II
– Plus ou moins bien, reprit Jacques. J’ai cru trouver un jour, en l’occurrence que nous disons, une formule impeccable et ne suis pas mieux sorti de l’aventure pour cela. Aussi vous me pourriez martyriser aujourd’hui comme un chrétien de la décadence romaine, que vous ne m’arracheriez pas le nom de celle qui m’accorde in partibus de quasi-matrimoniales faveurs. Et pourtant si vous la connaissiez, la farouche, vous m’envieriez l’un et l’autre un bonheur presque invraisemblable, à force d’être grand. Mais plus de bêtises ! La leçon m’a suffi que je reçus il y a deux ans.
– Au moins, fais-nous en profiter.
– Volontiers. Mais à charge de revanche, car l’expérience de nos amis est ce que je sais de plus précieux au monde. Donc j’avais une maîtresse mariée. Créature adorable : toute blanche avec des cheveux d’or ; un lys où des rayons de soleil ont fait leur nid. Femme du meilleur monde et d’irréprochable renommée. Ce que j’avais juré d’être discret ! Mais comme l’antique berger, j’avais des folies d’ouvrir un trou dans le sable pour crier à la terre mes joies débordantes et mes surhumaines félicités. C’eût encore été sage auprès de ce que je fis en en glissant le surplus dans une oreille humaine. Le misérable m’avait juré de ne rien dire ; mais sans doute avait-il aussi un ami auquel il ne savait rien cacher. Ce n’était pas à moi à lui en faire le reproche. Un jour le comte – le mari de ma bonne amie était un comte authentique – me prit le bras et m’attira dans un coin : – Savez-vous, me dit-il, qu’on m’a dit que vous étiez l’amant de ma femme ?… J’étais atterré ; mais je ne crus inspiré par un dieu, et, prenant un air à la fois solennel et sans inquiétudes : – Monsieur le comte, répondis-je, de deux choses l’une : ou vous croyez à cette infamie ou vous n’y croyez pas. Dans le premier cas, je m’étonne que vous ne m’ayez pas encore coupé la figure de votre canne, et, dans le second, je me demande vraiment pourquoi vous me parlez de cela.
Très gravement et avec une dignité parfaite, le gentilhomme répliqua : – Je ne crois pas, Monsieur, à cette infamie, et je conserve pour ma femme tout le respect que je lui dois. Mais il me faut une satisfaction devant le monde, et vous voudrez bien m’indiquer sur l’heure où deux de mes amis trouveront demain matin deux des vôtres. Il est bien entendu que je vous demande raison, non pas de m’avoir trompé, mais d’avoir justifié, par vos assiduités, des bruits dangereux à mon honneur.
Le lendemain, vers deux heures, ce noble personnage me caressait la clavicule d’un long coup d’épée. Tout se passa avec une correction parfaite ; mais j’en eu pour un mois de lit.
– Pécaïre ! fit Féréol.