en avertit l’amant, voire l’amante ; mais telle était leur destinée, qui se devait ainsi finir par si belles amours.
Cette dame était fille de dom Carlo d’Avalos, second frère du marquis de Pescayre, auquel, si on eût fait un pareil tour en aucune de ses amours que je sais, il y a longtemps qu’il eût été mort.
– J’ai connu un mari, lequel venant de dehors et ayant été longtemps qu’il n’avait couché avec sa femme, vint résolu et bien joyeux pour le faire avec elle et s’en donner bon plaisir ; mais, arrivant de nuit, il entendit par le petit espion qu’elle était accompagnée de son ami dans le lit : lui aussitôt mit la main à l’épée, et frappant à la porte, et étant ouverte, vint résolu pour la tuer ; mais premièrement, cherchant le galant, qui avait sauté par la fenêtre, vint à elle pour la tuer ; mais, par cas, elle s’était cette fois si bien attifée, si bien parée pour sa coiffure de nuit, et de sa belle chemise blanche, et si bien ornée (pensez qu’elle s’était ainsi dorlotée pour mieux plaire à son ami) qu’il ne l’avait jamais trouvée ainsi bien accommodée pour lui ni à son gré, qu’elle, se jetant en chemise à terre et à ses genoux, lui demandant pardon par si belles et douces paroles qu’elle dit, comme de vrai elle savait très bien dire, que, la faisant relever et la trouvant si belle et de bonne grâce, le cœur lui fléchit, et laissant tomber son épée, lui, qui n’avait fait rien il y avait si longtemps et qui en était affamé (dont possible bien en prit à la dame, et que la nature l’émouvait), il lui pardonna et la prit et l’embrassa et la remit au lit, et se déshabillant soudain se coucha avec elle, referma la porte ; et la femme le contenta si bien par ses doux attraits et mignardises (pensez qu’elle n’y oublia rien) qu’enfin le lendemain on les trouva meilleurs amis qu’auparavant et jamais ne se firent tant de caresses : comme fit Ménélas, le pauvre cocu, lequel, l’espace de dix ou douze ans, menaçant sa femme Hélène qu’il la tuerait s’il la tenait jamais, et même lui disait du bas de la muraille en haut ; mais, Troie prise et elle tombée entre ses mains, il fut si ravi de sa beauté qu’il lui pardonna tout et l’aima et caressa mieux que jamais.
Tels maris furieux encore sont bons, qui de lions tournent ainsi en papillons ; mais il est malaisé à faire une telle rencontre que celle-ci.
Une grande, belle et jeune dame du règne du roi François 1er, mariée avec un grand seigneur de France et d’aussi grande maison qui y soit point, se sauva bien autrement et mieux que la précédente ; car, fût ou qu’elle eût donné quelque sujet d’amour à son mari ou qu’il fût surpris d’un ombrage ou d’une rage soudaine et fût venu à elle l’épée nue à la main pour la tuer, désespérant de tout secours humain pour s’en sauver, s’avisa soudain de se vouer à la glorieuse Vierge Marie et en aller accomplir son vœu à sa chapelle de Lorette si elle la sauvait, à Saint-Jean-des-Mauverets, au pays d’Anjou. Et sitôt qu’elle eût fait ce vœu mentalement, ledit seigneur tomba par terre et lui faillit son épée du poing ; puis tantôt se releva, et comme venant d’un songe, demanda à sa femme à quel saint elle s’était recommandée pour éviter ce péril. Elle lui dit que c’était à la Vierge Marie, en sa chapelle susdite, et avait promis d’en visiter le saint lieu. Lors il lui dit : « Allez-y donc et accomplissez votre vœu » ; ce qu’elle fit, et y appendit un tableau contenant l’histoire, ensemble plusieurs beaux et grands vœux de cire, à ce jadis accoutumés, qui s’y sont vus longtemps après. Voilà un bon vœu et belle escapade inopinée. Voyez la chronique d’Anjou.
J’ai ouï parler que le roi François, une fois, voulut aller coucher avec une dame de sa cour qu’il aimait. Il trouva son mari l’épée au poing pour l’aller tuer ; mais le roi lui porta la sienne à la gorge et lui commanda, sur sa vie, de ne lui faire nul mal et que s’il lui faisait la moindre chose du monde, qu’il le tuerait ou qu’il lui ferait trancher la tête, et pour cette nuit l’envoya dehors et prit sa place.
Cette dame était bien heureuse d’avoir trouvé un si bon champion et protecteur de son c…, car oncques depuis le mari ne lui osa sonner mot et lui laissa du tout faire à sa guise.
J’ai ouï dire que non seulement cette dame, mais plusieurs autres, obtinrent pareille sauvegarde du roi. Comme plusieurs sont en guerre pour sauver leurs terres et y mettent les armoiries du roi sur leurs portes, comme font ces femmes, celles de ces grands rois, au bord et au-dedans de leur c…, si bien que leurs maris ne leur osaient dire mot, qui, sans cela, les eussent passés au fil de l’épée.
J’en ai connu d’autres dames, favorisées ainsi des rois et des grands, qui portaient ainsi leurs passeports partout : toutefois, y en avait-il aucunes qui passaient le pas, auxquelles leurs maris, n’osant y apporter le couteau, s’aidaient des poisons et morts cachées et secrètes, faisant accroire que c’étaient cathares, apoplexie et mort subite : et tels maris sont détestables de voir à leurs côtés coucher leurs belles femmes, languir et tirer à la mort de jour en jour, et méritent mieux la mort que leurs femmes ; ou bien les font mourir entre deux murailles, en chartre perpétuelle, comme nous en avons aucunes chroniques anciennes de France et comme j’en ai su un grand de France qui fit ainsi mourir sa femme, qui était une fort belle et honnête dame, et ce par arrêt de la cour, prenant son petit plaisir par cette voie à se faire déclarer cocu.
De ces forcenés et furieux maris de cocus sont volontiers les vieillards, lesquels, se défiant de leurs forces et chaleurs et s’assurant de celles de leurs femmes, même quand ils ont été si sots de les épouser jeunes et belles, ils en sont si jaloux et si ombrageux, tant par leur naturel que par leurs vieilles pratiques, qu’ils ont traitées eux-mêmes autrefois ou vu traiter à d’autres, qu’ils mènent si misérablement ces pauvres créatures que leur purgatoire leur serait plus doux que non pas leur autorité. L’Espagnol dit : El diabolo sabe mucho, porque es viejo, c’est-à-dire que « le diable sait beaucoup, parce qu’il est vieux » ; de même ces vieillards, par leur âge et anciennes routines, savent force choses. Aussi sont-ils grandement à blâmer de ce point que, puisqu’ils ne peuvent contenter les femmes, pourquoi les vont-ils épouser ? Et les femmes aussi belles que jeunes ont grand tort de les aller épouser, sous l’ombre des biens, en pensant jouir après leur mort, qu’elles attendent d’heure à autre ; et cependant se donnent du bon temps avec des amis jeunes qu’elles font, dont aucunes d’elles en pâtissent grièvement.
– J’ai ouï parler d’une, laquelle étant surprise sur le fait, son mari, vieillard, lui donna un poison duquel elle languit plus d’un an et vint sèche comme bois ; et le mari Fallait voir souvent, et se plaisait en cette langueur, et en riait, et disait qu’elle n’avait que ce qu’il lui fallait.
– Une autre, son mari l’enferma dans une chambre et la mit au pain et à l’eau, et bien souvent la faisait dépouiller toute nue et la fouettait son saoul, n’ayant compassion de cette belle charnure nue, ni non plus d’émotion. Voilà le pis d’eux, car étant dégarnis de chaleurs et dépourvus de tentation comme une statue de marbre, n’ont pitié de nulle beauté et passent leurs rages par de cruels martyres, au lieu qu’étant jeunes la passeraient possible sur leur beau corps nu, comme j’ai dit ci-devant.
Voilà pourquoi il ne fait pas bon d’épouser de tels vieillards bizarres, car encore que la vue leur baisse et vienne à manquer par l’âge, si en ont-ils toujours prou pour épier et voir les frasques que leurs jeunes femmes leur peuvent faire.