IV
M. Nickleby continua son chemin vers le Strand, et reprenant sa lettre pour s’assurer du numéro de la maison où il avait affaire, il s’arrêta à une porte bâtarde, à peu près au milieu de ce carrefour populeux.
C’était la maison de quelque artiste en miniature, avec un encadrement dans lequel s’étalaient sur un fond de velours noir deux portraits d’uniformes de marine, d’où sortaient deux figures sacrifiées au costume ; on n’y avait pas oublié les télescopes. Il y avait aussi un jeune homme en uniforme du plus beau vermillon ; celui-là brandissait un sabre. Un autre portrait, dans le style littéraire, était orné d’un front haut, d’une écritoire et d’une plume, avec accompagnement de rideau.
M. Nickleby jeta en passant un regard de mépris sur ces frivolités et frappa deux coups de marteau : l’expérience répétée une seconde, puis une troisième fois, évoqua enfin une petite bonne, qui vint ouvrir la porte, avec une figure extraordinairement malpropre.
« Mme Nickleby est-elle à la maison ? » demanda Ralph d’un ton bourru.
On entendit une voix, qui partait du haut d’un escalier perpendiculaire au fond du corridor, crier en bas :
« Qui est-ce qu’on demande ?
– Mme Nickleby, répondit Ralph, entrant sans plus de façon dans le couloir. Ah ! pardon ! j’ai l’honneur de parler à… madame, comment donc ?
– Creevy…, miss La Creevy, dit une dame en coiffe jaune, qui laissa voir sa figure par-dessus la rampe.
– Je voudrais vous dire un mot, madame, avec votre permission », dit Ralph.
La voix répondit que le monsieur pouvait monter, et il fut reçu au premier étage par la propriétaire de la coiffe jaune, avec une robe assortie ; la dame aussi paraissait être de la même couleur. Miss La Creevy était une jeune mignonne de cinquante ans ; et le salon de miss La Creevy n’était guère que la répétition, sur une plus large échelle, du cadre doré pendu dans la rue ; seulement il était un peu plus sale.
« Je suppose, madame, dit M. Nickleby, que l’étage supérieur vous appartient. »
Miss La Creevy répondit qu’en effet le haut de la maison lui appartenait, et comme elle n’avait pas besoin, pour le moment, de l’appartement du second, elle avait l’habitude de le mettre en location. Il y avait même, en ce moment, une dame de province qui l’occupait avec ses deux enfants.
« Une veuve, madame ? dit Ralph.
– Oui, elle est veuve, répondit la dame.
– Une pauvre veuve, madame, reprit Ralph, en appuyant de toute sa force sur ce petit adjectif, qui en dit plus qu’il n’est gros. Je connais mieux que personne sa position, madame, reprit Ralph. Au fait, je suis un de ses parents, et je crois devoir vous prévenir de ne pas la garder chez vous, madame.
– J’ai lieu d’espérer pourtant que, s’il y avait impossibilité pour elle de remplir ses obligations pécuniaires, la famille de la dame ne manquerait pas…
– Non, non, elle n’en ferait rien, dit Ralph en l’interrompant avec vivacité, ne comptez pas là-dessus.
– Si je croyais cela, dit miss La Creevy, ce serait bien différent.
– En ce cas, madame, vous pouvez le croire, dit Ralph, et vous régler là-dessus. C’est moi qui suis la famille, madame ; du moins je ne pense pas qu’ils aient d’autre parent que moi, et je crois de mon devoir de vous faire savoir que je ne suis pas en état de les soutenir dans leurs folles dépenses. Pour combien de temps ont-ils pris cet appartement ?
– À la semaine seulement, répliqua miss La Creevy ; Mme Nickleby m’a payé la première d’avance.
– Alors vous ferez bien de les mettre dehors au bout des huit jours, dit Ralph. Ils n’ont rien de mieux à faire que de retourner en province ; ils embarrasseront tout le monde ici. Bonjour, madame », ajouta-t-il en se levant brusquement, et il sortit sans cérémonie.
« À présent, à ma belle-sœur ! Bah ! »