Telles peintures et tableaux portent plus de nuisance à une âme fragile qu’on ne pense ; comme en était un là même d’une Vénus toute nue, couchée et regardée de son fils Cupidon ; l’autre d’un Mars couché avec sa Vénus ; l’autre, d’une Léda couchée avec son cygne. Tant d’autres y a-t-il, et là et ailleurs, qui sont un peu plus modestement peints et voilées mieux que des figures de l’Arétin ; mais quasi tout vient à un, et en approche de notre coupe dont je viens de parler, laquelle avait quasi quelque sympathie, par antinomie, de la coupe que trouva Renault de Montauban en ce château dont parle l’Arioste, laquelle à plein découvrait les pauvres cocus, et celle-ci les faisait ; mais l’une portait un peu trop de scandale aux cocus et leurs femmes infidèles, et celle-ci point.
BANTOME
Champollion
Aujourd’hui n’en est besoin de ces livres ni de ces peintures, car les maris leur en apprennent beaucoup : et voilà que servent telles écoles de maris.
– J’ai connu un bon imprimeur vénitien à Paris, qui s’appelait messer Bernardo, parent de ce grand Aldus Manutius de Venise, qui tenait sa boutique en la rue de Saint-Jacques, qui me dit et jura une fois qu’en moins d’un an il avait vendu plus de cinquante paires de livres de l’Arétin à force gens mariés et non mariés, et à des femmes, dont il m’en nomma trois de par le monde, grandes, que je ne nommerai point, et les leur bailla à elles-mêmes, et très bien reliés, sous serment prêté qu’il n’en sonnerait mot, mais pourtant il me le dit, et me dit davantage qu’une autre dame lui en ayant demandé au bout de quelque temps s’il n’en avait point un pareil comme un qu’elle avait vu entre les mains d’une de ces trois, il lui répondit : Signora, si, e peggio, et soudain argent en campagne, les achetant tous au poids de l’or. Voilà une folle curiosité pour envoyer son mari faire un voyage à Cornette, près de Civita-Vecchia.
Toutes ces formes et postures sont odieuses à Dieu, si bien que saint Jérôme dit : « Qui se montre plutôt débordé amoureux de sa femme que mari est adultère et pèche. » Et parce qu’aucuns docteurs ecclésiastiques en ont parlé, je dirai ce mot brièvement en mots latins, d’autant qu’eux-mêmes ne l’ont voulu dire en français. Excessus, disent-ils, conjugum fit, quando uxor cognoscitur ante retro stando, sedendo in latere, et mulier super virum ; comme un petit quolibet que j’ai lu d’autrefois, qui dit :
In prato viridi monaliem ludere vidi
Cum monacho leviter, ille, sub, illa super.
D’autres disent quand ils s’accommodent autrement que la femme ne puisse concevoir. Toutefois, il y a d’aucunes femmes qui disent qu’elles conçoivent mieux par les postures monstrueuses et surnaturelles et étranges, que naturelles et communes, d’autant qu’elles y prennent plaisir davantage et, comme dit le poète, quand elles s’accommodent more canino, ce qui est odieux ; toutefois les femmes grosses, au moins aucunes, en usent ainsi de peur de se gâter par le devant.
D’autres docteurs disent que quelque forme que ce soit est bonne, mais que semen ejaculetur in matricem mulieris, et quomodocunque uxor cognoscatur, si vir ejaculetur semen in matricem, non est peccatum mortale.
Vous trouverez ces disputes dans Summa Benedicti, qui est un Cordelier docteur qui a très bien écrit de tous les péchés et montre qu’il a beaucoup vu et lu. Qui voudra lire ce passage y verra beaucoup d’abus que commettent les maris à l’endroit de leurs femmes. Aussi dit-il que, quando mulier est ita pinguis ut non possit aliter coïre, que par telles postures non est peccatum mortale, modo vir ejaculetur semen in vas naturale. Dont disent aucuns qu’il vaudrait mieux que les maris s’abstinssent de leurs femmes quand elles sont pleines, comme font les animaux, que de souiller le mariage par telles vilenies.
– J’ai connu une fameuse courtisane à Rome, dite la Grecque, qu’un grand seigneur de France avait là entretenue. Au bout de quelque temps il lui prit envie de venir voir la France, par le moyen du seigneur Bonvisi, banquier de Lyon, Lucquois très riche, de laquelle il était amoureux ; où étant elle s’enquit fort de ce seigneur et de sa femme et, entre autres choses, si elle ne le faisait point cocu, « d’autant, disait-elle, que j’ai dressé son mari de si bel air et lui ai appris de si bonnes leçons, que les lui ayant montrées et pratiquées avec sa femme, il n’est possible qu’elle ne les ait voulu montrer à d’autres ; car notre métier est si chaud quand il est bien appris qu’on prend cent fois plus de plaisir de le montrer et pratiquer avec plusieurs qu’avec un. » Et disait bien plus, que cette dame lui devait faire un beau présent et bien digne de sa peine et de son salaire, parce que, quand son mari vint à son école premièrement, il ne savait rien et était en cela le plus s*t, neuf et apprenti qu’elle ne vît jamais ; mais elle l’avait si bien dressé et façonné, que sa femme s’en devait trouver cent fois mieux. Et de fait, cette dame, la voulant voir, alla chez elle en habit dissimulé, dont la courtisane s’en douta et lui tint tous les propos que je viens de dire, et pires encore et plus débordés, car elle était courtisane fort débordée. Et voilà comment les maris se forgent les couteaux pour se couper la gorge ; cela s’entend des cornes : par ainsi, abusant du saint mariage, Dieu les punit ; et puis veulent avoir leurs revanches sur leurs femmes, en quoi ils sont cent fois plus punissables. Aussi ne m’étonné-je pas si ce saint docteur disait que le mariage était quasi une vraie espèce d’adultère : cela voulait-il entendre quand on en abusait de cette sorte que je viens de dire.
Aussi a-t-on défendu le mariage à nos prêtres ; car, venant de coucher avec leurs femmes et s’être bien souillés avec elles, il n’y a point de propos de venir à un sacré autel. Car, ma foi, ainsi que j’ai ouï dire, aucuns bordèles plus avec leurs femmes que non pas les ruffians avec les putains des bourdeaux qui, craignant prendre mal, ne s’acharnent et ne s’échauffent avec elles comme les maris avec leurs femmes, qui sont nettes et ne peuvent donner mal, au moins aucunes et non pas toutes ; car j’en ai bien connu qui leur en donnent aussi bien que leurs maris à elles.
Les maris, abusant de leurs femmes, sont fort punissables, comme j’ai ouï dire à de grands docteurs, que les maris, ne se gouvernant avec leurs femmes modestement dans leur lit comme ils doivent, paillardent avec elles comme avec concubines ; n’étant le mariage introduit que pour la nécessité et procréation, et non pour le plaisir désordonné et paillardise. Ce que nous sut très bien représenter l’empereur Sejonus Commodus, dit autrement Anchus Verus, lorsqu’il dit à sa femme Domitia Calvilla, qui se plaignait à lui de quoi il portait à des putains et courtisanes et autres ce qu’à elle appartenait en son lit, et lui ôtait ses menues et petites pratiques : « Supportez, ma femme, lui dit-il, qu’avec les autres je saoule mes désirs, d’autant que le nom de femme et de consort est un nom de dignité et honneur, et non de plaisir et paillardise. » Je n’ai point encore lu ni trouvé la réponse que lui fit là-dessus madame sa femme l’impératrice ; mais il ne faut douter que, ne se contentant de cette sentence dorée, elle ne lui répondit de bon cœur, et par la voix de la plupart, voire de toutes les femmes mariées : « Fi de cet honneur, et vive le plaisir ! Nous vivons mieux de l’un que de l’autre. »
Il ne faut non plus douter aussi que la plupart de nos mariés, aujourd’hui et de tout temps, qui ont de belles femmes, ne disent pas ainsi ; car ils ne se marient et lient, ni ne prennent leurs femmes, sinon pour bien passer leur temps et bien paillarder en toutes façons, et leur enseigner des préceptes, et pour le mouvement de leur corps, et pour les débordées et lascives paroles de leurs bouches, afin que leur dormante Vénus en soit mieux éveillée et excitée ; et, après les avoir bien instruites et débauchées, si elles vont ailleurs, ils les punissent, les battent, les assomment et les font mourir.
Il y a aussi peu de raison en cela, comme si quelqu’un avait débauché une pauvre fille dans les bras de sa mère et lui eût fait perdre l’honneur de sa virginité, et puis, après en avoir fait sa volonté, la battre et la contraindre à vivre autrement, et en toute chasteté : vraiment ! car il en est bien temps, et bien à propos, qui est celui qui ne le condamne pour homme sans raison et d’être châtié ? L’on en dût dire de même de plusieurs maris, lesquels, quand tout est dit, débauchent plus leurs femmes et leur apprennent plus de préceptes pour tomber en paillardise que ne font leurs propres amoureux : car ils en ont plus de temps et loisir que les amants ; et venant à discontinuer leurs exercices, elles changent de main et de maître, à la mode d’un bon cavalcadour, qui prend plus de plaisir cent fois de monter à cheval qu’un qui n’y entend rien. « Et de malheur, se disait cette courtisane, il n’y a nul métier au monde qui ne soit plus coquin, ni qui désire tant de continue que celui de Vénus. » En quoi ces maris doivent être avertis de ne faire tels enseignements à leurs femmes, car ils leur sont par trop préjudiciables ; ou bien, s’ils voient leurs femmes leur jouer un faux bond, qu’ils ne les punissent point, puisque ce sont eux qui leur en ont ouvert le chemin.
– Si faut-il que je fasse cette digression d’une femme mariée belle et honnête et d’étoffe, que je sais, qui s’abandonna à un honnête gentilhomme, aussi plus par jalousie qu’elle portait à une honnête dame que ce gentilhomme aimait et entretenait, que par amour. Par quoi, ainsi qu’il en jouissait, la dame lui dit : « À cette heure, à mon grand contentement, je triomphe de vous et de l’amour que portez à une telle. » Le gentilhomme lui répondit : « Une personne abattue, subjuguée et foulée ne saurait bien triompher. » Elle prend pied à cette réponse, comme touchant à son honneur, et lui réplique aussitôt : « Vous avez raison. » Et, tout à coup, s’avise de désarçonner subitement son homme, et se dérober de dessous lui ; et, changeant de forme, prestement et agilement monte sur lui et le met sous soi. Jamais jadis chevalier ou gendarme romain ne fut si prompt et adroit de monter et remonter sur ces chevaux désultoires, comme fut ce coup cette dame avec son homme, et le manie de même en lui disant : « À cette heure donc puis-je bien dire qu’à bon escient je triomphe de vous, puisque je vous tiens abattu sous moi. » Voilà une dame d’une plaisante et paillarde ambition et d’une façon étrange, comment elle la traita.
– J’ai ouï parler d’une fort belle et honnête dame de par le monde, sujette fort à l’amour et à la lubricité, qui pourtant fut si arrogante et si fière et si brave de cœur que, quand ce venait-là, ne voulait jamais souffrir que son homme la montât et la mît sous soi et l’abattît, pensant faire un grand tort à la générosité de son cœur et attribuant à une grande lâcheté d’être ainsi subjuguée et soumise, en mode d’une triomphante conquête ou esclavage, mais voulait toujours garder le dessus et la prééminence. Et ce qui faisait bon pour elle en cela, c’est que jamais ne voulut s’adonner à un plus grand que soi, de peur qu’usant de son autorité et puissance, lui pût donner la loi et la pût tourner, virer et fouler, ainsi qu’il lui eût plu ; mais, en cela, choisissait ses égaux et inférieurs, auxquels elle ordonnait leur rang, leur assiette, leur ordre, et forme de combat amoureux, ni plus ni moins qu’un sergent-major à ses gens le jour d’une bataille ; et leur commandait de ne l’outrepasser, sous peine de perdre leurs pratiques, aux uns son amour et aux autres la vie ; si que debout, ou assis ou couchés, jamais ne se purent prévaloir sur elle de la moindre humiliation, ni soumission, ni inclination, qu’elle leur eût rendu et prêté.
Je m’en rapporte au dire et au songer de ceux et celles qui ont traité telles amours, telles postures, assiettes et formes.
Cette dame pouvait ordonner ainsi, sans qu’il y allât rien de son honneur prétendu, ni de son cœur généreux offensé ; car, à ce que j’ai ouï dire à aucuns praticiens, il y avait assez de moyens pour faire telles ordonnances et pratiques.
Voilà une terrible et plaisante humeur de femme, et bizarre scrupule de conscience généreuse. Et elle avait raison pourtant ; car c’est une fâcheuse souffrance que d’être subjuguée, ployée, foulée, et même quand l’on pense quelquefois à part soi, et qu’on dit : « Un tel m’a mis sous lui et foulé, par manière de dire, sinon aux pieds, mais autrement » ; cela vaut autant à dire.