II
– Au fait, reprit-il après un moment de réflexion, c’est toujours une chose fort gênante que de se trouver vis-à-vis d’une femme qu’on surprend dans un déshabillé qu’elle ne méditait pas. Autant l’attitude à prendre est simple quand elle vous attend dans cette tenue familière ; autant elle est embarrassante quand cette bonne fortune relative est improvisée par le hasard.
– Il suffit d’un peu de présence d’esprit, dit hardiment Féréol, de son plus délicieux accent méditerranéen.
– Ce n’est pas si simple que vous l’imaginez, poursuivit Jacques. J’ai, dans cet ordre d’idées, une mésaventure à mon actif qui prouve qu’un excès de bonne éducation n’y trouve pas toujours son compte.
– Voyons l’histoire ?
– Oh ! la plus simple du monde ! J’étais en villégiature chez mon ami le baron des Engrumelles, dans sa superbe propriété de la Tourette. Mme des Engrumelles est une des plus belles personnes que je connaisse, mais d’un caractère un peu revêche, très fière de sa réelle splendeur. Car il n’est pas donné de rencontrer souvent un visage aussi noblement modelé qu’encadre une aussi magnifique chevelure, une vraie toison d’or pâle, grande et moutonnante à la fois, un ruissellement de lumière. L’expression hautaine de son regard, l’accent ironique de sa bouche finement relevée aux coins, l’imperceptible et continuelle palpitation de ses narines roses et transparentes, tout dit, en elle, la race et est empreint d’un charme impérieux. Elle m’intimidait considérablement ; mais le malaise visible et respectueux où me mettait la majesté de sa personne ne semblait pas autrement lui déplaire. Pour me gêner davantage encore, cet animal de des Engrumelles faisait semblant d’être jaloux de moi. Au demeurant, nous faisions un trio bien innocent et très bébête.
Je ne connaissais pas trop bien le château. Un matin qu’il pleuvait, vers dix heures, très désœuvré, l’idée me vint de le parcourir. La bibliothèque du baron donnait sur une pièce que je n’avais jamais ouverte. Je poussai machinalement la porte. Un petit cri répondit au grincement de celle-ci. J’avais pénétré dans une salle de bain, juste au moment où madame la baronne mettait son premier pied dans la baignoire. Bien qu’elle me tournât le dos… un dos magnifique !… elle m’avait vu, grâce à une glace posée contre le mur au-dessus des robinets.
– Madame, m’écriai-je, veuillez croire que si j’avais pensé vous voir dans cet état, je n’aurais jamais…
Elle ne m’en laissa pas dire davantage.
– Eh bien ! fit-elle d’un ton glacialement vexé, vous êtes poli !
– Té ! conclut Féréol en éclatant de rire.