Discours premier-1

2024 Words
Discours premier SUR LES DAMES QUI FONT L’AMOUR ET LEURS MARIS COCUS Champollion H. Pille D’autant que ce sont les dames qui ont fait la fondation du cocuage et que ce sont elles qui font les hommes cocus, j’ai voulu mettre ce discours parmi ce livre des dames, encore que je parlerai autant des hommes que des femmes. Je sais bien que j’entreprends une grande œuvre, et que je n’aurais jamais fait si j’en voulais montrer la fin, car tout le papier de la Chambre des comptes de Paris n’en saurait jamais comprendre par écrit la moitié de leurs histoires, tant des femmes que des hommes ; mais pourtant j’en écrirai ce que je pourrai et quand je n’en pourrai plus, je quitterai ma plume au diable ou à quelque bon compagnon qui la reprendra ; m’excusant si je n’observe en ce discours ordre ni demi, car de telles gens, de telles femmes le nombre en est si grand, si confus et si divers, que je ne sache si bon sergent de bataille qui le puisse bien mettre en rang et ordonnance. Suivant donc ma fantaisie, j’en dirai comme il me plaira, en ce mois d’avril qui en ramène la saison et venaison des cocus : je dis des branchiers, car d’autres il s’en fait et s’en voit assez tous les mois et saisons de l’an. Or de ce genre de cocus il y en a force de diverses espèces ; mais de toutes la pire est, et que les dames craignent et doivent craindre autant, ce sont ces fous dangereux, bizarres, mauvais, malicieux, cruels, sanglants et ombrageux qui frappent, tourmentent, tuent, les uns pour le vrai, les autres pour le faux, tant le moindre soupçon du monde les rend enragés ; et de tels la conversation est fort à fuir et pour leurs femmes et pour leurs serviteurs. Toutefois j’ai connu des dames et de leurs serviteurs qui ne s’en sont point souciés ; car ils étaient aussi mauvais que les autres, et les dames étaient courageuses, tellement que si le courage venait à manquer à leurs serviteurs, le leur remettaient ; d’autant que tant plus toute entreprise est périlleuse et scabreuse, d’autant plus se doit-elle faire et exécuter de grande générosité. D’autres telles dames ai-je connues qui n’avaient nul cœur ni ambition pour attenter choses hautes, et ne s’amusaient du tout qu’à leurs choses basses : aussi dit-on lâche de cœur comme une p****n. J’ai connu une honnête dame, et non des moindres, laquelle, en une bonne occasion qui s’offrit pour recueillir la jouissance de son ami, et lui remontrant à elle l’inconvénient qui en adviendrait si le mari, qui n’était pas loin, les surprenait, n’en fit plus de cas, et le quitta là, ne l’estimant hardi amant, ou bien pour ce qu’il la dédît au besoin : d’autant qu’il n’y a rien que la dame amoureuse, lorsque l’ardeur et la fantaisie de venir là lui prend, et que son ami ne la peut ou veut contenter tout à coup pour quelques divers empêchements, haïsse plus et s’en dépite. Il faut bien louer cette dame de sa hardiesse et d’autres aussi ses pareilles, qui ne craignent rien pour contenter leurs amours, bien qu’elles y courent plus de fortunes et dangers que ne fait un soldat ou un marinier, aux plus hasardeux périls de la guerre ou de la mer. Une dame espagnole, conduite une fois par un galant cavalier dans le logis du roi, venant à passer par un certain recoin caché et sombre, le cavalier, se mettant sur son respect et discrétion espagnole, lui dit : Senora, buen lugar, si no fuera vuessa merced. La dame lui répondit seulement : Si, buen lugar, si no fuera vuessa merced, c’est-à-dire : « Voici un beau lieu, si c’était une autre que vous. – Oui vraiment, si c’était aussi un autre que vous ; » par-là l’arguant et inculpant de couardise, pour n’avoir pris d’elle en si bon lieu ce qu’il voulait et elle désirait ; ce qu’eût fait un autre plus hardi et, pour ce, jamais plus ne l’aima et le quitta. J’ai ouï parler d’une fort belle et honnête dame, qui donna assignation à son ami de coucher avec elle, par tel si qu’il ne la toucherait nullement et ne viendrait aux prises ; ce que l’autre accomplit, demeurant toute la nuit en grande extase, tentation et continence, dont elle lui en sut si bon gré, que quelque temps après lui en donna jouissance, disant pour ses raisons qu’elle avait voulu éprouver son amour en accomplissant ce qu’elle lui avait commandé, et, pour ce, l’en aima puis après davantage, et qu’il pourrait faire toute autre chose une autre fois d’aussi grande aventure que celle-là, qui est des plus grandes. Aucuns pourront louer cette discrétion ou lâcheté, autres non : je m’en rapporte aux humeurs et discours que peuvent tenir ceux de l’un et de l’autre parti en ceci. J’ai connu une dame assez grande qui, ayant donné une assignation à son ami de venir coucher avec elle une nuit, il y vint tout apprêter, en chemise, pour faire son devoir ; mais, d’autant que c’était en hiver, il eut si grand froid en allant, qu’étant couché il ne put rien faire et ne songea qu’à se réchauffer : dont la dame l’en haït, et n’en fit plus de cas. Une autre dame devisant d’amour avec un gentilhomme, il lui dit, entre autres propos, que s’il était couché avec elle, qu’il entreprendrait faire six postes la nuit, tant sa beauté le ferait bien piquer. « Vous vous vantez de beaucoup, dit-elle. Je vous assigne donc à une telle nuit. » À quoi il ne faillit de comparaître ; mais le malheur fut pour lui qu’il fut surpris, étant dans le lit, d’une telle convulsion, refroidissement et retirement de nerf, qu’il ne put pas faire une seule poste ; si bien que la dame lui dit : « Ne voulez-vous faire autre chose ? or, videz de mon lit ; je ne le vous ai pas prêté, comme un lit d’hôtellerie, pour vous y mettre à votre aise et reposer. Par quoi videz. » Et ainsi le renvoya et se moqua bien après de lui, le haïssant plus que peste. Ce gentilhomme eût été fort heureux s’il eût été de la complexion du grand protonotaire Baraud et aumônier du roi François, qui, quand il couchait avec les dames de la cour, du moins il allait à la douzaine et au matin il disait encore : « Excusez-moi, madame, si je n’ai mieux fait, car je pris hier médecine. » Je l’ai vu depuis et l’appelait-on le capitaine Baraud, gascon, et avait laissé la robe, et m’en a bien conté, à mon avis, nom par nom. Sur ses vieux ans cette virile et vénérique vigueur lui défaillit, et était pauvre, encore qu’il eût tiré de bons brins que sa pièce lui avait valus ; mais il avait tout brouillé, et se mit à écouler et distiller des essences : « Mais, disait-il, si je pouvais, aussi bien que de mon jeune âge, distiller de l’essence spermatique, je ferais bien mieux mes affaires et m’y gouvernerais mieux. » – Durant cette guerre de la Ligue, un honnête gentilhomme, brave certes et vaillant, étant sorti de sa place dont il était gouverneur pour aller à la guerre, au retour, ne pouvant arriver d’heure en sa garnison, il passa chez une belle et fort honnête et grande dame veuve, qui le convie de demeurer à coucher céans ; ce qu’il ne refusa, car il était las. Après l’avoir bien fait souper, elle lui donne sa chambre et son lit, d’autant que toutes ses autres chambres étaient dégarnies pour l’amour de la guerre, et ses meubles serrés, car elle en avait de beaux. Elle se retire en son cabinet, où elle y avait un lit d’ordinaire pour le jour. Le gentilhomme, après plusieurs refus de cette chambre et ce lit, fut contraint par la prière de la dame de le prendre : et, s’y étant couché et bien endormi d’un très profond sommeil, voici la dame qui vient tout bellement se coucher auprès de lui sans qu’il en sentît rien ni de toute la nuit, tant il était las et assoupi de sommeil ; et reposa jusqu’au lendemain matin grand jour, que la dame s’ôtant près de lui qui commençait à s’éveiller, lui dit : « Vous n’avez pas dormi sans compagnie, comme vous voyez, car je n’ai pas voulu vous quitter toute la part de mon lit, et parce que j’en ai joui de la moitié aussi bien que vous. Adieu : vous avez perdu une occasion que vous ne recouvrerez jamais. » Le gentilhomme, maugréant et détestant sa bonne fortune failli (c’était bien pour se pendre), la voulut arrêter et prier ; mais rien de tout cela, et fort dépitée contre lui pour ne l’avoir contentée comme elle voulait, car elle n’était venue là pour un coup, aussi qu’on dit : « Un seul coup n’est que la salade du lit, et même la nuit », et qu’elle n’était venue là pour le nombre singulier, mais pour le pluriel, que plusieurs dames en cela aiment plus que l’autre. Bien contraire à une très belle et honnête dame que j’ai connue, laquelle ayant une fois donné assignation à son ami de venir coucher avec elle, en un rien il fit trois bons assauts avec elle ; et puis, voulant quarter et parachever de multiplier ses coups, elle lui dit, pria et commanda de se découcher et retirer. Lui, aussi frais que devant, lui représente le combat, et promet qu’il ferait rage toute cette nuit-là avant le jour venu, et que pour si peu sa force n’était en rien diminuée. Elle lui dit : « Contentez-vous que j’ai reconnu vos forces, qui sont bonnes et belles, et qu’en temps et lieu je les saurai mieux employer qu’à cette heure ; car il ne faut qu’un malheur que vous et moi soyons découverts ; que mon mari le sache, me voilà perdue. Adieu donc jusqu’à une plus sûre et meilleure commodité, et alors librement je vous emploierai pour la grande bataille, et non pour si petite rencontre. » Il y a force dames qui n’eussent eu cette considération, mais, enivrées du plaisir, puisque tenaient déjà dans le camp leur ennemi, l’eussent fait combattre jusqu’au jour clair. Cette honnête dame que je dis par-devant celles-ci, était de telle humeur que, quand le caprice lui prenait, jamais elle n’avait peur ni appréhension de son mari, encore qu’il eût bonne épée et fût ombrageux ; et nonobstant elle y a été si heureuse que ni elle ni ses amants n’ont pu guère courir fortune de vie, pour n’avoir jamais été surpris, pour avoir bien posé ses gardes et bonnes sentinelles et vigilantes : en quoi pourtant ne se doivent fier les dames, car il n’y faut qu’une heure malheureuse, ainsi qu’il arriva il y a quelque temps à un gentilhomme brave et vaillant, qui fut massacré, allant voir sa maîtresse, par la trahison et menée d’elle-même que le mari lui avait fait faire : que s’il n’eût eu si bonne présomption de sa valeur comme il avait, certes il eût bien pris garde à soi et ne fût pas mort, dont ce fut grand dommage. Grand exemple, certes, pour ne se fier pas tant aux femmes amoureuses, lesquelles, pour s’échapper de la cruelle main de leurs maris, jouent tel jeu qu’ils veulent, comme fit celle-ci qui eut la vie sauve, et l’ami mourut. Il y a d’autres maris qui tuent la dame et le serviteur tout ensemble, ainsi que j’ai ouï dire d’une très grande dame de laquelle son mari étant jaloux, non pour aucun effet qu’il y eût certes, mais par jalousie et vaine apparence d’amour, il fit mourir sa femme de poison et langueur, dont fut un très grand dommage ; ayant auparavant fait mourir le serviteur, qui était un honnête homme, disant que le sacrifice était plus beau et plus plaisant de tuer le taureau devant et la vache après. Ce prince fut plus cruel à l’endroit de sa femme qu’il ne fut après à l’endroit d’une de ses filles qu’il avait mariée avec un grand prince, mais non si grand que lui qui était quasi un monarque. Il échappa à cette folle femme de se faire engrosser par un autre que son mari, qui était empêché à quelque guerre ; et puis, ayant enfanté d’un bel enfant, ne sut à quel saint se vouer, sinon à son père, à qui elle décela le tout par un gentilhomme en qui elle se fiait, qu’elle lui envoya. Duquel aussitôt la créance ouïe, il manda à son mari que sur sa vie il se donnât bien garde de n’attenter sur celle de sa fille, autrement il attenterait sur la sienne et le rendrait le plus pauvre prince de la chrétienté, comme était en son pouvoir ; et envoya à sa fille une galère avec une escorte quérir l’enfant et la nourrice ; et l’ayant fourni d’une bonne maison et entretien, il le fit très bien nourrir et élever. Mais au bout de quelque temps que le père vint à mourir, par conséquent le mari la fit mourir. J’ai ouï dire d’un autre qui fit mourir le serviteur de sa femme devant elle, et le fit fort languir, afin qu’elle mourût martyre de voir mourir en langueur celui qu’elle avait tant aimé et tenu entre ses bras.
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