Discours premier-5

2166 Words
Une dame de bonne part, au m******e de la Saint-Barthélemy, ayant été ainsi forcée et son mari mort, elle demanda à un homme de savoir et de conscience si elle avait offensé Dieu et si elle n’en serait point punie de sa rigueur, et si elle n’avait point fait tort aux mânes de son mari qui ne venait que d’être frais tué. Il lui répondit que, quand elle était en cette besogne, si elle y avait pris plaisir, certainement elle avait péché, mais si elle y avait eu du dégoût, c’était tout un. Voilà une bonne sentence ! J’ai bien connu une dame qui était différente de cette opinion, qui disait qu’il n’y avait si grand plaisir en cette affaire que quand elle était à demi forcée et abattue et même d’un grand, d’autant que, tant plus on fait de la rébellion et du refus, d’autant plus on y prend d’ardeur et s’efforce-t-on, car, ayant une fois faussé sa brèche, il jouit de sa victoire plus furieusement et rudement et, d’autant plus on donne d’appétit a sa dame, qui contrefait, pour tel plaisir, la demi-morte et pâmée, comme il semble, mais c’est de l’extrême plaisir qu’elle y prend, même, comme disait cette dame, que bien souvent elle donnait de ces venues et altères à son mari et faisait la farouche, la bizarre et dédaigneuse, le mettant plus en rut, et, quand il venait là, lui et elle s’en trouvaient cent fois mieux, car, comme plusieurs ont écrit, une dame plaît plus quand elle fait la difficile et résiste que quand elle se laisse sitôt porter par terre. Aussi en guerre, une victoire obtenue de force est plus signalée, plus ardente et plaisante, que par la gratuité, et en triomphe-t-il mieux. Mais aussi il faut que la dame fasse tant en cela la revêche ni terrible, car on la tiendrait plutôt pour une p****n rusée qui voudrait faire de la prude, dont bien souvent elle serait scandalisée, ainsi que j’ai ouï dire à des plus savantes et habiles en ce fait, auxquelles je m’en rapporte, ne voulant être si présomptueux de leur en donner des préceptes qu’elles savent mieux que moi. Or j’ai vu plusieurs blâmer grandement aucuns de ces maris jaloux et meurtriers d’une chose, que si leurs femmes sont putains, eux-mêmes en sont cause. Car, comme dit saint Augustin, c’est une grande folie à un mari de requérir chasteté à sa femme, lui étant plongé au bourbier de paillardise, et en tel état doit être le mari qu’il veut trouver sa femme. Même nous trouvons en notre Sainte écriture qu’il n’est pas besoin que le mari et la femme s’entraiment si fort ; cela se veut entendre par des amours lascifs et paillards, d’autant que, mettant et occupant de tout leur cœur en ces plaisirs lubriques, y songent si fort et s’y adonnent si très tant, qu’ils en laissent l’amour qu’ils doivent à Dieu ; ainsi que moi-même j’ai vu beaucoup de femmes qui aimaient tellement leurs maris, et eux elles, et en brûlaient de telle ardeur qu’elles et eux en oubliaient tout le service de Dieu, si bien que le temps qu’il y fallait mettre, ils le mettaient et consommaient après leurs paillardises. De plus, ces maris, qui pis est apprennent à leurs femmes, dans leur lit propre, mille lubricités, mille paillardises, mille tours, contours, façons nouvelles et leur pratiquent ces figures énormes de l’Arétin, de telle sorte que, pour un tison de feu qu’elles ont dans le corps, elles y en engendrent cent et les rendent ainsi paillardes, si bien qu’étant de telle façon dressées, elles ne se peuvent en garder qu’elles ne quittent leurs maris et aillent trouver autres chevaliers, et, sur ce, leurs maris en désespèrent et punissent leurs pauvres femmes, en quoi ils ont grand tort, car puisqu’elles sentent leur cœur pour être si bien dressées, elles veulent montrer à d’autres ce qu’elles savent faire et leurs maris voudraient qu’elles cachassent leur savoir, en quoi il n’y a apparence ni raison, non plus que si un bon écuyer avait un cheval bien dressé, allant de tous airs, et qu’il ne voulût permettre qu’on le vît aller, ni qu’on montât dessus, mais qu’on le crût à sa simple parole et qu’on l’achetât ainsi. – J’ai ouï conter à un honnête gentilhomme de par le monde, lequel étant devenu fort amoureux d’une belle dame, il lui fût dit par un sien ami qu’il y perdrait son temps, car elle aimait trop son mari. Il se va aviser une fois de faire un trou qui regardait droit dans leur lit, si bien qu’étant couchés ensemble il ne faillit de les épier par ce trou, d’où il vit les plus grandes lubricités, paillardises, postures sales, monstrueuses et énormes, autant de la femme, voire plus que du mari, et avec des ardeurs très extrêmes, si bien que le lendemain il vint trouver son compagnon et lui raconta la belle vision qu’il avait eue, et lui dit : « Cette femme est à moi aussitôt que son mari sera parti pour tel voyage, car elle ne se pourra tenir longuement en sa chaleur que la nature et l’art lui ont donnée, il faut qu’elle la passe, et par ainsi, par ma persévérance, je l’aurai ». – Je connais un autre honnête gentilhomme qui, étant bien amoureux d’une belle et honnête dame, sachant qu’elle avait un Arétin en figures dans son cabinet, que son mari savait et l’avait vu et permis, augura aussitôt par là qu’il l’attraperait et, sans perdre espérance, il la servit si bien et continua, qu’enfin il l’emporta, et connut en elle qu’elle y avait appris de bonnes leçons et pratiques, ou fût de son mari ou d’autres, niant pourtant que ni les uns ni les autres n’en avaient point été les premiers maîtres, mais la dame nature, qui en était meilleure maîtresse que tous les arts. Si est-ce que le livre et la pratique lui avaient beaucoup servi en cela, comme elle lui confessa peu après. – Il se lit d’une grande courtisane et maquerelle insigne du temps de l’ancienne Rome, qui s’appelait Elefantina, qui fit et composa de telles figures de l’Aretin, encore pires, auxquelles les dames grandes et princesses faisant état de putanisme étudiaient comme un très beau livre ; et cette bonne dame p****n cyrénéenne, laquelle était surnommée aux douze inventions, parce qu’elle avait trouvé douze manières pour rendre le plaisir plus voluptueux et lubrique. – Héliogabale gageait et entretenait, par grand argent et dons, ceux et celles qui lui inventaient et produisaient nouvelles et telles inventions pour mieux éveiller sa paillardise. J’en ai ouï parler d’autres pareils de par le monde. – Un de ces ans, le pape Sixte fit pendre, à Rome un secrétaire qui avait été au cardinal d’Est et s’appelait Capella, pour beaucoup de forfaits, mais entre autres parce qu’il avait composé un livre de ces belles figures, lesquelles étaient représentées par un grand que je ne nommerai point pour l’amour de sa robe, et par une grande, l’une des belles dames de Rome, et tous représentés au vif et peints au naturel. – J’ai connu un prince de par le monde qui fit bien mieux, car il acheta d’un orfèvre une très belle coupe d’argent doré, comme pour un chef-d’œuvre de grande spécialité, la mieux élaborée, gravée et ciselée qu’il était possible de voir, où étaient taillées bien gentiment et subtilement au burin plusieurs figures de l’Arétin, de l’homme et de la femme, au bas étage de la coupe, au-dessus et au haut plusieurs aussi de diverses manières de cohabitations de bêtes ; là où j’appris la première fois (car j’ai vu souvent ladite coupe et bu dedans, non sans rire) celle du lion et de la lionne, qui est toute contraire à celle des autres animaux, que je n’avais jamais su, dont je m’en rapporte à ceux qui le savent sans que je le dise. Cette coupe était l’honneur du buffet de ce prince, car, comme j’ai dit, elle était très belle et riche d’art et agréable à voir au-dedans et au-dehors. Quand ce prince festinait les dames et filles de la cour, comme souvent il les conviait, ses sommeliers ne faillaient jamais, par son commandement, de leur bailler à boire dedans ; et celles qui ne l’avaient jamais vue, en buvant ou après, les unes demeuraient étonnées et ne savaient que dire là-dessus ; aucunes demeuraient honteuses, et la couleur leur sautait au visage ; aucune s’entredisaient entre elles : « Qu’est-ce que cela qui est gravé là-dedans ? Je crois que ce sont des salauderies. Je n’y bois plus. J’aurais bien grand-soif avant que j’y retournasse boire. » Mais il fallait qu’elles bussent là, ou bien qu’elles éclatassent de soif ; et, pour ce, aucunes fermaient les yeux en buvant ; les autres moins vergogneuses point ; qui en avaient ouï parler du métier, tant dames que filles, se mettaient à rire sous bourre ; les autres en crevaient tout à trac. Les unes disaient, quand on leur demandait ce qu’elles avaient à rire et ce qu’elles avaient vu, disaient qu’elles n’avaient rien vu que des peintures, et que pour cela elles n’y laisseraient à boire une autrefois. Les autres disaient : « Quant à moi, je ne songe point au mal ; la vue et la peinture ne souillent point l’âme. » Les unes disaient : « Le bon vin est aussi bon là qu’ailleurs. » Les autres affirmaient qu’il y faisait aussi bon boire qu’en une autre coupe, et que la soif s’y passait aussi bien. Aux unes on faisait la guerre parce qu’elles ne fermaient pas les yeux en buvant ; elles répondaient qu’elles voulaient voir ce qu’elles buvaient, craignant que ce ne fût du vin, mais quelque médecine ou poison. Aux autres, on demandait à quoi elles prenaient plus de plaisir, ou à voir, ou à boire ; elles répondaient : « À tout. » Les unes disaient : « Voilà de belles grotesques ; » les autres : « Voilà de plaisantes momeries ; » les unes disaient : « Voilà de belles images ; » les autres : « Voilà de beaux miroirs ; » les unes disaient : « L’orfèvre était bien à loisir de s’amuser à faire ces fadaises ; » les autres disaient : « Et vous, monsieur, encore plus d’avoir acheté ce beau hanap ». Aux unes on demandait si elles ne sentaient rien qui les piquait au milieu du corps ; elles répondaient que nulle de ces drôleries y avait eu pouvoir de les piquer ; aux autres on demandait si elles n’avaient point senti le vin chaud, et qu’il les eût échauffées, encore que ce fût en hiver ; elles répondaient qu’elles n’avaient garde, car elles avaient bu bien froid ce qui les avait bien rafraîchies ; aux unes on demandait quelles images entre toutes elles voudraient tenir en leur lit ; elles répondaient qu’elles ne se pouvaient ôter de là pour les y transporter. Bref, cent mille brocards et sornettes sur ce sujet s’entredonnaient les gentilshommes et dames ainsi à table, comme j’ai vu que c’était une très plaisante gausserie, et chose à voir et ouïr ; mais surtout, à mon gré, le plus et le meilleur était de contempler ces filles innocentes, ou qui feignaient l’être, et autres dames nouvellement venues, à tenir leur mine froide, riante du bout du nez et des lèvres, ou à se contraindre ou faire des hypocrites, comme plusieurs dames en faisaient de même. Et notez que, quand elles eussent dû en mourir de soif, les sommeliers n’eussent osé leur donner à boire en autre coupe ni verre. Et, qui plus est, aucunes juraient, pour faire bon minois, qu’elles ne retourneraient jamais à ces festins ; mais elles ne se lassaient pour cela à y retourner souvent, car ce prince était très splendide et friand. D’autres disaient quand on les conviait : « J’irai, mais en protestation qu’on ne nous baillera point à boire dans la coupe » ; et quand elles y étaient, elles y buvaient plus que jamais. Enfin, elles s’y amusèrent si bien qu’elles ne se firent plus de scrupules d’y boire ; et firent bien mieux aucunes, qu’elles se servirent de telles visions en temps et lieu ; et, qui plus est, aucunes s’en débauchèrent pour en faire l’essai, car toute personne d’esprit veut essayer tout. Voilà les effets de cette belle coupe si bien historiée. À quoi faut-il s’imaginer les autres discours, les songes, les mines et les paroles que telles dames disaient et faisaient entre elles, à part ou en compagnie. Je pense que telle coupe était bien différente de celle dont parle M. de Ronsard en l’une de ses premières odes, dédiée au feu Roi Henry, qui se commence ainsi : Comme un qui prend une coupe, Seul honneur de son trésor, Et de rang verse à la troupe Du vin qui rit dedans l’or. Mais en cette coupe le vin ne riait pas aux personnes, mais les personnes au vin : car les unes buvaient en riant et les autres buvaient en se ravissant ; les unes se compissaient en buvant et les autres buvaient en se compissant ; je dis d’autre chose que de pissat. Bref, cette coupe faisait de terribles effets, tant y étaient pénétrantes ces visions, images et perspectives ; dont je me souviens qu’une fois, en une galerie du comte de Châteauvilain, dit le seigneur Adjacet, une troupe de dames avec leurs serviteurs étant allées voir cette belle maison, leur vue s’adressa sur de beaux et rares tableaux qui étaient dans ladite galerie. À elles se présenta un tableau fort beau, où étaient représentées force belles dames nues qui étaient aux bains, qui s’entretouchaient, se palpaient, se maniaient et frottaient, s’entremettaient, se tâtonnaient, et, qui plus est, se faisaient le poil tant gentiment et si proprement en montrant tout, qu’une froide recluse ou ermite s’en fût échauffée et émue ; et c’est pourquoi une dame grande, dont j’ai ouï parler et connue, se perdant en ce tableau, dit à son serviteur en se tournant vers lui comme enragée de cette rage d’amour : « C’est trop demeurer ici : montons en carrosse promptement, et allons en mon logis, car je ne puis plus contenir cette ardeur ; il la faut aller éteindre, c’est trop brûler. » Et ainsi partit, et alla avec son serviteur prendre de cette bonne eau qui est si douce sans sucre, que son serviteur lui donna de sa petite burette.
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