Or de ces cocus il y en a qui le sont en herbe, il y en a qui le savent avant se marier, c’est-à-dire que leurs dames, veuves et demoiselles, ont fait le saut ; et d’autres n’en savent rien, mais les épousent sur leur foi, et de leurs pères et mères, et de leurs parents et amis.
– J’en ai connu plusieurs qui ont épousé beaucoup de femmes et de filles qu’ils savaient bien avoir été repassées en la montre d’aucuns rois, princes, seigneurs, gentilshommes et plusieurs autres ; et pourtant ravis de leurs amours, de leurs biens, de leurs joyaux, de leur argent qu’elles avaient gagné au métier amoureux, n’ont fait aucun scrupule de les épouser. Je ne parlerai point à cette heure que des filles.
– J’ai ouï parler d’une fille d’un très grand et souverain, laquelle, étant amoureuse d’un gentilhomme, se laissant aller à lui de telle façon qu’ayant recueilli les premiers fruits de son amour, en fut si friande qu’elle le tint un mois entier dans son cabinet, le nourrissant de restaurants, de bouillons friands, de viandes délicates et récaldatives, pour l’alambiquer mieux et en tirer sa substance ; et ayant fait sous lui son premier apprentissage continua ses leçons sous lui tant qu’il vécut, et sous d’autres ; et puis elle se maria en l’âge de quarante-cinq ans à un seigneur qui n’y trouva rien à dire, encore bien aise pour le beau mariage qu’elle lui porta.
– Boccace dit un proverbe qui courait de son temps, que bouche baisée, d’autres disent fille f…, ne perd jamais sa fortune, mais bien la renouvelle, ainsi que fait la lune ; et ce proverbe allègue-t-il sur un conte qu’il fait de cette fille si belle du sultan d’Égypte, laquelle passa et repassa par les piques de neuf divers amoureux, les uns après les autres, pour le moins plus de trois mille fois. Enfin elle fut rendue au roi Garbe toute vierge, cela s’entend prétendue, aussi bien que quand elle lui fut du commencement compromise, et n’y trouva rien à dire, encore bien aise : le conte en est très beau.
J’ai ouï dire à un grand qu’entre aucuns grands, non pas tous volontiers, on ne regarde à ces filles-là, bien que trois ou quatre les ayant passées par les mains et par les piques avant d’être leur maris ; et disait cela sur un propos d’un seigneur qui était grandement amoureux d’une grande dame, et un peu plus qualifiée que lui, et elle l’aimait aussi ; mais il survint empêchement qu’ils ne s’épousèrent comme ils pensaient et l’un et l’autre ; sur quoi ce gentilhomme grand, que je viens de dire, demanda aussitôt : « A-t-il monté au moins sur la petite bête ? » Et ainsi qu’il lui fut répondu que non à son avis, encore qu’on le tînt : « Tant pis, répliqua-t-il, car au moins et l’un et l’autre eussent eu ce contentement, et n’en eût été autre chose. » Car parmi les grands on ne regarde à ces règles et scrupules de pucelage, d’autant que pour ces grandes alliances il faut que tout passe ; encore trop heureux sont-ils les bons maris et gentils cocus en herbe.
Lorsque le roi Charles fit le tour de son royaume, il fut laissé en une bonne ville que je nommerais bien une fille dont venait d’accoucher une fille de très bonne maison ; elle fut donnée en garde à une pauvre femme de ville pour la nourrir et avoir soin d’elle, et lui fut avancé deux cents écus pour la nourriture. La pauvre femme la nourrit et la gouverna si bien que dans quinze ans elle devint très belle et s’abandonna ; car sa mère jamais n’en fit cas, qui dans quatre mois se maria avec un très grand. Ah ! que j’en ai connu de tels et telles où l’on n’y a avisé en rien !
J’ouïs une fois, étant en Espagne, conter qu’un grand seigneur d’Andalousie ayant marié une sienne sœur avec un autre fort grand seigneur aussi, au bout de trois jours que le mariage fut consommé il lui dit : « Senor hermano, agora que soys cazado c*n my hermana, y l’haveys bien godida solo, jo le hago saber que siendo hija, tal y tal gozaron d’ella. De lo passado no tenga cuydado, que poca cosa es. Del futuro guardate que mas y mucho a vos toca. » Comme voulant dire que ce qui est fait est fait, il n’en faut plus parler, mais qu’il se faut garder de l’avenir, car il touche plus à l’honneur que le passé.
Il y en a qui sont de cette humeur, ne pensant être si bien cocus par herbe comme par la gerbe, en quoi il y a de l’apparence.
– J’ai ouï aussi parler d’un grand seigneur étranger, lequel, ayant une fille des plus belles du monde et étant recherchée en mariage d’un autre grand seigneur qui la méritait bien, lui fut accordée par le père ; mais avant qu’il la laissât jamais sortir de la maison, il en voulut tâter, disant qu’il ne voulait laisser si aisément une si belle monture qu’il avait si curieusement élevée, que premièrement il n’eût monté dessus et su ce qu’elle saurait faire à l’avenir. Je ne sais s’il est vrai, mais je l’ai ouï dire, et que non seulement lui en fit la preuve, mais bien un autre beau et brave gentilhomme ; et pourtant le mari, par après, n’y trouva rien amer, sinon que tout sucre.
– J’ai ouï parler de même force autres pères, et surtout d’un très grand, à l’endroit de leurs filles, n’en faisant non plus de conscience que le coq de la fable d’Ésope, qui, ayant été rencontré par le renard et menacé qu’il le voulait faire mourir, dont sur ce le coq, rapportant tous les biens qu’il faisait au monde, et surtout de la belle et bonne poulaille qui sortait de lui : « Ah ! dit le renard, c’est là où je vous veux, monsieur le galant, car vous êtes si paillard que vous ne faites difficulté de monter sur vos filles comme sur d’autres poules » : et pour ce le fit mourir. Voilà un grand justicier et politique.
Je vous laisse donc à penser que peuvent faire aucunes filles avec leurs amants ; car il n’y eut jamais fille sans avoir ou désirer un ami, et qu’il y en a que les pères, frères, cousins et parents ont fait de même.
– De nos temps, Ferdinand, roi de Naples, connut ainsi par mariage sa tante, fille du roi de Castille, à l’âge de treize à quatorze ans, mais ce fut par dispense du pape. On faisait lors difficulté si elle se devait ou pouvait se donner. Cela ressent pourtant son empereur Caligula, qui débaucha et repassa toutes ses sœurs les unes après les autres, par-dessus lesquelles et sur toutes il aima extrêmement la plus jeune, nommée Drusille, qu’étant petit garçon il avait dépucelée ; et puis étant mariée avec un Lucius Cassius Longinus, homme consulaire, il la lui enleva et l’entretint publiquement, comme si c’eût été sa femme légitime ; tellement qu’étant une fois tombé malade, il la fit héritière de tous ses biens, voire de l’empire. Mais elle vint à mourir, qu’il regretta tant, qu’il en fit crier les vacations de la justice et cessation de toutes autres œuvres, pour induire le peuple d’en faire avec lui un deuil public, et en porta longtemps longs cheveux et longue barbe ; et quand il haranguait le Sénat, le peuple et ses gens de guerre ne jurait jamais que par le nom de Drusille.
Pour quant à ses autres sœurs, après qu’il en fut saoul, il les prostitua et abandonna à de grands pages qu’il avait nourris et connus fort vilainement : encore s’il ne leur eût fait autre mal, passe, puisqu’elles l’avaient accoutumé et que c’était un mal plaisant, ainsi que je l’ai vu appeler tel à aucunes filles étant dévirginées et à aucunes femmes prises à force ; mais il leur fit mille indignités : il les envoya en exil, il leur ôta toutes leurs bagues et joyaux pour en faire de l’argent, ayant brouillé et dépendu fort mal à propos tout le grand que Tibère lui avait laissé ; encore les pauvrettes, étant après sa mort retournées d’exil, voyant le corps de leur frère mal et fort pauvrement enterré sous quelques mottes, elles le firent déterrer, le brûler et enterrer le plus honnêtement qu’elles purent : bonté certes grande de sœurs à un frère si ingrat et dénaturé.
L’Italien, pour excuser l’amour illicite de ses proches, dit que quando messer Bernardo et bucieco stà in colera et in sua rabia non riceve lege, et non perdona a nissuna dama.
– Nous avons force exemples des anciens qui en ont fait de même. Mais pour revenir à notre discours, j’ai ouï conter d’un qui, ayant marié une belle et honnête damoiselle à un sien ami et se vantant qu’il lui avait donné une belle et honnête monture, saine, nette, sans sur-ost et sans malandre, comme il dit, et d’autant plus lui était obligé, il lui fut répondu par un de la compagnie, qui dit à part à un de ses compagnons : « Tout cela est bon et vrai si elle n’eût été montée et chevauchée si jeune et trop tôt, dont pour cela elle est un peu foulée sur le devant. »
Mais aussi je voudrais bien savoir à ces messieurs de maris que si telles montures bien souvent n’avaient un si, ou à dire quelque chose en elles, ou quelque défectuosité ou défaut ou tare, s’ils en auraient si bon marché et si elles ne leur coûteraient davantage ? Ou bien, si ce n’était pour eux, on en accommoderait bien d’autres qui le méritent mieux qu’eux, comme ces maquignons qui se défont de leurs chevaux tarés ainsi qu’ils peuvent ; mais ceux qui en savent les si, ne s’en pouvant défaire autrement, les donnent à ces messieurs qui n’en savent rien, d’autant (ainsi que j’ai ouï dire à plusieurs pères) que c’est une fort belle défaite que d’une fille tarée, ou qui commence à l’être, ou a envie et apparence de l’être.
Que je connais de filles de par le monde qui n’ont pas porté leur pucelage au lit hyménéen, mais pourtant qui sont bien instruites de leurs mères ou autres de leurs parentes et amies, très savantes maquerelles, de faire bonne mine à ce premier assaut, et s’aident de divers moyens et inventions avec des subtilités, pour le faire trouver bon à leurs maris et leur montrer que jamais il n’y avait été fait brèche.
La plus grande part s’aident à faire une grande résistance et défense à cette pointe d’assaut et à faire des opiniâtres jusqu’à l’extrémité : dont il y a aucuns maris qui en sont très contents et croient fermement qu’ils en ont eu tout l’honneur et fait la première pointe, comme braves et déterminés soldats, et en font leurs comptes lendemain matin, qu’ils sont crêtés comme petits coqs ou jolets qui ont mangé force millet le soir, à leurs compagnons et amis et même possible à ceux qui ont les premiers entré en la forteresse sans leur su, qui en rient à part leur saoul, et avec les femmes leurs maîtresses, qui se vantent d’avoir bien joué leur jeu et leur avoir donné belle.
Il y a pourtant aucuns maris ombrageux qui prennent mauvais augure de ces résistances et ne se contentent point de les voir si rebelles ; comme un que je sais, qui, demandant à sa femme pourquoi elle faisait ainsi de la farouche et de la difficultueuse et si elle le dédaignait jusque-là ; elle, lui pensant faire son excuse et ne donner la faute à aucun dédain, lui dit qu’elle avait peur qu’il lui fît mal. Il lui répondit : « Vous l’avez donc éprouvé, car nul mal ne se peut connaître sans l’avoir enduré. » Mais elle, subtile, le niant, répliqua qu’elle l’avait ainsi ouï dire à aucunes de ses compagnes qui avaient été mariées et l’en avaient ainsi avisée. « Voilà de beaux avis et entretiens », dit-il.
– Il y a un autre remède dont ces femmes s’avisent, qui est de montrer, le lendemain de leurs noces, leur linge teint de gouttes de sang qu’épandent ces pauvres filles à la charge dure de leur dépucellement, ainsi que l’on fait en Espagne, qui en montrent publiquement par la fenêtre ledit linge, en criant tout haut : Virgen la tenemos. « Nous la tenons pour vierge. »
Certes, encore ai-je ouï dire, dans Viterbe cette coutume s’y observe tout de même : et d’autant que celles qui ont passé premièrement par les piques ne peuvent faire cette montre par leur propre sang, elles se sont avisées, ainsi que j’ai ouï dire et que plusieurs courtisanes jeunes à Rome me l’ont assuré elles-mêmes, pour mieux vendre leur virginité, de teindre ledit linge de gouttes de sang de pigeon, qui est le plus propre de tous, et le lendemain le mari le voit, qui en reçoit un extrême contentement et croit fermement que ce soit du sang virginal de sa femme, et lui semble bien que c’est un galant, mais il est bien trompé.
Sur quoi je ferai ce plaisant conte d’un gentilhomme, lequel ayant eu l’aiguillette nouée la première nuit de ses noces, et la mariée, qui n’était pas de ces pucelles très belles et de bonne part, se doutant bien qu’il dût faire rage, ne faillit, par l’avis de ses bonnes compagnes, matrones, parentes et bonnes amies, d’avoir le petit linge teint : mais le malheur fut tel pour elle que le mari fut tellement noué qu’il ne put rien faire, encore qu’il ne tînt pas à elle à lui en faire la montre la plus belle et se parer au montoir le mieux qu’elle pouvait, et au coucher beau jeu, sans faire de la farouche ni nullement de la diablesse, ainsi que les spectateurs, cachés à la mode accoutumée, rapportaient, afin de cacher mieux son pucelage dérobé d’ailleurs ; mais il n’y eut rien d’exécuté.