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1276D’aulcuns soutenoient qu’il est suffisant de pendre à la hart, jusqu’à ce que mort s’en suive, sorciers et sesteurs malefits. À mon avis, c’est erreur grave et contraire aux saints conciles. Il faut les cuire en belle et bonne chaudronnie de poix bouillante, ou les arder en un buscher qui n’en laisse pas même les os. Le R.P. MATHURIN. Des supplices qui sont dus aux sorciers. Un chroniqueur bien avisé fait voir en ses écrits que nulle cité n’est plus semblable à Jérusalem que la cité de Cambrai. En effet, de même que la ville sainte est bornée à l’Orient par la montagne des Oliviers, de même le mont Saint-Géry domine aussi Cambrai vers le levant. Quand Jérusalem était soumise aux chrétiens, le patriarche et le roi, le clergé et le peuple se rendaient le dimanche des Rameaux sur le mont des Oliviers. Là ils recevaient des palmes, et descendaient ensuite dans la vallée de Josaphat où la multitude entendait l’évangile du jour et le sermon. C’est ainsi qu’à Cambrai la même procession se dirige d’abord sur le mont Saint-Géry où l’on fait la bénédiction et la distribution des rameaux, puis on descend vers l’abbaye du Saint-Sépulcre, qui est comme une autre vallée de Josaphat, et l’on y fait la lecture de l’évangile et la prédication. Au pied du mont des Oliviers, on voit la maison de Saint-Lazare : de même, à Cambrai, le couvent de Saint-Lazare se trouve au bas du mont Saint-Géry. Or, après ladite procession, il était coutume à l’évêché de donner aux besoigneux du pain, de menus secours de monnaie, et des surcots de grosse étoffe. Monseigneur Odon, évêque en ce temps, ne manquait pas de faire de telles œuvres pies ; et, en l’année du salut du monde mille-deux-cent-septante-six, tel nombre de pauvres était advenu pour recevoir cette aubaine, que le prévôt de l’église, les chanoines et autres chargés de distribuer les aumônes, étaient encore là à l’heure de vêpres, empêtrés et ne voyant nul espoir de parfaire avant nuit close si rude besogne. Car il y avait pour le moins cent encore nécessiteux de la ville ou bien du faubourg, qui attendaient d’avoir place pour tendre la main. C’étaient, la plupart, des vieux et des impotents, lesquels ne pouvaient, à la façon des jeunes, se ruer parmi la foule, jouer des coudés et des talons, et advenir auprès de l’échafaud où se tenait le prévôt de l’église. Lesdites bonnes gens se tenaient coi, assis, en un lieu proche, sur des troncs d’arbres, et devisant entre eux des temps passés et des choses qui y étaient advenues. On vit alors s’en venir une femme en grande détresse, pleurant à chaudes larmes, et ne pouvant quasi parler, tant gros sanglots étouffaient sa voix. « Notre-Dame vous soit en aide, vieille Berthe, se prirent à dire les plus anciens. Pourquoi si grandes doléances ? Point n’êtes advenue trop tard, et il reste aubaines de monseigneur l’évêque pour vous comme pour bien d’autres. Quand il n’en serait point de la sorte, point n’achèverait encore le cas de semblable désespoir. La charitable dame Méhaut d’Hentencourt ne laierait point sans milieu un blanc-bonnet auquel, grâces à la digne châtelaine, il n’a rien manqué jusques à cette heure. Vous êtes sa mie favorite. – La très sainte Vierge Marie lui octroie la bénédiction, reprit la vieille mendiante : car il se passe en ce moment, en plein marché au bois, des choses merveilleusement épouvantables. Aussi je ne m’en serais pas venue tout en hâte quérir ma miche, mon palterel et ma jupe de camelot, lesquels j’aurais bien souvent à perdre si l’on ne m’avait pas fait dévaliser pour les autres. – Et qu’est-ce ? s’enquièrent les vieillards et autres bonnes gens. – Ah ! fit Barthe, cela ne peut être conté vite et sans avant-propos. Car vous savez un chacun que madame la comtesse Méhaut d’Hentencourt, laquelle est mariée depuis trente et deux ans au seigneur de Henneberch, était parvenue en la cinquantième année de son âge, et qu’elle se trouva grosse, il y a sept mois environ, à la grande joie du noble sire son époux. C’était parce qu’elle avait fait un pèlerinage à Notre-Dame de Grâce, mère de tout bien et source de miracles. Mais un chacun n’expliqua pas de la sorte cette faveur divine. Il y en eut beaucoup qui dirent, en haussant les épaules : Tel enfantelet ne se trouve point dans, mais bien sur le giron de la comtesse point n’est fait de chair et d’os, mais de linge. Monseigneur Guillaume de Henneberch n’aime point son neveu Joseph, il a voulu avoir un héritier à quelque prix que ce soit. Fi, le vilain seigneur, qui préfère donner ses biens à quelque bâtard embéguiné d’un nom dont il n’est point digne, plutôt que de les laisser à son véritable héritier. À ouïr de tels propos, monseigneur Henneberch éprouvait grande colère, et ne savait quel moyen prendre pour fermer la bouche à ces propos menteurs et malséants ; il s’en mordait les pouces et s’enquérait d’un chacun s’il n’était pas un bon moyen de montrer que la comtesse portait en son giron de franche et vraie lignée. Mais la comtesse Méhaut, dame fière s’il en fût onc, né se ressentait pas de liesse, et faisait chanter chaque jour des messes, Te deum et actions de grâces en toutes les chapelles de son comté. Comme elle avait ouï-dire qu’il se trouvait grand danger à mettre au monde un fils, quand on était parvenue à un âge aussi mûr que le sien, elle résolut de faire un second pèlerinage à Notre-Dame de Grâce, afin de la remercier dignement, et de requérir d’elle d’amener à bonne fin l’œuvre merveilleuse que la Mère immaculée du Sauveur avait si bien commencée. Vous savez qu’elle est advenue depuis huit jours ici, et quelles belles aumônes elle a faites aux nécessiteux de Cambrai, et quels bons sous d’argent elle m’a donnés, et quelle rente elle m’a promise si sa grossesse venait à bien. Le tout, parce que je lui ai donné, lorsqu’elle s’en vint à l’église, une branche d’amandier en fleurs avec ce gracieux propos : il fleurit tard, noble dame, mais il porte de bons et nombreux fruits. Ah ! il n’en fut pas de même de la vieille sorcière Jeanneton. Et c’est là le mal ! Quand elle s’en vint près de la comtesse, avec ses douze enfants, criant et tenant des propos discourtois, la comtesse avait vidé son escarcelle, et elle lui dit : Dieu vous assiste ; il ne me reste, plus rien à donner aujourd’hui. « J’ai douze enfants, dit la maléficière. – Point n’en aurai autant, répondit la comtesse. – Il me faut des aumônes, répliqua la sorcière, il m’en faut, il m’en faut. » Le rouge, à des propos si malséants, vint au visage de la fière comtesse. « Va-t’en, s’écria-t-elle, va-t’en, maudite lice, toi et ta nichée de douze petits chiens. – Ah ! s’écrie la sorcière Jeanneton ! ah ! tu ris de mes douze enfants ! tu veux qu’ils meurent de faim, belle dame ! Tu en auras, des enfants, et plus de douze, et ils mourront tous, et le beau neveu de ton mari portera la couronne de Comte. » Elle aurait dit bien d’autres menaces, mais les gardes de la comtesse éloignèrent la méchante femme. Quand la comtesse revint chez elle, soit à cause de cette aventure, soit à cause de la fatigue du voyage, elle se sentit prise des douleurs de l’enfantement. Le comte en ressentit un grand désespoir. « Oh ! c’est pour le coup, s’écria-t-il, qu’ils auront beau jeu, les damnés maldisants qui s’en vont répandant de-ci et de-là que la comtesse n’est point vraiment grosse ; ils ne manqueront pas de prôner haut et ferme que c’est bien exprès et pour brouiller les yeux clairvoyants qu’elle s’en est venue faire ses couches à Cambrai, loin de son pays. » Tout à coup il se prit à dire : Ah ! il se trouve un moyen de mettre leur malice en défaut. Çà ! vite et sus, mon sénéchal, faites tendre sur le marché une ample, somptueuse et magnifique tente sous laquelle je veux que madame Méhaut, ma femme, s’accouche, consentant et permettant qu’il soit loisible à toutes les femmes de bien, qui en auront volonté, d’assister et d’être présentes au travail de ladite dame. Le tout afin d’ôter à un chacun le doute et l’opinion, répandue par malice, de la stérilité de ladite comtesse Méhaut. Hélas ! cet acte merveilleusement louable, et digne de perpétuelle mémoire, en tant même que, par cela, le comte montrait évidemment le souci qu’il avait pour le repos et la tranquillité de ses vassaux, cet acte tourna à la confusion de la comtesse, et au terrible enseignement de toute la chrétienté. La tente fut construite en une heure, et les nobles dames y entrèrent ; tandis que les pauvres femmes de ma sorte restèrent à l’entour. Bon nombre de gendarmes à cheval tenaient éloignés les curieux qui, ne portant pas béguin, n’avaient point droit en ces lieux. Or, la prédiction de la sorcière Jeanneton ne s’est que trop accomplie ! La comtesse était accouchée de son dixième enfant quand on nous fit écarter par ordre de monseigneur d’Henneberch, auquel les sages-femmes venaient de dire quelque chose à l’oreille. Le récit de la vieille Berthe n’était que trop vrai ; et, s’il faut en croire la tradition, il se passa dans la tente du marché au bois une bien autre terrible merveille : ce ne fut pas de douze enfants, mais bien hélas ! de trois cent soixante et cinq qu’accoucha la noble dame. Cela est-il ? cela n’est-il point. Nul ne peut le dire ; car un prêtre et les sages-femmes surent seuls ce qui s’était passe, et le comte leur remit une grosse somme de sous d’or, avec menacé de les faire mourir, si jamais il était dit par eux un mot de l’accouchement de la comtesse. Ce qui se trouve certain, c’est que la comtesse trépassa vers l’aube, qu’elle fut mise nuitamment au caveau de l’église métropolitaine de Notre-Dame, et que quarante grands cercueils de plomb, lesquels auraient contenus les trois cent soixante-cinq enfants, (car on disait ces enfants petits et menus), furent trouvés auprès de la bière de la comtesse, lorsque ce caveau fut ouvert deux cents années après les évènements véridiques qui sont racontés en cette légende. La sorcière Jeanneton fut brûlée vive au Coupe-Oreille, et conduite au bûcher, bâillonnée et sans qu’on lui eût fait de procédure auparavant. L’escholier d’Anchin
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