X

875 Words
X Si des larmes versées dans une malle étaient un talisman capable de défendre son propriétaire contre le chagrin et le malheur, Nicolas Nickleby aurait commencé son expédition sous les plus heureux auspices. Il y avait tant à faire et si peu de temps pour le faire ; tant de mots tendres à dire et à entendre, tant de douleurs à refouler dans leurs cœurs affligés, que les petits préparatifs de son voyage se firent avec une grande tristesse. Le lendemain Nicolas se leva ponctuellement à six heures. Il écrivit quelques lignes au crayon pour dire de cœur l’adieu qu’il n’osait dire de bouche, et, déposant le billet avec la moitié de son petit pécule à la porte de sa sœur, il chargea sa malle sur son épaule et se glissa doucement le long de l’escalier. Il s’arrêta à moitié chemin pour recommander sa mère et sa sœur à miss La Creevy. Arrivé à la Tête de Sarrasin, Nicolas eut fort à faire. Il lui fallut aider les petits garçons à monter, porter et placer leurs malles, et veiller à ce que le bagage de M. Squeers fût soigneusement serré dans le coffre. Il était dans le coup de feu, et tout entier à cette occupation, quand il fut accosté par M. Ralph Nickleby. « Oh ! vous voilà, dit Ralph : tenez, voici votre mère et votre sœur, monsieur. – Où donc ? cria Nicolas, en jetant à la hâte un regard autour de lui. – Par ici, répliqua son oncle. Comme elles ont tant d’argent qu’elles n’en savent que faire, je viens de les trouver, comme j’arrivais, en train de payer un fiacre qu’elles ont pris. – Nous avions peur d’arriver trop tard pour le voir partir, dit Mme Nickleby en embrassant son fils, sans se soucier des regards curieux des voyageurs. – À présent, Nickleby, dit Squeers, qui s’approcha en boutonnant son paletot, je pense que vous ferez bien de monter derrière. J’ai peur qu’un de ces petits drôles ne tombe de là, et alors, bonsoir mes vingt guinées par an. IL RECOMMANDA SA MÈRE ET SA SŒUR À MISS LA CREEVY. – Cher Nicolas, dit Catherine à voix basse, en tirant son frère par le bras ; qu’est-ce que c’est que cet homme si commun ? et quel est donc le genre de place où vous allez ? – Je le sais à peine, Catherine, répliqua Nicolas en serrant la main de sa sœur ; je suppose que les gens de Yorkshire sont un peu rudes et grossiers, voilà tout. – Mais cet homme ? – C’est mon patron, mon maître, tous les noms que vous voudrez bien lui donner, reprit vivement Nicolas. Mais voici qu’on regarde de mon côté, je devrais avoir déjà pris ma place. Dieu vous garde, ma bien-aimée sœur, et au revoir ! Ma mère, pensez désormais au bonheur de notre prochaine réunion. Adieu ! mon oncle, je vous remercie de tout mon cœur de ce que vous avez fait et de ce que vous voulez faire encore… (Au conducteur). Me voilà prêt. » Après ces adieux faits à la hâte, Nicolas monta lestement à sa place et fit de la main un salut si tendre qu’il semblait dire : « Mon cœur reste avec vous. » Au moment même, Nicolas se sentit tirer doucement par la jambe. Il regarda en bas ; Newman Noggs lui glissa mystérieusement dans la main une lettre crottée. « Qu’est-ce que c’est ? demanda Nicolas. – Chut ! fit Noggs en montrant M. Nickleby, qui avait pris M. Squeers à part, à quelques pas de là, pour lui dire quelques mots. Prenez cela, lisez-le. Personne n’en sait rien, voilà tout ! » Et il partit. Les petits garçons ayant les jambes trop courtes pour les poser de pied ferme quand ils furent assis sur l’impériale, et par conséquent leurs petits corps étant à chaque instant menacés d’être lancés par-dessus bord, Nicolas avait fort à faire à les tenir en place, tant que l’on fut sur le pavé ; les mains en mouvement et l’esprit tendu pour accomplir cette tâche difficile, il ne fut pas fâché de voir la diligence s’arrêter à l’hôtel du Paon, à Islington. Il fut encore bien plus satisfait de voir un monsieur, à la mine franche et ouverte, avec une figure de bonne humeur, et le teint frais, monter derrière, et lui proposer de prendre l’autre côté de la banquette. « Si nous mettions quelques-uns de ces écoliers au milieu, dit le nouveau venu, ils seraient plus en sûreté, dans le cas où ils viendraient à s’endormir, qu’en dites-vous ? – Si vous voulez avoir cette bonté, dit Squeers, ce sera en effet pour le mieux. Monsieur Nickleby, prenez-en trois entre ce monsieur et vous. Billing et Snawley cadet se mettront entre moi et le conducteur. » Il faisait un froid vif et piquant. Il tombait de temps en temps beaucoup de neige, et le vent était extraordinairement aigre. M. Squeers descendait presque à chaque relais, pour s’étirer les jambes ; il revenait toujours de ces excursions le nez extrêmement rouge, et se remettait tout de suite à dormir, ce qui donne à supposer que son procédé ne lui réussissait pas mal. Les petits garçons s’étaient évertués sur les restes de leur misérable déjeuner du matin, et, soi-disant fortifiés par quelques gorgées d’un cordial curieux que M. Squeers avait sur lui, et qui avait un goût d’eau panée égarée dans une bouteille d’eau-de-vie, se mirent à dormir, à s’éveiller, à grelotter, à pleurer, chacun selon ses inclinations. Nicolas et le brave homme assis sur la banquette avaient toujours tant de choses à se dire qu’en causant ensemble, en amusant les enfants, ils ne s’aperçurent pas trop de la longueur du voyage.
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