Discours premier-9

2012 Words
De même en fit une Mme de la Borne, du règne du roi François Ier, qui accusa et déféra son mari à la justice de quelques folies faites et crimes possible énormes qu’il avait faits avec elle et autres, le fit constituer prisonnier, sollicita contre lui et lui fit trancher la tête. J’ai ouï faire ce conte à ma grand-mère, qui la disait de bonne maison et belle femme. Celle-là gagna bien le devant. La reine Jeanne de Naples première en fit de même à l’endroit de l’infant de Majorque, son tiers mari, à qui elle fit trancher la tête pour la raison que j’ai dit en son discours ; mais il pouvait bien être qu’elle se craignait de lui et le voulait dépêcher le premier : à quoi elle avait raison, et toutes ses semblables de faire de même quand elles se doutent de leurs galants. J’ai ouï parler de beaucoup de dames qui bravement se sont acquittées de ce bon office et sont échappées par cette façon ; et même j’en ai connu une, laquelle ayant été trouvée avec son ami par son mari, il n’en dit rien ni à l’un ni à l’autre, mais s’en alla courroucer et la laissa là-dedans avec son ami fort panthoise et désolée et en grande altération. Mais la dame fut résolue jusque-là de dire : « Il ne m’a rien dit ni fait pour ce coup, je crains qu’il me la garde bonne et sous mine ; mais si j’étais assurée qu’il me dût faire mourir, j’aviserais à lui faire sentir la mort le premier. » La fortune fut si bonne pour elle au bout de quelque temps, qu’il mourut de soi-même ; dont bien lui en prit, car jamais puis il ne lui avait fait bonne chère, quelque recherche qu’elle lui fît. Il y a encore une autre dispute et question sur ces fous et enragés maris, dangereux cocus, à savoir sur lequel des deux ils se doivent prendre et venger : ou sur leurs femmes, ou sur leurs amants. Il y en a qui ont dit seulement sur la femme, se fondant sur ce proverbe italien qui dit que morta la bestia, morta la rabbia o veneno : pensant, ce leur semble, être bien allégés de leur mal quand ils ont tué celle qui fait la douleur, ni plus ni moins que font ceux qui sont mordus ou piqués du scorpion : le plus souverain remède qu’ils ont, c’est de le prendre, tuer ou l’écrabouiller et l’appliquer sur la morsure ou plaie qu’il a faite ; et disent volontiers et coutumièrement que ce sont les femmes qui sont plus punissables. J’entends des grandes dames et de haute guise, et non des petites, communes et de basse marche ; car ce sont elles, par leurs beaux attraits, privautés, commandements et paroles, qui attaquent les escarmouches et que les hommes ne les font que soutenir ; et que plus sont punissables ceux qui demandent et lèvent guerre que ceux qui la défendent ; et que bien souvent les hommes ne se jettent en tels lieux périlleux et haut, sans l’appel des dames qui leur signifient en plusieurs façons leurs amours ; ainsi qu’on voit qu’en une grande, bonne et forte ville de frontière il est fort malaisé d’y faire entreprise ni surprise, s’il n’y a quelque intelligence sourde parmi aucuns de ceux du dedans, ou qui ne vous y poussent, attirent, ou leur tiennent la main. Or, puisque les femmes sont un peu plus fragiles que les hommes, il leur faut pardonner et croire que quand elles se sont mises une fois à aimer et mettent l’amour dans l’âme, qu’elles l’exécutent à quelque prix que ce soit, ne se contentant, non pas toutes, de le couver là-dedans, et se consumer peu à peu, et en devenir sèches et alanguies et pour ce en effacer leur beauté, qui est cause qu’elles désirent en guérir et en tirer du plaisir, et ne mourir du mal de la furette, comme on dit. Certes j’ai connu plusieurs belles dames de ce naturel, lesquelles les premières ont plutôt recherché leur androgine que les hommes, et sur divers sujets : les unes pour les voir beaux, braves, vaillants et agréables, les autres pour en escroquer quelque somme de dinari : d’autres pour en tirer des perles, des pierreries, des robes de toile d’or et d’argent, ainsi que j’en ai vu qu’elles en faisaient autant de difficulté d’en tirer comme un marchand de sa denrée (aussi dit-on que femme qui prend s*****d) ; d’autres pour avoir de la faveur de la cour ; autres des gens de justice, comme plusieurs belles que j’ai connues, qui, n’ayant pas bon droit, le faisaient bien venir par leur cas et par leurs beautés ; et d’autres pour en tirer la suave substance de leur corps. – J’ai vu plusieurs femmes si amoureuses de leurs amants, que quasi elles les suivaient ou couraient à force et dont le monde en portait la honte pour elles. J’ai connu une fort belle dame si amoureuse d’un seigneur de par le monde, qu’au lieu que les serviteurs ordinairement portent les couleurs de leurs dames, celle-ci, au contraire, les portait de son serviteur. J’en nommerais bien les couleurs, mais elles feraient une trop grande découverte. – J’en ai connu une autre de laquelle le mari ayant fait un affront à son serviteur en un tournoi qui fut fait à la cour, cependant qu’il était en la salle du bal et en faisait son triomphe, elle s’habilla, de dépit, en homme, et alla trouver son amant et lui porter pour un moment son cas, tant elle en était si amoureuse qu’elle en mourait. – J’ai connu un honnête gentilhomme et des moins déchirés de la cour, lequel ayant envie un jour de servir une belle et honnête dame s’il en fut jamais, parce qu’elle lui en donnait beaucoup de sujets de son côté, et de l’autre il faisait du retenu pour beaucoup de raisons et respects ; cette dame pourtant y ayant mis son amour, et à quelque hasard que ce fût elle en avait jeté le dé, se disait-elle ; elle ne cessa jamais de l’attirer tout à soi par les plus belles paroles de l’amour qu’elle put dire, dont entre autres était celle-ci : « Permettez au moins que je vous aime si vous ne me voulez aimer et ne regardez à mes mérites, mais à mes affections et passions », encore certes qu’elle emportât le gentilhomme au poids en perfections. Là-dessus, qu’eût pu faire le gentilhomme, sinon l’aimer, puisqu’elle l’aimait, et la servir, puis demander le salaire et récompense de son service, qu’il eut, comme la raison veut que quiconque sert faut qu’on le paye ? J’alléguerais une infinité de telles dames plutôt recherchantes que recherchées. Voilà donc pourquoi elles ont plus de coulpe que leurs amants ; car si elles ont une fois entrepris leur homme, elles ne cessent jamais qu’elles n’en viennent au bout et ne l’attirent par leurs regards attirants, par leurs beautés, par leurs gentilles grâces qu’elles s’étudient à façonner en cent mille façons, par leurs fards subtilement appliqués sur leur visage si elles ne l’ont beau, par leurs beaux attifets, leurs riches et gentilles coiffures et tant bien accommodées, et leurs pompeuses et superbes robes, et surtout par leurs paroles friandes et à demi lascives, et puis par leurs gentils et folâtres gestes et privautés, et par présents et dons ; et voilà comment ils sont pris, et étant ainsi pris il faut qu’ils les prennent ; et par ainsi dit-on que leurs maris se doivent venger sur elles. D’autres disent qu’il se faut prendre qui peut sur les hommes, ni plus ni moins que sur ceux qui assiègent une ville ; car ce sont eux qui premiers font faire les chamades, les somment, qui premiers reconnaissent, premiers font les approches, premiers dressent gabionnades et cavaliers et font des tranchées, premiers font les batteries ou premiers vont à l’assaut, premiers parlementent : ainsi dit-on des amants. Car comme les plus hardis, vaillants et résolus assaillent le fort de pudicité des dames, lesquelles, après toutes les formes d’assaillements observées par grandes importunités, sont contraintes de faire le signal et recevoir leurs doux ennemis dans leurs forteresses : en quoi me semble qu’elles ne sont si coupables qu’on dirait bien ; car se défaire d’un importun est bien malaisé sans y laisser du sien ; aussi que j’en ai vu plusieurs qui, par longs services et persévérances, ont joui de leurs maîtresses, qui dès le commencement ne leur eussent donné, pour manière de dire, leur c*l à b****r ; les contraignant jusque-là, au moins aucunes, que, la larme à l’œil, leur donnaient de cela ni plus ni moins comme l’on donne à Paris bien souvent l’aumône aux gueux de l’hospice, plus par leur importunité que de dévotion ni pour l’amour de Dieu : ainsi font plusieurs femmes, plutôt pour être trop importunées que pour être amoureuses et même à l’endroit d’aucuns grands, lesquels elles craignent et n’osent leur refuser à cause de leur autorité, de peur de leur déplaire et en recevoir, après du scandale, ou un affront signalé, ou plus grand décriement de leur honneur, comme j’en ai vu arriver de grands inconvénients sur ces sujets. Voilà pourquoi les mauvais maris, qui se plaisent tant au sang et au meurtre et mauvais traitements de leurs femmes, n’y doivent être si prompts, mais premièrement faire une enquête sourde de toutes choses, encore que telle connaissance leur soit fort fâcheuse et fort sujette à s’en gratter la tête qui leur en démange, et même qu’aucuns, misérables qu’ils sont, leur en donnent toutes les occasions du monde. – Ainsi que j’ai connu un grand prince étranger qui avait épousé une fort belle et honnête femme ; il en quitta l’entretien pour le mettre à une autre femme qu’on tenait pour courtisane de réputation, d’autres que c’était une dame d’honneur qu’il avait débauchée ; et ne se contentant de cela, quand il la faisait coucher avec lui, c’était en une chambre basse par-dessous celle de sa femme et dessous son lit ; et lorsqu’il voulait monter sur sa maîtresse, ne se contentant du tort qu’il lui faisait, mais, par une risée et moquerie, avec une demi-pique il frappait deux ou trois coups sur le plancher et s’écriait à sa femme : « Brindes, ma femme. » Ce dédain et mépris dura quelques jours et fâcha fort sa femme, qui, de désespoir et vengeance, s’accosta d’un fort honnête gentilhomme à qui elle dit un jour privément : « Un tel, je veux que vous jouissiez de moi, autrement, je sais un moyen pour vous ruiner. » L’autre, bien content d’une si belle aventure, ne la refusa pas. Par quoi, ainsi que son mari avait sa mie entre les bras, et elle aussi son ami, ainsi qu’il lui criait brindes, elle lui répondait de même, et moi à vous, ou bien, je m’en vais vous pleiger. Ces brindes et ces paroles et réponses, de telles façon et mode qu’ils s’accommodaient en leurs montures, durèrent assez longtemps, jusqu’à ce que ce prince, fin et douteux, se douta de quelque chose, et y faisant faire le guet, trouva que sa femme le faisait gentiment cocu, et faisait brindes aussi bien que lui par revanche et vengeance. Ce qu’ayant bien au vrai connu, tourna et changea sa comédie en tragédie ; et l’ayant pour la dernière fois conviée à son brindes, et elle lui ayant rendu sa réponse et son change, monta soudain en haut, et ouvrant et faussant la porte, entre dedans et lui remontre son tort ; et elle de son côté lui dit : « Je sais bien que je suis morte ; tue-moi hardiment ; je ne crains point la mort, et la prends en gré puisque je me suis vengée de toi, et que je t’ai fait cocu et bec cornu, toi m’en ayant donné occasion, sans laquelle je ne me fusse jamais forfaite, car je t’avais voué toute fidélité, et je ne l’eusse jamais violée pour tous les beaux sujets du monde : tu n’étais pas digne d’une si honnête femme que moi. Or tue-moi donc à cette heure ; et, si tu as quelque pitié en ta main, pardonne, je te prie, à ce pauvre gentilhomme, qui de soi n’en peut mais, car je l’ai appelé et pressé à mon aide pour ma vengeance. » Le prince, par trop cruel, sans aucun respect les tue tous deux. Qu’eût fait là-dessus cette pauvre princesse sur ces indignités et mépris de mari, sinon, à la désespérance pour le monde, faire ce qu’elle fit ? D’aucuns l’excuseront, d’autres l’accuseront, et il y a beaucoup de pièces et raisons à rapporter là-dessus. – Dans les Cent Nouvelles de la reine de Navarre y a celle et très belle de la reine de Naples, quasi pareille à celle-ci, qui de même se vengea du roi son mari ; mais la fin n’en fut si tragique. – Or laissons-là ces diables et fois enragés cocus, et n’en parlons plus, car ils sont odieux et mal plaisants, d’autant que je n’aurais jamais fini si je les voulais tous décrire, aussi que le sujet n’en est beau ni plaisant. Parlons un peu des gentils cocus, et qui sont bons compagnons, de douce humeur, d’agréable fréquentation et de sainte patience, débonnaires, traitables, fermant les yeux, et bons hommes.
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