VI
Soldat !
On entendit une sonnerie.
– On sonne pour monter à cheval, dit Perrotin. Descends avec moi, tu vas voir l’escadron partir pour la manœuvre. Viens.
Le départ pour la manœuvre est un des épisodes les plus pittoresques de la journée militaire. Le quartier est sens dessus dessous ; tout le monde s’agite, les uns achevant de s’habiller, les autres courant prendre leur selle et leur harnachement, mettant tout cela sur leur tête et descendant au galop l’escalier pour aller à l’écurie seller et brider leurs chevaux qu’ils mènent ensuite par la bride à leur rang. Les sous-officiers, à cheval et sans armes, marquent la place de chaque rassemblement. En quelques minutes les rangs se forment, et enfin, escadron par escadron, le régiment se met en marche au son de la fanfare.
Fiammet avait descendu l’escalier quatre à quatre. Ce bruit, ce mouvement ; cet ordre imposant succédant au tumulte ; les hennissements des chevaux, le cliquetis des armes ; les cris solennels des commandements répercutés de poitrine en poitrine par la voix des chefs ; enfin cette sonnerie de trompettes déchirant l’air tandis que la terre tremblait et grondait sous les pas de cinq cents chevaux, tout cela, passant en quelques minutes sous ses yeux au milieu d’un tourbillon de poussière, lui parut comme un rêve. Il eut la vision de cette espèce de monstre dont il n’avait eu jusque-là qu’une vague idée : LA GUERRE ! Des mouvements inconnus le faisaient tressaillir ; il se sentait envahi, absorbé, par un être supérieur qui se substituait à lui et l’emportait d’un bond dans un monde tout rempli de fureurs et de menaces. Puis, peu à peu, à l’idée que lui aussi allait se ruer parmi les rangs de ces hommes de guerre, qu’il allait avoir sa part de leur puissance, sa place dans leur formidable appareil, il sentit son cœur s’élargir et je ne sais quelle dignité monter à son âme. Il était soldat !
Car c’est ainsi que se forment les établissements et les associations des hommes : par l’instinct, par l’imitation, par l’enthousiasme.
Longtemps après qu’il eut vu les derniers cavaliers disparaître par la grande porte du quartier, Fiammet demeura immobile, perdu dans un monde de pensées où il ne se reconnaissait plus. L’immense cour était presque déserte, un profond silence avait succédé au tumulte qui la remplissait tout à l’heure. De temps à autre, quelques cavaliers traversaient la cour en sifflant d’un air de bonne humeur.