XV

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XV Dans l’après-midi, on dépêcha quelques leçons dégoûtantes, et Squeers se retira dans ses foyers, laissant à Nicolas le soin de surveiller les élèves dans l’étude, qui était très froide, et où l’on servit, à la nuit tombante, un repas de pain et de fromage. Il y avait un petit poêle dans le coin de la salle le plus rapproché de la place du maître ; c’est là que s’assit Nicolas, si abattu, si humilié par le sentiment de sa position, que, si la mort était venue le visiter en ce moment, il lui aurait peut-être fait bon accueil. Les cruels traitements dont il avait été le témoin involontaire, la conduite grossière et inqualifiable de Squeers, même dans ses meilleurs moments, la malpropreté du lieu, le spectacle présent sous ses yeux, les cris qui retentissaient à son oreille : tout contribuait à lui donner cette humeur mélancolique. Mais quand il songeait qu’en sa qualité de sous-maître de M. Squeers, quelles que fussent les circonstances qui lui avaient forcé la main, il passerait pour être l’aide et le partisan d’un système pour lequel il ne sentait qu’horreur et dégoût, il se faisait honte à lui-même, et craignait que le souvenir de sa situation présente ne lui permît plus désormais de marcher la tête haute. Mais, quant à présent, son parti était pris, et il restait fermement décidé à tenir jusqu’au bout la résolution qu’il avait prise la veille. Il avait écrit à sa mère et à sa sœur pour leur annoncer qu’il était arrivé à bon port ; il parlait peu de Dotheboys-Hall, mais le peu qu’il en disait était aussi rassurant que possible. Il espérait, disait-il, en restant où il était, faire un peu de bien, même là. Dans tous les cas, il avait trop grand besoin de la faveur de son oncle, dans l’intérêt de ceux qui lui étaient chers, pour la risquer en le disposant mal contre lui. Cependant il y avait une pensée qui le troublait bien plus que toutes les considérations personnelles relatives à sa propre situation. Ce qui l’occupait surtout, c’était le sort probable que l’on allait faire à sa chère Catherine. Son oncle l’avait bien trompé lui-même, pourquoi ne choisirait-il pas aussi pour elle quelque emploi misérable où sa jeunesse et sa beauté lui seraient plus périlleuses que la laideur et la vieillesse ? Pour un homme emprisonné, pieds et poings liés, comme lui, c’était une idée à faire frémir. Mais non, il avait tort ; sa mère était près d’elle, et puis il comptait aussi sur l’honnête artiste, simple de cœur, il est vrai, mais qui, après tout, connaissait le monde, puisque c’était le monde qui lui faisait gagner sa vie. Il aimait à croire que c’était contre lui, contre lui seul, que Ralph Nickleby avait conçu de l’antipathie ; et, comme il se sentait à présent de trop sérieuses raisons de la lui rendre, il n’en comprenait que mieux celle de son oncle ; mais il cherchait à se persuader que ce mauvais sentiment se bornait là et ne s’étendait pas plus loin. Comme il était absorbé dans ces réflexions, il rencontra tout à coup les yeux de Smike tournés vers lui. Le pauvre garçon était là sur ses genoux devant le poêle, occupé à ramasser quelque morceau de charbon égaré dans les cendres, pour le replacer sur le feu. Il s’était arrêté un moment pour jeter à la dérobée un regard sur Nicolas, et quand il se vit observé, il se recula comme s’il s’attendait à être battu. « Vous n’avez pas besoin d’avoir peur de moi, lui dit Nicolas avec douceur. Avez-vous froid ? – N-o-n. – Vous tremblez cependant. – Je n’ai pas froid, répondit Smike vivement, j’y suis fait. » On voyait dans ses manières une telle crainte de déplaire, et cette créature timide semblait si découragée, que Nicolas ne put s’empêcher de s’écrier : « Pauvre garçon ! » S’il avait frappé le souffre-douleur de la maison, il l’aurait vu se sauver sans se plaindre ; mais à ces mots il le vit subitement fondre en larmes. « Mon Dieu ! dit-il en cachant sa figure dans ses mains glacées et calleuses ; mon cœur va se briser, c’est sûr ! c’est sûr ! – Chut ! lui dit Nicolas en lui mettant la main sur l’épaule. Soyez un homme par le courage, comme vous l’êtes déjà par les années, et que Dieu vous aide ! – Les années, dit Smike toujours en pleurs. Ô ciel ! ô ciel ! combien j’en ai déjà compté. Combien, depuis que j’étais petit garçon, plus jeune que tous ceux qui sont ici ! Où sont-ils tous, à présent ? IL LE VIT FONDRE EN LARMES. – De qui parlez-vous ? demanda Nicolas, qui voulait relever la raison de cette créature, en apparence presque stupide. Voyons, dites-moi ! – Mes amis, répliqua-t-il, mes… Oh ! que j’ai donc souffert. – Il ne faut jamais perdre l’espérance, dit Nicolas pour dire quelque chose. – Oh non ! non ! Il n’y en a pas pour moi ! Vous rappelez-vous l’élève qui est mort hier ? – Je n’y étais pas, vous savez, dit Nicolas avec bienveillance, mais que voulez-vous me dire ? – Eh bien, répliqua l’autre en se rapprochant de Nicolas, j’étais avec lui, la nuit, et quand tout fut en silence, il ne demanda plus, comme auparavant, que ses amis vinssent s’asseoir à ses côtés, mais il commença à voir autour de son lit des figures qui venaient de chez lui. Il disait (il rêvait sans doute) qu’elles lui souriaient, qu’elles causaient avec lui, et il finit par mourir en soulevant sa tête pour les embrasser. Vous comprenez ? – Oui, oui ! répliqua Nicolas. – Mais moi, quelles sont les figures qui viendront me sourire à l’article de la mort ? » Smike frissonnait. « Qui viendra causer avec moi dans ces longues nuits ? Elles ne peuvent pas venir de chez moi ; elles me feraient peur, car je ne sais pas seulement ce que c’est qu’un "chez moi" et je ne les reconnaîtrais pas. Douleur et crainte, crainte et douleur, voilà mon sort, à la vie et à la mort ! Non, non, pas d’espérance ! » La cloche du coucher sonna. Smike, en l’entendant, retomba dans son état habituel d’insensibilité et se glissa sans bruit, pour n’être point remarqué. Nicolas avait le cœur bien gros lorsque, quelques moments après, il se retira, ou plutôt suivit les élèves entassés dans leur dortoir sale et infect.
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