XIPrésentation
– Ce fut vers midi, un jour calme et brûlant, que pour la première fois de ma vie j’aperçus ma petite amie Rarahu. Les jeunes femmes tahitiennes habituées du ruisseau de Fataoua, accablées de sommeil et de chaleur, étaient couchées tout au bord, sur l’herbe, les pieds trempant dans l’eau claire et fraîche. – L’ombre de l’épaisse verdure descendait sur nous, verticale et immobile ; de larges papillons d’un noir de velours, marqués de grands yeux couleur scabieuse, volaient lentement, ou se posaient sur nous, comme si leurs ailes soyeuses eussent été trop lourdes pour les enlever ; l’air était chargé de senteurs énervantes et inconnues ; tout doucement je m’abandonnais à cette molle existence, je me laissais aller aux charmes de l’Océanie…
Au fond du tableau, tout à coup des broussailles de mimosas et de goyaviers s’ouvrirent, on entendit un léger bruit de feuilles qui se froissent, – et deux petites filles parurent, examinant la situation avec des mines de souris qui sortent de leurs trous.
Elles étaient coiffées de couronnes de feuillage, qui garantissaient leur tête contre l’ardeur du soleil ; leurs reins étaient serrés dans des paréos (pagnes) bleu foncé à grandes raies jaunes ; leurs torses fauves étaient sveltes et nus ; leurs cheveux noirs, longs et dénoués… Point d’Européens, point d’étrangers, rien d’inquiétant en vue… Les deux petites, rassurées, vinrent se coucher sous la cascade qui se mit à s’épivarder bruyamment autour d’elles…
La plus jolie des deux était Rarahu ; l’autre, Tiahoui, son amie et sa confidente…
Alors Tétouara, prenant rudement mon bras, ma manche de drap bleu marine sur laquelle brillait un galon d’or, – l’éleva au-dessus des herbes dans lesquelles j’étais enfoui, – et la leur montra avec une intraduisible expression de bouffonnerie, en l’agitant comme un épouvantail.
– Les deux petites créatures, comme deux moineaux auxquels on montre un babouin, se sauvèrent terrifiées, – et ce fut là notre présentation, notre première entrevue…