I
Ce n’est plus sous la tente d’un café, humant les liquides douteux de la distillerie contemporaine, que nous retrouvons aujourd’hui nos trois amis Jacques, Blanc-Minot et le Marseillais Féréol ; mais bien dans une allée du bois de Boulogne, ingénieux piétons marchant sur la terre attendrie de rosée, à l’heure matinale où chacun se peut croire propriétaire de cet admirable jardin. Jacques est silencieux ; il pense aux promenades d’antan, quand sur son bras s’appuyait un bras aimé aux tressaillements affectueux ; pour un peu, il chercherait d’un regard oblique, sur sa manche, la jolie petite main gantée de Suède qui y posait de si délicieux abandons. Autour de lui, l’air est imprégné des parfums grisants du souvenir, comme si toutes les fleurs jadis cueillies sur ces routes paresseuses venaient de mourir, en bouquet, à ses pieds. Blanc-Minot suit d’un œil distrait les rares silhouettes de cavaliers et d’amazones qui se profilent sur le rideau de brume où le paysage est comme enfermé dans un horizon qui recule devant eux, rayé par les lignes rares et verticales des arbres. Quant à Féréol, il siffle un air provençal, un air dont le cliquetis sonore des cigales ferait mieux l’accompagnement que la chanson rapide et touchante des fauvettes effarouchées au moindre bruit de pas.
– Je sais encore, dit tout à coup Blanc-Minot, un cas plus malaisé que celui que vous avez si ingénieusement résolu, mon cher Féréol, quand vous surprîtes Mme Cascamille toute nue.
– Et lequel, mon garçon ? demanda le moderne Phocéen, en interrompant son solo de hautbois naturel.
– Celui, poursuivit Blanc-Minot, où l’on a eu la langue trop longue.
– Vous dites, mon cer ?
– Je dis celui où, par défaut de discrétion professionnelle, on a si malencontreusement conté à de bavards confidents ses bonnes fortunes que le mari lui-même, le mari qu’on trompait avec délices, en est informé.
– Juste châtiment, fit Jacques, d’une faute sans excuses et cependant commune ! Car ceux-là sont rares qui savent faire une ombre absolue et un silence complet autour de leur bonheur. Bien peu, en effet, sont suffisamment convaincus que l’amour-propre est le plus cruel ennemi de l’amour. Au reste, il vaut mieux pour la morale qu’il en soit ainsi.
– Et pourquoi donc ? demanda Blanc-Minot ?
– Mais parce que si les femmes pouvaient mieux compter sur le secret et la probité de leurs amants, il s’en trouverait moins encore pour se donner l’inutile peine d’être fidèles.
– Tout ça, dit Féréol, ce sont zeux d’enfants. Ze vous répète qu’avec de la présence d’esprit on se tire de tout.