Chapitre IV-2

1163 Words
– Je le suivrai, dit Lambourne, jusqu’à ce qu’il ait évacué la Flandre ; mais pour lever la main contre un homme avec qui j’ai bu aujourd’hui le coup du matin, non, c’est contre ma conscience. Et il sortit de l’appartement. Cependant Tressilian avait pris d’un pas rapide la première allée qui lui paraissait devoir le conduire à la porte par où il était entré ; mais les réflexions qui l’agitaient, l’empressement qu’il mettait à s’éloigner, firent qu’il se trompa d’avenue, et au lieu d’entrer dans celle qui le menait au village, il en prit une qui, après qu’il l’eut parcourue quelque temps à grands pas, le conduisit d’un autre côté de ce domaine. Il se trouva vis-à-vis une petite porte percée dans la muraille, et qui donnait sur les champs. Il s’arrêta un instant. Peu lui importait par où il sortirait d’un séjour qui ne lui offrait que des souvenirs pénibles ; mais il était probable que cette porte était fermée, et qu’il ne pourrait faire sa retraite de ce côté. – Il faut pourtant l’essayer, pensa-t-il. Le seul moyen de sauver cette malheureuse fille, cette fille toujours si intéressante, c’est que son père en appelle aux lois outragées de son pays ; il faut donc que je lui apprenne sans délai une nouvelle qui va lui percer le cœur. Tout en s’entretenant ainsi avec lui-même, il s’approcha de la porte, et tandis qu’il examinait s’il était possible soit de l’ouvrir, soit d’escalader la muraille, il entendit qu’on plaçait à l’intérieur une clef dans la serrure. Elle s’ouvrit ; la porte roula sur ses gonds, et un cavalier enveloppé d’un grand manteau et portant un chapeau rabattu, surmonté d’un panache, s’arrêta à quatre pas de celui qui cherchait à sortir. Tous deux s’écrièrent en même temps d’un ton de ressentiment et de surprise, l’un : – Varney !… l’autre : – Tressilian ! – Que faites-vous ici ? demanda brusquement le nouveau venu après le premier moment de surprise ; que faites-vous dans un lieu où vous n’êtes ni attendu ni désiré ? – Et qu’y faites-vous vous-même, Varney ? répondit Tressilian. Y venez-vous pour triompher de l’innocence que vous avez sacrifiée, comme le vautour s’engraisse de la chair de l’agneau auquel il a d’abord arraché les yeux, ou pour recevoir de la main d’un galant homme le châtiment qui vous est dû ? Tirez votre épée, scélérat, et défendez-vous ! Tressilian avait mis l’épée à la main en lui parlant ainsi ; mais Varney se contenta de porter la main sur la poignée de la sienne. – Es-tu fou, Tressilian ? lui dit-il : je conviens que les apparences sont contre moi ; mais je te jure par tous les serments qu’un prêtre puisse dicter, et qu’un homme puisse faire, qu’Amy Robsart n’a rien à me reprocher. J’avoue que je serais fâché de lever la main contre toi en cette circonstance : tu n’ignores pas que je sais me battre. – Je te l’ai entendu dire, Varney, dit Tressilian ; mais en ce moment j’en désire d’autres preuves que ta parole. – Tu n’en manqueras point, répondit Varney, si ma lame et sa poignée me sont fidèles. Et à l’instant, tirant son épée de la main droite, et s’enveloppant la gauche de son manteau, il attaqua Tressilian avec une vigueur qui sembla lui donner l’avantage ; il ne le conserva pas longtemps. La soif de la vengeance animait Tressilian ; mais il avait de plus un bras habitué à manier les armes, et un œil exercé à toutes les manœuvres de l’escrime. Varney, à son tour serré de près, résolut de profiter de sa force pour attaquer son ennemi corps à corps. Dans ce dessein, il se hasarda à recevoir une des passes de Tressilian dans son manteau, et avant que celui-ci eût pu retirer son arme, il se précipita sur lui, et, tenant son épée de court, il se préparait à la lui passer à travers le corps. Mais son adversaire était sur ses gardes : tirant de l’autre main son poignard, il para avec la lame de cette arme le coup qui aurait terminé le combat, et déploya tant d’adresse dans la lutte qui s’ensuivit, que Giles Gosling, s’il eût été témoin de ce combat, eût été confirmé dans son opinion qu’il était né dans le Cornouailles, les habitants de ce comté étant si habiles dans cet exercice, que, si les jeux de l’antiquité venaient à renaître, ils pourraient défier le reste de l’Europe. Varney, dans sa tentative malavisée, fut renversé d’une manière si violente et si soudaine, que son épée tomba à quelques pas de lui ; et, avant qu’il eût pu se relever, la pointe de celle de son antagoniste était appuyée sur sa poitrine. – Donne-moi à l’instant le moyen de sauver la victime de ta trahison, s’écria Tressilian, ou prépare-toi à faire tes adieux au jour qui nous éclaire. Varney, trop confus et trop courroucé pour lui répondre, fit un nouvel effort pour se relever, et son ennemi, levant son épée, allait lui porter le coup mortel, quand, il sentit son bras retenu par-derrière. Il se retourna, et vit Michel Lambourne, qui, dirigé par le cliquetis des armes, était arrivé fort à propos pour sauver la vie de Varney. – Allons, allons, camarade, dit Lambourne, voilà bien assez de besogne pour un jour, si ce n’en est déjà trop ; rengainez votre flamberge, et allons-nous-en ; l’Ours-Noir hurle après nous. – Retire-toi, vil misérable ! s’écria Tressilian en secouant le bras de manière à forcer Michel à lâcher prise ; oses-tu bien venir te placer entre moi et mon ennemi ? – Vil misérable ! répéta Lambourne ; c’est ce dont le fer me fera raison dès qu’une bouteille de vin des Canaries aura chassé de ma mémoire le souvenir du coup du matin que nous avons bu ensemble. En attendant, point de façon ; jouez des jambes ; partez, décampez ; nous sommes deux contre un maintenant. Il disait vrai, car Varney profitait de cet instant pour ramasser son épée ; Tressilian vit que ce serait un acte de folle témérité que de soutenir un combat si inégal. Prenant deux nobles d’or dans sa bourse, il les jeta à Lambourne : – Tiens, pendard, lui dit-il, voilà le salaire de ta matinée ! Il ne sera pas dit que tu m’as servi de guide sans être payé ! Adieu, Varney ; nous nous reverrons dans quelque lieu où personne ne pourra te dérober à ma vengeance. Et, à ces mots, il sortit du parc, dont la porte était restée ouverte. Varney ne parut point avoir envie de troubler la retraite de son ennemi ; peut-être même n’en avait-il pas la force, car sa chute l’avait étourdi. Cependant, fronçant le sourcil en le voyant disparaître, il se tourna vers Lambourne : – Mon brave, lui dit-il, es-tu un camarade de Foster ? – Son ami juré, comme la lame l’est de la poignée. – Prends cette pièce d’or, et suis-moi cet homme-là ; sache où il s’arrêtera, et viens m’en informer ici ; mais surtout, silence et discrétion si tu aimes la vie. – Il suffit. Vous verrez que vous n’avez pas choisi un mauvais limier, et je vous en rendrai bon compte. – Fais diligence, dit Varney en remettant sa rapière dans le fourreau ; et, tournant le dos à Michel, il prit le chemin de la maison. Lambourne ne s’arrêta qu’un instant pour ramasser les deux nobles d’or que Tressilian lui avait jetés avec si peu de cérémonie ; et, les mettant dans sa bourse avec celui qu’il tenait de la libéralité de Varney : – Je parlais hier de l’Eldorado à ces imbéciles, se dit-il à lui-même ; de par saint Antoine ! il n’existe pas, pour un homme comme moi, d’Eldorado comparable à la vieille Angleterre. Il y pleut des nobles d’or, de par le ciel ! Ils couvrent la terre comme des gouttes d’eau ; on n’a que la peine de les ramasser ; et, si je n’ai pas ma part de cette précieuse rosée, puisse la lame de mon sabre se fondre comme un glaçon !
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