XIII

1001 Words
XIII Nicolas, resté seul, fit cinq ou six fois à grands pas le tour de sa chambre, dans un état d’agitation nerveuse facile à concevoir, mais il se calma par degrés, s’assit sur une chaise, se raisonna et finit par se promettre, coûte que coûte, de tout faire, en attendant mieux, pour supporter les maux qu’il allait avoir à subir encore ; car il se rappelait le dénuement de sa mère et de sa sœur, et ne voulait pas donner à son oncle le moindre prétexte de les abandonner dans leur malheur. Il se sentit moins découragé et même (voyez un peu l’ardeur et la vivacité de la jeunesse !) il alla jusqu’à se flatter de l’espérance qu’il ne serait peut-être pas si mal à Dotheboys-Hall qu’il l’avait cru d’abord. Il allait donc se mettre au lit avec une petite recrudescence de bonne humeur, quand il fit tomber de la poche de son habit une lettre cachetée. Dans son ahurissement au moment où il avait quitté Londres, il n’y avait plus pensé et ne l’avait pas revue depuis, mais il se rappela aussitôt la conduite mystérieuse de Newman Noggs. « Ah ! mon Dieu ! dit Nicolas, quelle singulière écriture ! » La lettre était à son adresse, écrite sur du papier dégoûtant, et les caractères en étaient presque illisibles, à force d’être tremblés et griffonnés. Il eut bien du mal à se tirer de là ; mais pourtant il finit par réussir à lire ce qui suit : Mon cher jeune homme, Je connais le monde, votre père ne le connaissait pas, c’est ce qui fait que dans une occasion il a été bon pour moi, qui ne pouvais pas lui rendre la pareille. Vous, vous ne le connaissez pas non plus, c’est ce qui fait que vous vous êtes décidé à ce voyage. Si jamais vous avez besoin d’un abri à Londres (ne vous fâchez pas ; il fut un temps où je n’aurais jamais cru en avoir besoin), adressez-vous à l’enseigne de la Couronne, Silver-Street, Golden-Square, on vous dira là où je demeure. C’est au coin de Silver-Street et de James-Street : il y a à la maison une porte grillée qui donne sur les deux rues : vous pouvez venir la nuit. Autrefois personne ne se serait cru déshonoré de… mais ne parlons plus de ça, c’est une affaire finie. Excusez mes fautes. Je ne sais plus ce que c’est de porter un habit qui n’est pas rapiécé. J’ai perdu toutes mes anciennes habitudes, mon orthographe peut bien avoir suivi le reste. NEWMAN NOGGS. « P.-S. Si vous passez près de Barnard-Castle, vous trouverez de la bonne ale à la Tête du Roi. Dites que vous êtes de ma connaissance et vous n’en serez que mieux traité. Là, par exemple, vous pouvez dire : Monsieur Noggs, car j’ai été un gentleman dans mon temps, mais c’est passé. » Je défie l’esprit le plus ingénieux d’imaginer un moyen plus infaillible de transformer le lit le plus dur en un lit de duvet, qu’un voyage de quatre-vingts lieues en diligence, par un temps froid. Peut-être même est-ce aussi le meilleur moyen d’embellir les songes. Nicolas était en train de faire une fortune des plus rapides, quand la faible lueur d’un lumignon presque éteint brilla devant ses yeux ; en même temps une voix, qu’il n’eut pas de peine à reconnaître pour appartenir à M. Squeers, l’avertit qu’il était temps de se lever. Nicolas ne demanda pas son reste et fut sur pied à l’instant ; il se mit à s’habiller à la lueur de la chandelle que M. Squeers tenait à la main. « Allons, dit M. Squeers, venez me donner un coup de main pour passer mon habit de classe, voulez-vous ? » Nicolas aida son maître à passer un vieux costume de classe en futaine, qu’il décrocha dans le corridor. Et Squeers, armé d’une canne, le mena à travers la cour à une porte qui s’ouvrait derrière la maison. « C’est ici, dit le maître de pension en le faisant entrer avec lui : voilà notre bazar, Nickleby. » Le tableau qui se présenta alors à Nicolas offrait une scène si confuse, et tant d’objets à la fois appelèrent son attention et sa curiosité, qu’il commença par regarder, tout ébahi, sans rien démêler. Cependant, peu à peu, il vit que l’étude se composait d’une salle nue et malpropre, éclairée par deux fenêtres, dont un carreau sur dix était de verre, les autres étaient remplacés par des feuilles de papier, arrachées à quelques vieux cahiers. On y voyait une couple de longues tables à pupitres, vieilles et délabrées, avec des entailles, des coupures, des taches d’encre, enfin toutes les traces de désordre imaginables ; deux ou trois bancs, un pupitre détaché pour Squeers, un autre pour son maître auxiliaire. Le plafond, comme celui d’une grange, était supporté par des poutres et des solives apparentes ; quant aux murs, ils étaient si tachés, si noircis, qu’il eût fallu bien de l’habileté pour décider s’ils avaient jamais reçu une couche de peinture ou de badigeon. Mais c’étaient les élèves ! cette jeune noblesse dont avait parlé Ralph. C’est pour le coup que les dernières et faibles lueurs d’espérance qui brillaient encore au cœur de Nicolas s’éteignirent à la vue de ce sinistre entourage. Des visages pâles et des yeux hagards, des charpentes maigres et osseuses, des physionomies de vieillards sur des figures d’enfants, des êtres difformes dont les membres étaient enfermés dans des appareils orthopédiques, des petits garçons rabougris ou d’autres avec des jambes fluettes qui pouvaient à peine porter le poids de leur corps, voilà l’ensemble qui frappa tout d’abord sa vue. Peut-être quelques-unes de ces figures seraient devenues belles si elles n’avaient pas été altérées par le sentiment incessant d’une souffrance impitoyable. Il ne leur restait plus que la jeunesse, mais la jeunesse sans la vivacité du regard, la beauté des traits ; ou plutôt il ne restait plus à l’enfant que sa faiblesse. La jeune noblesse de Dotheboys-Hall, pour le repas du matin, fut introduite dans une espèce de buanderie, où se trouvait une grande bouilloire sur un petit feu, avec un nombre considérable de petites écuelles de bois sur une table. Mme Squeers, aidée de la servante affamée, versa dans ces écuelles une composition de couleur brune, qui ressemblait assez à une infusion de pelotes, moins l’enveloppe et les épingles, et que l’on décorait du nom de potage. Chaque écuelle avait sa petite croûte de pain bis, et quand le pain leur avait fait avaler le potage, les enfants finissaient de manger le pain trempé dans le potage, et le déjeuner était achevé.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD