IX

925 Words
IX On entendit alors une voix qui demandait M. Squeers. « Le voici. Qu’est-ce que c’est ? – Seulement une petite affaire, monsieur, dit Ralph Nickleby, s’introduisant sans autre formalité, avec Nicolas à ses côtés. N’est-ce pas vous qui avez fait insérer une annonce dans les journaux de ce matin ? – C’est moi, monsieur. Par ici, s’il vous plaît, dit Squeers, qui était allé reprendre sa place dans sa stalle, près de la cheminée. Ne voulez-vous pas vous-asseoir ? – Si fait, répondit Ralph, qui s’assit et plaça son chapeau sur la table. Voici mon neveu, M. Nicolas Nickleby. – Comment vous portez-vous, monsieur ? » dit Squeers. Nicolas salua, répondit qu’il se portait bien, et sembla fort surpris en voyant l’extérieur du propriétaire de Dotheboys-Hall ; il s’attendait à mieux. « Peut-être que vous me reconnaissez ? dit Ralph en regardant de près le maître de pension. – Oui, c’est vous qui régliez tous les six mois un petit compte avec moi, il y a quelques années, quand je venais à Londres, n’est-ce pas, monsieur ? – Tout juste. Mais parlons de notre affaire. – De tout mon cœur, monsieur, dit Squeers. – Eh bien, reprit Ralph, ce ne sera pas long : j’espère qu’elle sera aussitôt conclue qu’entamée. Vous avez demandé dans les annonces un sous-maître capable, monsieur ? – Précisément, dit Squeers. – Et vous en voulez réellement un ? – Certainement, répondit Squeers. – Le voici, dit Ralph. Mon neveu Nicolas, tout frais émoulu des classes, la tête pleine de science et la poche vide, est tout juste l’homme qu’il vous faut. – J’ai peur, dit Squeers embarrassé d’une telle demande pour un jeune homme de la tournure de Nicolas, j’ai peur que ce jeune monsieur ne puisse pas me convenir. – Que si ! dit Ralph, il vous conviendra. » Et s’adressant à Nicolas : « Ne vous découragez pas, monsieur ; d’ici à huit jours vous instruirez toute la jeune noblesse de Dotheboys-Hall, ou il faudrait que ce gentleman fût plus obstiné que je ne le suppose. – Je crains, monsieur, dit Nicolas, s’adressant à M. Squeers, que votre refus ne vienne de ma jeunesse, et de ce que je ne suis pas maître ès arts. – Il est certain qu’il vaudrait mieux avoir pris quelque grade dans l’Université, répliqua Squeers, se donnant un air aussi grave qu’il le pouvait, et extrêmement troublé du contraste entre la simplicité du neveu et les manières aisées de l’oncle, mais surtout de l’allusion incompréhensible faite par le dernier à la jeune noblesse de son école. – Tenez, monsieur, dit Ralph, je vais vous présenter l’affaire sous son véritable jour, en deux secondes. – Vous m’obligerez, reprit Squeers. – Voici, dit Ralph, un garçon ou un adolescent, ou un gaillard, ou un jeune homme, ou un mirliflore, ou tout ce que vous voudrez, de dix-huit à dix-neuf ans. – Pour cela, je le vois. – Son père est mort, continua Ralph ; il ne connaît pas du tout le monde, il n’a aucune ressource, et sent le besoin de s’occuper à quelque chose. Je vous le recommande pour qu’il entre dans votre splendide établissement, afin d’y faire son premier pas dans la voie de la fortune, s’il sait profiter de l’occasion ; vous comprenez ? – Qui est-ce qui ne comprendrait pas cela ? répliqua Squeers, imitant le rire malicieux du vieux renard, qui regardait son neveu. – Bien ! répliqua Ralph, laissez-moi vous dire deux mots. » Les deux mots furent dits à part en moins de deux minutes, et M. Wackford Squeers annonça que M. Nicolas Nickleby était, à partir de ce moment, nommé officiellement et installé dans les fonctions de maître auxiliaire à Dotheboys-Hall. « C’est à la recommandation de votre oncle que vous le devez, monsieur Nickleby », dit Wackford Squeers. Nicolas, ivre de joie à la vue d’un pareil succès, serra avec chaleur la main de son oncle ; je crois qu’il aurait presque encensé Squeers lui-même, comme une divinité bienfaisante. « Monsieur Nickleby, c’est à huit heures du matin que nous prenons demain la diligence, dit Squeers ; il faut que vous soyez ici un quart d’heure d’avance, parce que nous avons ces élèves à emmener avec nous. – Je n’y manquerai pas, monsieur, dit Nicolas. – J’ai payé votre place, grommela Ralph, ainsi vous n’aurez à songer à rien qu’à vous mettre chaudement. Maintenant vous ferez bien d’aller chez vous, faire votre malle. Croyez-vous pouvoir trouver le chemin de Golden-Square auparavant ? Oui ! Eh bien, alors, vous remettrez ces papiers à mon clerc. » Nicolas remit soigneusement les papiers au clerc de M. Nickleby. Voici un grand effort pour Newman Noggs, et personne n’a jamais pu savoir ce qu’il en coûta à ses habitudes réservées et silencieuses ; eh bien, quoique Nicolas lui fût entièrement inconnu, il prit son courage à deux mains et dit, à haute voix et d’une haleine, que si le jeune gentleman n’avait pas de répugnance à l’honorer d’une pareille confidence, il voudrait bien savoir ce que son oncle allait faire pour lui. Nicolas n’avait pas l’ombre de répugnance à répondre à cette question : bien au contraire, il était charmé de trouver une occasion de causer sur le sujet qui occupait sa pensée. Entraîné par l’ardeur de son imagination, il fit une description brillante et animée de tous les honneurs et avantages dont il allait être comblé par suite de sa nomination à Dotheboys-Hall. « Mais qu’est-ce qui vous prend ? Êtes-vous malade ? » dit Nicolas, s’interrompant brusquement à la vue d’une grande variété d’attitudes fantastiques que prenait son interlocuteur. En effet, M. Noggs, passant ses mains sous son tabouret, faisait craquer ses doigts, comme s’il en brisait tous les os. Newman Noggs, sans répondre un mot, continua à jouer des épaules et à faire craquer ses doigts ; pendant tout ce temps il avait un sourire horrible, un regard sans but, les yeux hors de la tête : on aurait dit un spectre. Nicolas crut d’abord que le mystérieux inconnu avait une attaque de nerfs, mais, après réflexion, il s’arrêta à la pensée qu’il avait bu, auquel cas il était prudent de s’esquiver sans perdre de temps. Il réussit à gagner la porte, l’ouvrit, s’évada, et, en jetant un regard derrière lui, vit Newman Noggs encore occupé à se livrer aux mêmes exercices, avec des gestes extraordinaires et des craquements de doigts plus retentissants que jamais.
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