Discours premier-8

2175 Words
– Louis, duc d’Orléans, tué à la porte Barbette, à Paris, fut bien, au contraire, grand débaucheur des dames de la cour, et toujours des plus grandes ; car, ayant avec lui couché une fort belle et grande dame, ainsi que son mari vint en sa chambre pour lui donner le bonjour, il alla couvrir la tête de sa dame, femme de l’autre, du linceul, et lui découvrit tout le corps, lui faisant voir tout nu et toucher à son bel aise, avec défense expresse, sur la vie, de n’ôter le linge du visage ni la découvrir aucunement, à quoi il n’osa contrevenir ; lui demandant par plusieurs fois ce qui lui semblait de ce beau corps tout nu : l’autre en demeura tout éperdu et grandement satisfait. Le duc lui bailla congé de sortir de la chambre, ce qu’il fit sans avoir jamais pu connaître que ce fût sa femme. S’il l’eût bien vue et reconnue toute nue, comme plusieurs que j’ai vus, il l’eût connue à plusieurs signes possibles, dont il fait bon les visiter quelquefois par le corps. Elle, après son mari parti, fut interrogée de M. d’Orléans si elle avait eu l’alarme et peur. Je vous laisse à penser ce qu’elle en dit, et la peine et l’altère en laquelle elle fut l’espace d’un quart d’heure ; car il ne fallait qu’une petite indiscrétion ou la moindre désobéissance que son mari eût commise pour lever le linceul : il est vrai, ce dit M. d’Orléans, mais qu’il l’eût tué aussitôt pour l’empêcher du mal qu’il eût fait à sa femme. Et le bon fut de ce mari qu’étant la nuit d’après couché avec sa femme, il lui dit que M. d’Orléans lui avait fait voir la plus belle femme nue qu’il vit jamais, mais, quant au visage, qu’il n’en savait que rapporter, d’autant qu’il lui avait interdit. Je vous laisse à penser ce que pouvait dire sa femme dans sa pensée. Et de cette dame tant grande, et de M. d’Orléans, on dit que sortit ce brave et vaillant bâtard d’Orléans, le soutien de la France et le fléau de l’Angleterre, et duquel est venue cette noble et généreuse race des comtes de Dunois. – Or, pour retourner encore à nos maris prodigues de la vue de leurs femmes nues, j’en sais un qui, pour un matin un sien compagnon l’étant allé voir dans sa chambre ainsi qu’il s’habillait, lui montra sa femme toute nue, étendue tout de son long tout endormie, et s’étant elle-même ôté ses linceuls de dessus elle, d’autant qu’il faisait grand chaud, lui tira le rideau à demi, si bien que le soleil levant donnant dessus elle, il eut loisir de la bien contempler à son aise, où il ne vit rien que tout beau en perfection, et y put repaître ses yeux, non tant qu’il eût voulu, mais tant qu’il put ; et puis le mari et lui s’en allèrent chez le Roi. Le lendemain, le gentilhomme, qui était fort serviteur de cette dame honnête, lui raconta cette vision, et même lui figura beaucoup de choses qu’il avait remarquées en ses beaux membres, jusqu’aux plus cachés ; et si le mari le lui confirma, et que c’était lui-même qui en avait tiré le rideau. La dame, de dépit qu’elle conçut contre son mari, se laissa aller et s’octroya à son ami par ce seul sujet ; ce que tout son service n’avait su gagner. – J’ai connu un très grand seigneur qui, un matin, voulant aller à la chasse, et ses gentilshommes l’étant venu trouver à son lever, ainsi qu’on le chaussait, et avait sa femme couchée près de lui et qui lui tenait son cas en pleine main, il leva si promptement la couverture qu’elle n’eut loisir de lever la main où elle était posée, que l’on l’y vit à l’aise et la moitié de son corps ; et, en se riant, il dit à ces messieurs qui étaient présents : « Eh bien, messieurs, ne vous ai-je pas fait voir choses et autres de ma femme ? » Laquelle fut si dépitée de ce trait, qu’elle lui en voulut un mal extrême, et même pour la surprise de cette main ; et possible depuis elle le lui rendit bien. – J’en sais un autre d’un grand seigneur, lequel, connaissant qu’un sien ami et parent était amoureux de sa femme, fût ou pour lui en faire venir l’envie davantage, ou du dépit et désespoir qu’il pouvait concevoir de quoi il avait une si belle femme et lui n’en tâtait point, la lui montra un matin, l’étant allé voir dans le lit tous deux couchés ensemble, à demi nu, et si fit bien pis, car il lui fit cela devant lui-même, et la mit en besogne comme si elle eût été à part ; encore priait-il l’ami de bien voir le tout, et qu’il faisait tout cela à sa bonne grâce. Je vous laisse à penser si la dame, par une telle privauté de son mari, n’avait pas occasion de faire à son ami l’autre tout entière, et à bon escient, et s’il n’était pas bien employé qu’il en portât les cornes. – J’ai ouï parler d’un autre et grand seigneur qui le faisait ainsi à sa femme devant un grand prince, son maître, mais c’était par sa prière et commandement, qui se délectait à tel plaisir. Ne sont-ils donc pas, ceux-là coupables, puisqu’ayant été leurs propres maquereaux, en veulent être les bourreaux ? Il ne faut jamais montrer sa femme nue, ni ses terres, pays et places, comme je tiens d’un grand capitaine, à propos de feu M. de Savoie, qui déconseilla et dissuada notre roi Henri dernier quand, à son retour de Pologne, il passa par la Lombardie, de n’aller ni entrer dans la ville de Milan, lui alléguant que le roi d’Espagne en pourrait prendre quelque ombrage ; mais ce ne fut pas cela : il craignait que le roi y étant, et la visitant bien à point, et contemplant ses beauté, richesse et grandeur, qu’il ne fût tenté d’une extrême envie de la ravoir et reconquérir par bon et juste droit, comme avaient fait ses prédécesseurs. Et voilà la vraie cause, comme dit un grand prince, qui le tenait du feu roi, qui connaissait cette enclouure ; mais pour complaire à M. de Savoie et ne rien altérer du côté du roi d’Espagne, il prit son chemin à côté, bien qu’il eût toutes les envies du monde d’y aller, à ce qu’il me fît cet honneur, quand il fut de retour à Lyon, de me le dire : en quoi ne faut douter que M. de Savoie ne fût plus Espagnol que Français. J’estime les maris aussi condamnables, lesquels, après avoir reçu la vie par la faveur de leurs femmes, en demeurent tellement ingrats que, pour le soupçon qu’ils ont de leurs amours avec d’autres, les traitent très rudement, jusqu’à attenter sur leurs vies. – J’ai ouï parler d’un seigneur sur la vie duquel aucuns conjurateurs ayant conjuré et conspiré, sa femme, par supplication, les en détourna et le garantit d’être massacré, dont depuis elle en a été très mal reconnue et traitée très rigoureusement. – J’ai vu aussi un gentilhomme, lequel ayant été accusé et mis en justice pour avoir fait très mal son devoir à secourir son général en une bataille, si bien qu’il le laissa tuer sans aucune assistance ni secours ; étant prêt d’être sentencié et condamné d’avoir la tête tranchée, nonobstant vingt mille écus qu’il présenta pour avoir la vie sauve ; sa femme, ayant parlé à un grand seigneur de par le monde et couché avec lui par la permission et supplication dudit mari, ce que l’argent n’avait pu faire, sa beauté et son corps l’exécuta et lui sauva la vie et la liberté. Et depuis il la traita si mal que rien plus. Certes, tels maris, cruels et enragés, sont très misérables. D’autres en ai-je connu qui n’ont pas fait de même, car ils ont bien su reconnaître le bien d’où il venait et honoraient ce bon trou toute leur vie, qui les avait sauvés de mort. – Il y a encore une autre sorte de cocus, qui ne se sont contentés d’avoir été ombrageux en leur vie, mais, allant mourir et sur le point du trépas, le sont encore : comme j’en ai connu un qui avait une fort belle et honnête femme, mais pourtant qui ne s’était point toujours étudiée à lui seul. Ainsi qu’il voulait mourir, il lui disait : « Ah ! ma mie, je m’en vais mourir, et plût à Dieu que vous me tinssiez compagnie et que vous et moi allassions ensemble en l’autre monde ! Ma mort ne m’en serait si odieuse et la prendrais plus en gré. » Mais la femme, qui était encore très belle et jeune de trente-sept ans, ne le voulut point suivre ni croire pour ce coup-là et ne voulut faire la sotte, comme nous lisons de Evadné, fille de Mars et de Thébé, femme de Capanée, laquelle l’aima si ardemment que, lui étant mort, aussitôt que son corps fut jeté dans le feu, elle s’y jeta après toute vive et se brûla et se consuma avec lui, par une grande constance et force, et ainsi l’accompagna à sa mort. – Alceste fit bien mieux, car ayant su par l’oracle que son mari Admète, roi de Thessalie, devait mourir bientôt si sa vie n’était rachetée par la mort de quelque autre de ses amis, elle soudain se précipita à la mort et ainsi sauva son mari. Il n’y a plus aujourd’hui de ces femmes si charitables qui veulent aller de leur gré dans la fosse avant leurs maris, ni les suivre. Non, il ne s’en trouve plus : les mères en sont mortes, comme disent les maquignons de Paris des chevaux quand on n’en trouve plus de bons. Et voilà pourquoi j’estimais ce mari que je viens d’alléguer, malhabile de tenir ces propos à sa femme, si fâcheux pour la convier à la mort, comme si c’eût été quelque beau festin pour l’y convier. C’était une belle jalousie qui lui faisait parler ainsi, qu’il concevait en soi du déplaisir qu’il pouvait avoir aux enfers là-bas, quand il verrait sa femme, qu’il avait si bien dressée, entre les bras d’un sien amoureux ou de quelque autre mari nouveau. Quelle forme de jalousie voilà, qu’il fallut que son mari en fût saisi alors et qu’à tous les coups il lui disait que, s’il en réchappait, il n’endurerait plus d’elle ce qu’il avait enduré ; et tant qu’il a vécu, il n’en avait point été atteint et lui laissait faire à son bon plaisir. – Ce brave Tancrède n’en fit pas de même, lui qui d’autres fois se fit jadis tant signaler en la guerre sainte ; étant sur le point de la mort et sa femme près de lui, dolente, avec le comte de Tripoli, il les pria tous deux après sa mort de s’épouser l’un l’autre et le commanda à sa femme : ce qu’ils firent. Pensez qu’il en avait vu quelques approches d’amour en son vivant ; car elle pouvait être aussi bonne vesse que sa mère, la comtesse d’Anjou, laquelle, après que le comte de Bretagne l’eût entretenue longuement, elle vint trouver le roi de France Philippe, qui la mena de même et lui fit cette fille bâtarde qui s’appela Cécile, et puis la donna en mariage à ce valeureux Tancrède, qui certes, par ses beaux exploits, ne méritait d’être cocu. – Un Albanais ayant été condamné au-delà les monts d’être pendu pour quelque forfait, étant au service du roi de France, ainsi qu’on le voulait mener au supplice, il demanda à voir sa femme et lui dire adieu, qui était une très belle femme et très agréable. Ainsi donc qu’il lui disait adieu, en la baisant il lui tronçonna tout le nez avec belles dents et le lui arracha de son beau visage. En quoi la justice l’ayant interrogé pourquoi il avait fait cette vilenie à sa femme, il répondit qu’il l’avait fait de belle jalousie, « d’autant, ce disait-il, qu’elle est très belle, et pour ce, après ma mort, je sais qu’elle sera aussitôt recherchée et aussitôt abandonnée à un autre de mes compagnons, car je la connais fort paillarde et qu’elle m’oublierait incontinent. Je veux donc qu’après ma mort elle ait de moi souvenance, qu’elle pleure et qu’elle soit affligée ; si elle ne l’est par ma mort, au moins qu’elle le soit pour être défigurée et qu’aucun de mes compagnons n’en aie le plaisir que j’ai eu avec elle. » Voilà un terrible jaloux ! – J’en ai ouï parler d’autres qui, se sentant vieux, caducs, blessés, atténués et proches de la mort, de beau dépit et de jalousie secrètement ont avancé les jours à leurs moitiés, même quand elles ont été belles. – Or, sur ces bizarres humeurs de ces maris tyrans et cruels qui font mourir ainsi leurs femmes, j’ai ouï faire une dispute, savoir s’il est permis aux femmes, quand elles s’aperçoivent ou se doutent de la cruauté et m******e que leurs maris veulent exercer envers elles, de gagner le devant et de jouer à la prime, et pour se sauver les faire jouer les premiers et les envoyer devant faire les logis en l’autre monde. J’ai ouï maintenir que oui et qu’elles le peuvent faire, non selon Dieu, car tout meurtre est défendu, ainsi que j’ai dit, mais, selon le monde, prou, et se fondent sur ce mot qu’il vaut mieux prévenir que d’être prévenu : car enfin chacun doit être curieux de sa vie, et puisque Dieu nous l’a donnée, la faut garder jusqu’à ce qu’il nous appelle par notre mort. Autrement, sachant bien leur mort, et s’y aller précipiter, et ne la fuir quand elles peuvent, c’est se tuer soi-même, chose que Dieu abhorre fort ; par quoi c’est le meilleur de les envoyer en ambassade devant et en parer le coup, ainsi que fit Blanche d’Anurbruckt à son mari le sieur de Flavy, capitaine de Compiègne et gouverneur, qui trahit et fut cause de la perte et de la mort de la Pucelle d’Orléans. Et cette dame Blanche ayant su que son mari la voulait faire noyer le prévint et, avec l’aide de son barbier, l’étouffa et l’étrangla, dont le roi Charles septième lui en donna aussitôt sa grâce, à quoi aussi aida bien la trahison du mari pour l’obtenir, possible plus que toute autre chose. Cela se trouve aux annales de France, et principalement celles de Guyenne.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD